Catastrophe de Lubrizol à Rouen : questions autour de la gestion d'une crise

Par Nathalie Jourdan, à Rouen  |   |  711  mots
(Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)
Après le gigantesque incendie qui a ravagé le dépôt de l'usine Lubrizol à Rouen dans la nuit de mercredi à jeudi, de plus en plus de voix s'élèvent parmi les élus pour dénoncer la communication lacunaire pour ne pas dire infantilisante des services de l'Etat.

Retour de week-end compliqué pour les Rouennais qui avait profité de la pause de la fin de semaine pour fuir l'atmosphère nauséabonde de leur ville. Dimanche soir en dépit d'un vent soutenu, des odeurs persistantes, mélange d'hydrocarbures et d'œuf pourri, planaient encore sur tout l'ouest de l'agglomération. « J'ai l'impression de rentrer dans une cuve de fuel. Même si je ne suis pas d'un naturel inquiet, ce n'est pas franchement rassurant », confie une habitante de retour après deux jours d'absence. Comment des centaines d'autres, sa maison a été survolée par l'énorme panache de fumée pendant toute la matinée du jeudi et reste imprégnée.

Communication lacunaire et consignes désordonnées

Quatre jours après le sinistre qui a ravagé le dépôt de l'usine Lubrizol, l'inquiétude demeure vive parmi la population et la colère monte chez les élus. Si la gestion de l'incendie par les services de secours est unanimement saluée, il n'en va pas de même de la gestion de la communication par les services de l'Etat. Incriminés ? Des consignes désordonnées et des messages par trop lacunaires, telle cette promesse d'une « absence de toxicité aigüe » répétée en boucle par la préfecture pendant les premières 48 heures sans autre forme de précision. « Aigüe, c'est le contraire de grave non ? » ironisait un confrère journaliste en salle de presse. Résultat, des maires déboussolés bien en peine de répondre aux interrogations légitimes de leurs administrés. « Faute d'information claire, les élus ont été livrés à eux-mêmes et des gens ont littéralement fui », peste le député PS de Seine-Maritime, Christophe Bouillon. « Si 14 communes ont été efficacement prévenues, d'autres très proches voire à proximité immédiate du site ont été informées de manière aléatoire », constate pour sa part la sénatrice centriste, Catherine Morin-Dessailly.

Les limites d'une doctrine ?

Pour Cyrille Moreau, vice-président EELV de la Métropole Rouen Normandie en charge de l'environnement, cet accident remet en cause la doctrine de l'Etat. « Tant que l'information n'est pas validée par trois cachets, elle n'est pas rendue publique. Cette culture du secret, qui a pour but d'éviter la panique, s'apparente à du déni. Elle produit en réalité un effet exactement contraire. Sans compter qu'elle expose la population à des fake news ».

Paradoxalement, les mêmes critiques s'étaient faites entendre lors d'un précédent accident survenu dans l'usine Lubrizol : une fuite de mercaptan qui dont les effluves avaient ému jusqu'à Londres. A l'époque, les informations parcellaires délivrées par les autorités avaient suscité plus d'angoisse qu'elle n'avait rassuré, donnant lieu à toutes sortes de conjectures.... Et à un mea culpa tardif du ministère de l'intérieur. « J'ai l'impression de vivre un remake en pire », s'agace Jean-Michel Béregovoy, conseiller municipal Vert à Rouen.

Questions sur les mesures prises par le groupe de Warren Buffett

Cette fois, il aura fallu que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en visite sur le lieu du sinistre vendredi soir, se risque à lâcher que « Rouen était clairement polluée » pour que le discours des services de l'Etat prenne un tour (un peu) plus en phase avec le ressenti objectif des habitants.

Dans ce climat de défiance, c'est le doute qui a accueilli la publication des premières analyses promises par le gouvernement. « Nous ne pouvons nous satisfaire du tableau de mesures publié par la préfecture au nom de la « transparence. Nous défions quiconque de le comprendre et de l'interpréter simplement », tance Nicolas Mayer Rossignol, ancien président PS de la Région Haute-Normandie et candidat déclaré aux municipales de Rouen.

Comme Catherine Morin Dessailly et Christophe Bouillon, il demande l'ouverture immédiate d'une enquête parlementaire en complément des enquêtes judiciaire et administrative. Celles-ci devront aussi démontrer que le groupe Lubrizol, propriété du milliardaire américain Warren Buffett a pris toutes les dispositions pour assurer la sécurisation de cette usine située au cœur d'une agglomération de 450.000 habitants. En attendant, l'exploitation du site est suspendue sur décision de la préfecture.