Big Pharmas : la création de valeur par la valorisation boursière "ne pourra pas durer éternellement"

Les mesures du Trésor américain, qui ont fait échouer la fusion Pfizer-Allergan, devraient décourager les laboratoires pharmaceutiques américains dans leurs tentatives de délocaliser leur siège social dans un pays où la taxation est plus faible qu'aux Etats-Unis. Les industries du médicament vont devoir se refocaliser sur l'innovation pour créer de la vraie valeur, selon Elsy Boglioli, directrice associée au Boston Consulting Group, spécialiste des problématiques de transformation, de croissance et de diversification des activités dans l’industrie pharmaceutique. Entretien.
"Il n'y a pas eu de croissance au sein de l'industrie pharmaceutique ces dernières années, mais beaucoup de valeur a été créée au travers de la valorisation des capitalisations boursières. Cela ne pourra pas durer, estime Elsy Boglioli.

LA TRIBUNE - Quelles sont les conséquences des mesures prises par le Trésor américain pour lutter contre "l'inversion fiscale" [fusion avec une entreprise à l'étranger pour y relocaliser son siège social et ne pas payer les impôts américains sur les sociétés, Ndlr] pour la stratégie des big pharmas ?

ELSY BOGLIOLI - Ce sont des mesures choc pour le secteur de l'industrie pharmaceutique. Cela donne le sentiment que les transactions permettant l'inversion fiscale font réagir l'Etat américain très fortement. Les mesures du Trésor rendent ces transactions caduques. Il est probable qu'elles signent la fin de l'ère des tentatives d'inversion fiscale.

Cela ne redessine pas les contours de l'industrie pharmaceutique pour autant, si ce n'est que nous ne verrons pas l'émergence d'un nouveau géant du médicament.

Les autorités américaines envoient également un autre message aux laboratoires pharmaceutiques: s'ils veulent créer de la valeur, il ne faudra pas chercher celle-ci dans des montages fiscaux, mais plutôt dans des résultats tangibles, notamment pour les patients.

La stratégie des big pharmas ne va donc pas dans le bon sens, ces dernières années?

Les dernières années ont été bénéfiques pour l'industrie. La falaise des brevets de 2008-2009 a été suivie d'une période de revalorisation du secteur entre 2010 et 2014. Durant ces années, énormément de valeur a été créée pour les actionnaires, par des versements de dividendes et au travers de l'appréciation des actions.

Quelle que soit l'industrie, la valeur est en général créée par trois leviers qui sont la revalorisation de l'action, les dividendes reversés aux actionnaires et la croissance rentable (amélioration des performances financières de l'entreprise). Normalement, cette croissance rentable est le premier levier de création de valeur. A titre d'exemple, sur les dix dernières années, toutes industries confondues, 70% de la création de valeur provient de la croissance des entreprises.

Au sein de l'industrie pharmaceutique, cela a été l'inverse, ces dernières années. C'est relativement unique. Il n'y a pas eu de croissance, mais beaucoup de valeur a été créée au travers de la valorisation des capitalisations boursières. Cela traduit un regain de confiance dans le secteur, et c'est une excellente nouvelle pour les industriels... Mais cela ne pourra pas durer éternellement.

Que doit faire l'industrie pharmaceutique pour rester viable ?

Aujourd'hui, les grands acteurs de l'industrie pharmaceutique doivent se concentrer sur l'innovation et le lancement de nouveaux produits. L'échec d'une stratégie de fusion purement financière est l'un des symptômes de ce besoin de recherche de vraie valeur, de croissance.

Par ailleurs, cette recherche de croissance devra se faire dans un environnement contraint, puisque les gouvernements cherchent à réduire les coûts liés aux médicaments. Ces nouvelles règles du jeu signifient qu'il y aura des gagnants et des perdants, tout le monde ne réussira pas à croître. L'avantage ira aux laboratoires qui réussiront à réellement innover, tout en devenant les partenaires des gouvernements dans des démarches d'optimisation des coûts.

Cette stratégie n'a-t-elle pas déjà commencé, avec une tendance des industries pharmaceutiques à moins se diversifier et à chercher à créer de la valeur dans des activités précises en 2015 ?

