Pourquoi l'Etat rembourse encore ces 136 médicaments inefficaces

Par Audrey Tonnelier  |   |  540  mots
La Tribune Infographie
Une étude que s'est procurée La Tribune pointe une centaine de médicaments dont l'efficacité est jugée "insuffisante". Sauf qu'ils sont toujours remboursés. Une aberration.

«Les médicaments inefficaces ne doivent plus être remboursés. » C'est ce que martèle depuis le début de l'année Xavier Bertrand, le ministre du Travail et de la Santé, dans le sillage de l'affaire Mediator. La prise en charge à 65 % du produit de Servier jusqu'à son retrait en 2009, alors qu'il avait été jugé inefficace dès 1999, est largement avancée pour expliquer l'étendue de son utilisation et donc de ses méfaits - de 500 à 2.000 morts supposés. Pourtant, parmi les 600 médicaments aujourd'hui remboursés à 15 % par l'assurance maladie, un quart présente un « service médical rendu » (SMR) « insuffisant pour justifier une prise en charge par la collectivité ». Une aberration au regard des critères de la Commission de la Transparence, chargée d'évaluer les médicaments. C'est ce qui ressort de l'étude d'un cabinet de conseil parisien, que « La Tribune » s'est procurée.

Les 136 produits recensés représentent un chiffre d'affaires de 311,3 millions d'euros. Soit un coût de 46,7 millions d'euros pour la Sécurité sociale. Le montant est symbolique comparé au déficit de l'assurance-maladie, mais la pratique étonne, alors que la Cour des Comptes vient encore de pointer le manque de cohérence du remboursement des médicaments en France.

Édifiant

Surtout, la moitié du chiffre d'affaires généré par ces produits, soit 155 millions d'euros, revient à des fabricants hexagonaux. Une proportion deux fois supérieure à leur part de marché en France (hôpital compris). Le premier de la liste, le Tanakan contre les troubles de la mémoire, a rapporté près de 70 millions d'euros à Ipsen l'an dernier. Le second est le Structum de Pierre Fabre, un traitement de l'arthrose (55 millions). Quant à Sanofi, il compte quatre produits dans la liste, dont le décontractant musculaire Myolastan, pour un total de 12 millions d'euros. « Les groupes français sont plus à même de négocier avec les autorités un report de déremboursement pour des raisons économiques », décrypte un bon connaisseur du secteur.

En janvier dernier, Xavier Bertrand avait pourtant dressé une liste de 126 produits (un peu moins que notre étude) dont le déremboursement devait être imminent. Neuf mois plus tard, « on ne peut pas en dire plus sur le calendrier », indique le Ministère. Pourquoi de tels blocages ? Le cas du Tanakan d'Ipsen est édifiant. Le médicament a obtenu un SMR insuffisant à quatre reprises depuis 2001, mais reste remboursé. Interrogé, Ipsen indique que « Tanakan est en cours de réévaluation de son SMR à la Commission », car le labo veut le faire homologuer pour une autre maladie, Alzheimer. « Pourquoi un médicament resterait-il remboursé pour une pathologie au seul prétexte qu'il peut servir pour une autre ? » s'interroge un expert. De son côté, Sanofi indique avoir été averti début août d'un « projet de déremboursement » pour deux de ses médicaments, le Sermion et le Torental, contre les troubles cognitifs. Le Myolastan, en revanche, « a vu son SMR insuffisant confirmé en avril, mais nous n'avons pas reçu de nouvelles du Ministère » indique le groupe. « Les laboratoires ont toujours « joué la montre » pour maintenir leurs produits au remboursement. Mais qu'ils y parviennent encore après le scandale Mediator, voilà qui est étonnant », conclut l'étude.