Pénurie de médicaments : les industriels mis en cause

Par Audrey Tonnelier  |   |  503  mots
Infographie La tribune
Au moins 350 médicaments manquent régulièrement à l'appel. Un phénomène aggravé par les quotas fixés par Pfizer, Lilly ou Roche. Ces pratiques se banalisent sur le marché français.

«Depuis le début de l'année, il nous manque régulièrement une trentaine de médicaments pour soigner des pathologies importantes : trithérapies, anticholestérols, anti-Parkinson... » Ce pharmacien parisien résume l'avis de la profession : les ruptures de stocks de médicaments s'accélèrent. L'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) a déjà reçu 1.200 déclarations de ruptures d'approvisionnements, soit 5 % des officines, sur la seule base du signalement des pharmaciens. « Sur les 350 médicaments concernés, la moitié a subi une rupture de plus de trois jours », s'alarme le président de l'USPO, Gilles Bonnefond.

« Il n'y a pas de pénurie généralisée mais il peut y avoir des soucis sur les produits vendus seulement à quelques milliers d'exemplaires par an, comme les antirétroviraux (traitement du sida) », admet Emmanuel Déchin, le secrétaire général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, qui fédère les grossistes. Mardi, le ministre de la Santé Xavier Bertrand a dénoncé « les exportations parallèles » et les « quotas des laboratoires » et menacé le secteur d'un « nouveau texte » pour encadrer ces pratiques. Mais dans la réforme du médicament présentée lundi, pas un mot sur ces pratiques.

De quoi s'agit-il ? En Europe, les prix des médicaments sont fixés nationalement. Jusqu'à 20 % plus chers en Allemagne par rapport à la France, ils coûtent 10 % de moins en moyenne en Espagne, en Italie ou en Grèce. Certains grossistes - intermédiaires entre les industriels et les pharmaciens - en jouent pour revendre à l'étranger des produits nationaux, gonflant leurs marges grâce au différentiel de prix. Un « commerce intracommunautaire » parfaitement légal estimé à quelque 500 millions d'euros en France (3 % du marché). À ce petit jeu, les quatre grossistes hexagonaux (les français OCP et CERP, le britannique Alliance Healthcare et l'allemand Phoenix) pointent la responsabilité d'une vingtaine de nouveaux acteurs, appelés « shortliners ». Ceux-ci ne vendent que quelques références (d'où leur nom) et n'hésitent pas à exporter directement les plus lucratifs, alors que les grossistes traditionnels ont l'obligation de servir d'abord le marché français.

« Les shortliners ne représentent que 2 % du marché [18 milliards en France, Ndlr] : ils ne peuvent pas être seuls à l'origine du problème », s'étonne Gilles Bonnefond. Pour lui, c'est l'ensemble de la profession qui est en cause ainsi que les industriels. Ces derniers imposent en toute légalité des quotas sur près de 600 médicaments, justement pour éviter que les grossistes ne les revendent à l'étranger une fois servi le marché domestique... Mais « Pfizer, Lilly ou Roche imposent des quotas trop drastiques sur leurs médicaments les plus chers », estime Gilles Bonnefond. Le syndicat des labos (Leem) rétorque que « les ruptures résultent de facteurs impossibles à anticiper (mauvaises conditions météo, catastrophes naturelles) ». « Les grossistes et les laboratoires continueront à se renvoyer la balle tant qu'il n'y aura pas une totale transparence sur les produits exportés et sur les quotas », selon Gilles Bonnefond.