Immobilier : trois ans après le confinement, le logement post-Covid peine à sortir de terre

Au lendemain du premier confinement du printemps 2020, les professionnels de la fabrique de la ville se sont engagés à construire une cité post-Covid avec des logements plus grands, plus lumineux, avec davantage d'espaces extérieurs et de lieux partagés. Trois ans après, la promesse devient difficilement tenable. Si le dispositif Pinel+ agrandit la taille des logements, et si des promoteurs lancent des habitats « prêts à vivre », la crise est réelle en Île-de-France et sur le littoral. Les décideurs privés ne manquent pas de créativité en matière fiscale et financière pour inverser la tendance. Décryptage.
César Armand
L'an dernier, les ventes aux propriétaires occupants ont baissé de 13,4%, tandis que celles aux investisseurs particuliers ont dégringolé de 26% par rapport à 2021.
L'an dernier, les ventes aux propriétaires occupants ont baissé de 13,4%, tandis que celles aux investisseurs particuliers ont dégringolé de 26% par rapport à 2021. (Crédits : Reuters)

« La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté ». Lorsque le président Pompidou écrit, le 17 juillet 1970, à son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, pour regretter l'abattage des arbres le long des routes, il est loin de se douter que cinquante ans plus tard, en mars 2020, les Franciliens et métropolitains aisés quitteraient leur appartement de centre-ville pour rejoindre leur résidence secondaire.

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C'était déjà il y a trois ans quasi jour pour jour. Au lendemain du premier tour des élections municipales, le chef de l'Etat prononce sa deuxième « adresse aux Français » en moins d'une semaine et leur martèle : « Nous sommes en guerre [...] Restez chez vous ». Tant est si bien qu'à la sortie du premier confinement national, qui durera près de deux mois, les professionnels de la fabrique de la ville s'engagent à construire des cités post-Covid avec des logements plus grands, plus lumineux, avec plus d'espaces extérieurs et davantage de lieux partagés.

« Les Français veulent mieux vivre, tout en donnant une perspective plus rassurante et joyeuse à leurs enfants. Ils souhaitent faire moins de trajets et avoir plus d'espace, vivre à proximité des services, des écoles, de leur travail et veulent télétravailler », résume Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes.

« [Cela se traduit] par le co-voiturage, le co-living où l'on partage le salon, les espaces et affaires de bricolage, de lavage, de stockage, les jardins. Les cours des écoles et des bâtiments publics s'ouvrent les week-ends pour devenir des squares de quartier. Et puis, comme le besoin de sociabilité est fort, les espaces de coworking s'installent à proximité des domiciles. La création des tiers-lieux se généralise, permettant la multiplication des services dans un seul espace » ajoute-t-elle.

Une promesse difficilement tenable

Sauf que, treize mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine et ses conséquences énergétiques et financières en cascade sur l'économie du quotidien, cette promesse devient difficilement tenable. « Nous pouvons évidemment mettre plus de surfaces, plus d'espaces extérieurs, plus de lieux communs, mais du fait de la réalité économique, il n'est pas sûr que nous puissions réaliser les rêves de tout le monde », reconnaît, de manière surprenante, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).

« Tout le monde veut un toit ouvrant et des sièges en cuir dans sa voiture, mais dans la vraie vie, personne ne prend toutes ces options. Nous aimerions bien offrir une pièce en plus de 15 m², mais à 4.600 euros en moyenne, cela revient à 69.000 euros supplémentaires... », poursuit Pascal Boulanger.

Et ce, sachant que les derniers chiffres publiés par les professionnels du logement neuf ne sont pas bons. L'an dernier, les ventes aux propriétaires occupants ont baissé de 13,4%, tandis que celles aux investisseurs particuliers ont dégringolé de 26% par rapport à 2021. La faute à l'inflation et à la remontée des taux d'intérêt qui grippent les banquiers et l'octroi de crédits immobiliers. Et ce, alors que les autorisations annuelles de logements collectifs ont bondi de 11,6%, comparé à l'année précédente.