2015 a en effet été une année de transition. Nous sommes revenus à une ère où l'innovation est valorisée. Nous avons vu de nombreux grands laboratoires se focaliser à nouveau sur certaines activités, avec des échanges d'actifs ciblés pour se consolider dans des secteurs rentables. Nous avons vu des sociétés focalisées sur l'innovation thérapeutique créer énormément de valeur, avec des médicaments à des prix élevés qui constitueront plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires. Cela a, par exemple, été le cas sur le marché de l'hépatite C ou de l'immuno-oncologie.

En 2016, certains acteurs, qui ont toujours plus de mal à innover, pourront se tourner vers des alliances avec des biotechs, ou des acquisitions de biotechs. En ce début d'année, la valeur boursière des biotechs a beaucoup baissé [l'indice Nasdaq Biotechnology est passé de 3.427 points le 4 janvier, à 2.853 points le 11 avril, soit une chute de 20%, Ndlr], ce qui pourrait favoriser une année riche en fusions acquisitions.

___

[ENCADRE]

Comment le Trésor américain a fait échouer la fusion Pfizer-Allergan

Le 5 avril, les régulateurs américains ont annoncé des mesures pour freiner l'exil fiscal des multinationales américaines. Alors que Pfizer voulait fusionner avec Allergan pour notamment délocaliser son siège social en Irlande, les deux laboratoires pharmaceutiques ont renoncé à la transaction.

Pour comprendre, il faut rappeler que la possibilité d'être considérée comme une société étrangère dépend de la part de l'entreprise finale qui est détenue par les actionnaires de l'entreprise initiale. Avec les mesures du Trésor américain, les acquisitions américaines effectuées il y a moins de 36 mois ne comptent pas dans la taille de l'entreprise acquise. Donc, dans le cas d'Allergan, on se fonde sur l'entreprise d'il y a trois ans, alors que ces 36 derniers mois ont justement été une période très active en fusions acquisitions (avec Actavis le 15 juin, notamment).

Si les actionnaires de Pfizer détiennent plus de 80% de l'entreprise Pfizer-Allergan, la loi reste celle des États-Unis. S'ils détiennent de 60% à 80%, il y a des restrictions mais la loi de l'autre pays peut s'appliquer. Enfin, si l'on se situe en dessous de 60%, ce sont les règles de l'autre pays (l'Irlande dans le cas de Pfizer et Allergan) qui s'appliquent.

Avant les mesures du Trésor américain, dans le cas d'une fusion Pfizer-Allergan, les actionnaires de Pfizer détenaient 56% de la nouvelle société ; ce ratio permettait une inversion complète des taxes et de bénéficier des règles irlandaises. Après les mesures du Trésor américain, la taille d'Allergan a été réduite puisque les dernières acquisitions ne sont désormais plus comptées. Ainsi, les actionnaires de Pfizer repassent largement au-dessus du ratio de 56%. Impossible donc de pouvoir jouir des règles de l'Irlande en matière de taxes.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 16/04/2016 à 12:46
Signaler
Les intentions américaines seraient-elles de fusionner Merck et Pfizer ? Les deux entreprises sont actuellement sur une pente glissante, particulièrement la seconde. Pourquoi alors l'avoir fait revenir de ses opérations irlandaises où elle essayait d...

à écrit le 15/04/2016 à 16:38
Signaler
Les explications exposées ici peinent à convaincre. La réalité est que Pfizer qui rappelons-le est en situation de faillite, allait être considérée comme une société étrangère et voir ses ventes US baisser considérablement. Les gains obtenus fiscalem...

à écrit le 15/04/2016 à 14:08
Signaler
Journaliste c'est quand même un beau métier Allez rencontrer les jolies fille c cool

à écrit le 15/04/2016 à 9:12
Signaler
Les grands labos sauvent nos vies avec leurs médicaments, et c'est bien. C'est aussi des machines qui génèrent énormément de cash : elles créent de la valeur, c'est vrai. Mais construire un géant mondial juste pour payer moins d'impôt, çà a un côté...

à écrit le 15/04/2016 à 8:29
Signaler
alternative: tailler dans les couts, ca augmentera le benefice avant impots de la part que l'etat souhaite recuperer

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.