« Avec la mise en œuvre, au 1er janvier 2022, de la réglementation environnementale RE2020, les dépôts des permis de construire ont connu un effet accélérateur, par ailleurs accentué par les contrats locaux de relance privilégiant les opérations denses en zones tendues. Ces deux effets vont disparaître courant 2023, aboutissant à une baisse du nombre des autorisations », avertit la Fédération des promoteurs immobiliers.

Un Pinel+ qui agrandit la taille des logements

Cette dernière fait sans doute référence à l'avantage fiscal Pinel+, du nom de la ministre qui l'a porté en 2015, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2023. Les investisseurs voulant bénéficier de cette baisse d'impôt dans le parc locatif privé n'auront plus seulement à louer leur bien a minima six ans et à respecter un plafond de loyer.

Ils doivent aussi acquérir un appartement qui obéit à un strict cahier des charges. En l'occurrence, celui de l'aménageur Laurent Girometti et de l'architecte François Leclercq, repris fin 2021 par l'ex-ministre Emmanuelle Wargon. Celui-ci impose des critères écologiques, des surfaces intérieures et extérieures et une orientation.

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Ainsi, pour être éligible à cette exonération, un studio doit mesurer 28 m² et compter 3m² dehors. Pour un T2, il faut compter 45 m² avec 3 m² d'extérieur. Quant au T3, il doit mesurer 62 m² avec 5 m² (un T4 79 m², avec 7 m² et un T5 96 m², avec 9 m²).

« Les toitures, c'est le foncier de demain »

Les T3, et plus, comporteront même deux orientations différentes. « En 2021, j'ai invité François Leclercq au Salon d'immobilier d'entreprise (Simi). Tous les promoteurs lui faisaient la tête », se remémore Cédric de Lestrange, directeur général d'Axe Immobilier.  « Nous, nous appliquons son rapport sur la qualité du logement, car tout est dedans ! », enchaîne-t-il.

« Les premiers logements confectionnés après le confinement commencent tout juste à sortir de terre. Les gens privilégient 3 m² de plus à l'extérieur qu'à l'intérieur », confirme Olivier Bokobza, le président des activités de promotion de BNP Paribas Real Estate, qui transforme aussi toutes ses toitures en terrasse, « pour que les habitants de l'immeuble puissent recevoir dans de bonnes conditions ».

« Les toitures, c'est le foncier de demain. Elles offrent l'accès à une vue, à un paysage, voire même à un cheminement entre les bâtis en plus de la voirie », appuie David Habrias, directeur général du groupe Kardham chargé de l'architecture et associé fondateur.

Des logements « prêts à vivre »

Autre tendance, des logements « prêts à vivre ». De la même façon que BNP Paribas Real Estate pré-équipe les appartements en Wifi pour une durée de deux ans, Linkcity « offre » une pré-connexion avec abonnement préférentiel, une cuisine aménagée, des rangements et la possibilité de louer du mobilier design.

« Des espaces partagés en libre accès et privatisables à l'échelle de l'immeuble viendront agrandir naturellement le logement », embraye Gérard Lodetti, son directeur général stratégie et développement, qui cite encore une salle de sport, un espace de coworking, de la conciergerie, du soutien scolaire et, comme ses confrères, un rooftop.

Une seule professionnelle, en revanche, évoque la biodiversité, mise à mal par des décennies d'artificialisation des terres agricoles. « Pour chaque projet, nous interrogeons un écologue pour avoir un maximum de pleine terre, végétaliser les espaces communs, trouver les végétaux les plus adaptés au climat et à la faune, installer des nichoirs pour les oiseaux et récupérer les eaux de pluie », assure ainsi Virginia Bernoux, la présidente du directoire d'Ogic.

Elle mise par ailleurs sur le confort acoustique de ses utilisateurs, une préoccupation qui se retrouve aussi chez les locataires d'habitations à loyer modéré (HLM). « De mes échanges avec les équipes, nous observons un avant et un après confinement. Certains locataires ont parfois des difficultés à accepter la contrainte de l'entourage, comme le bruit, peut-être dû à une plus grande présence avec le télétravail », observe Emmanuel Dunand, président du directoire d'ICF Habitat La Sablière.

« Nous avons noté également de grandes fragilités, étant présents sur le terrain, entre des gardiens, des employés d'immeuble, des gestionnaires de site, des conseillères sociales qui peuvent intervenir pour chercher des solutions, comme dans les aides disponibles pour le paiement des factures ou du loyer. Il s'agit pour nous d'identifier les problèmes rencontrés en amont, avant que les situations deviennent plus fragiles », dit encore le bailleur social de la SNCF en Île-de-France.

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Crise du logement en Île-de-France

D'autant qu'après deux ans de hausse, les promoteurs immobiliers ont subi, en 2022, une chute de 36,6% de leurs ventes en bloc, notamment à destination desdits bailleurs sociaux. Une situation particulièrement visible dans la région Île-de-France qui accueille, encore chaque année, 50.000 nouveaux habitants. Alors que la loi du Grand Paris du 3 juin 2010 prévoit la construction de 70.000 habitats chaque année, dont la moitié en logements sociaux, seuls 21.805 agréments ont été délivrés par le préfet en 2022, contre 22.259 en 2021 et 19.137 en 2020.

« La crise du logement social et de l'hébergement en Ile-de-France ne doit pas être une fatalité. L'Etat, les collectivités locales, les organismes Hlm et les acteurs de l'insertion par le logement doivent s'associer pour relever collectivement le défi et traduire dans leurs engagements et leurs objectifs une volonté partagée de produire, en volume suffisant, les logements réellement abordables, nécessaires aux habitants actuels et futurs d'Île-de-France », s'exclament, dans un manifeste commun publié le 9 mars, l'Association des organismes de logement social d'Ile-de-France (AORIF), la Fondation Abbé Pierre et l'Association francilienne pour favoriser l'insertion par le logement (AFFIL).

Pour autant, ce manque de logements à l'accession ou à la location n'est pas propre à la capitale. En Vendée, où c'est le plein-emploi, les patrons demandent aux professionnels des solutions de logement temporaire. « Il leur est devenu difficile de recruter quelqu'un qui ne soit pas local, tant les tensions sont fortes sur le marché. Plus généralement, nous sommes passés à de nouvelles formes de parcours résidentiel subies, tout comme nous observons un gros retour à la colocation de trentenaires déjà dans la vie active », souligne David Chouraqui, directeur général de Crédit Agricole Services immobiliers.

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Les maires restent souverains

Sauf que sur le littoral comme dans le reste du pays, la volonté locale prime sur le reste pour loger les Français. « Les paramètres sont politiques. A Bordeaux, un promoteur avait prévu 50 logements. Finalement, il n'a pu en construire que 15 », pointent les architectes Yann Daoudlarian et Gabriel Franc, président et directeur général du groupe Franc Architecture. « Les maires ne sont que très rarement sensibles pour leur commune à leur participation à la résolution de la crise du logement », confirme Thierry Berthier, dirigeant de Care Promotion.

De fait, les maires restent souverains dans la délivrance des permis de construire et dans la modification des plans locaux d'urbanisme. « Nous menons donc des concertations parfois avant même le dépôt du PC, en présentant [aux riverains et à la municipalité] trois projets différents d'architectes qui ont chacun leur vision, et ce, afin de voir celle qui fait consensus », déclare, par exemple, Ulysse Brault, président d'Accueil Immobilier et conseiller logement du candidat Macron pendant la campagne de 2017.

D'autres, encore, plaident pour « des permis de construire à double usage » qui permettent d'obtenir des bureaux aujourd'hui et des logements demain ou inversement.

« Nous savons déjà les construire avec des systèmes de poteaux-poutre et des espaces extérieurs qui conviennent aux deux usages. Les normes ne sont pas les mêmes, mais il suffirait de prendre les principaux dénominateurs communs», estiment Olivier Estève et Julien Drouaud, directeur général délégué et directeur résidentiel de Covivio.

« Comment expliquez-vous que, pendant les deux à trois ans de travaux que dure une transformation de bureaux en logement, nous continuions à devoir payer la taxe foncière (et même jusqu'à présent la taxe sur les bureaux) lorsque nous réalisons une opération vertueuse conservant la structure, alors que nous en sommes exonérés lorsque nous menons une opération de démolition-reconstruction ? », abonde Cédric de Lestrange d'Axe Immobilier.

Créativité en matière financière et fiscale

Les décideurs privés ne manquent pas non plus de créativité en matière financière et fiscale. La présidente de Foncia ADB, Laurence Batlle, qui revendique 157 immeubles en cours de rénovation pour 10.000 logements, « contre 0 en 2021 », se fait, ainsi, l'avocate « des incitations fiscales à la rénovation énergétique pour les copropriétés et les bailleurs pour accélérer celle-ci et qui ne coûteraient pas si cher aux finances publiques ».

« Imaginons une agence de financements publics sur le principe de bonus-malus qui récompenserait les opérations vertueuses et pénaliserait ceux qui font de l'étalement urbain », prêche de son côté Katayoune Panahi, la directrice de SNCF Immobilier.

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Certains, enfin, défendent des immeubles adaptés à la vie urbaine d'aujourd'hui. « Pour les livraisons alimentaires ou du e-commerce, il faut adapter les boîtes aux lettres aux colis, tout comme il faut des moyens d'accès sans clé, notamment avec des badges afin de se protéger des virus », affirme Samuel Gelrubin, président du groupe Terrot. Car n'en déplaise aux édiles des petites et moyennes villes, l'exode urbain est bien un mythe...

Dignité et sociabilité, par Rémi Feredj, directeur général de La Poste Immobilier

« Covid ou pas covid, le logement est un lieu qui doit garantir la dignité et la sociabilité de celui qui l'occupe. Dignité avec des parties communes entretenues, une qualité de matériaux et d'écriture et un sentiment de fierté en résultant. Sociabilité, c'est-à-dire avec la possibilité de recevoir, pour soi comme pour ses enfants. J'avais tenté une expérimentation en résidence étudiante : les jeunes s'engageaient à donner deux heures au quartier : du jardinage, des courses pour les vieux, du soutien scolaire... Je pars toujours du principe que le logement est le socle à partir duquel l'action du quartier doit se dérouler. »

César Armand

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Commentaires 7
à écrit le 14/03/2023 à 15:27
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Nous avons acquis un appartement à Toulouse construit par Vinci. Livré en décembre 2022 alors qu'il n'était pas terminé ! Certainement pour des raisons fiscales. Vinci fait appel aux entreprises les moins chères. Celles-ci emploient de pauvres gens t...

à écrit le 14/03/2023 à 12:30
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"le logement post-Covid" : Cette association de mots ne veut rien. Il n'y a strictement aucun rapport entre la Covid-19, et le logement

le 14/03/2023 à 13:38
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Peut-être une expression "plus jamais comme avant" ? "On fera (enfin) mieux, la[maladie]/le[virus] covid nous a ouvert les yeux". :-) (l'espoir fait vivre) Y a bien des travaux post-Fukushima sur les réacteurs nucléaires. Constructions sans béton à ...

le 14/03/2023 à 14:52
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Bien sûr que si qu'il y a un rapport !!! le confinement, par exemple, a-t-il été une contrainte identique pour le -ou la!-citadin qui vit dans 20 m2 dans un immeuble de 8 étages et l'habitant d'une grande maison avec un jardin ? Bien sûr que non !!...

à écrit le 14/03/2023 à 11:14
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Pas de panique: la bulle immobiliere est en train d eclater suite a la hausse des taux. D ici un ou 2 ans les proprietaires auront compris qu ils ne pourront plus vendre aui prix fort. Et c est uassi valable pour les terrains constructibles (qui de m...

le 15/03/2023 à 14:03
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Je suis d accord avec vous, et ça serait sain de laisser le marché s autoreguler. Mais bon, trop d enjeu financier, donc l état va faire des lois pour aider un peu plus cette bulle... Et oui, délocaliser les emploies d ile de France dans d autre agg...

à écrit le 14/03/2023 à 9:52
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Je peine à plaindre cette profession qui bénéficie ou a bénéficié déjà de nombreux avantages ; prêt à taux zéro ou défiscalisation Pinel d'autant qu'à l'heure des millions de passoires thermiques elle a du travail en perspectives . Mais comme les ...

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