Tests PCR : juteux business, plaintes à gogo... le Royaume-Uni donne un grand coup de torchon

82 sociétés sommées d'afficher des prix exacts, 57 autres radiées définitivement... face aux multiples irrégularités constatées sur le marché des tests PCR outre-Manche (un marché dérégulé et très lucratif: on parle de 500 millions de livres dépensés par les Britanniques depuis mai), le gouvernement britannique a décidé de sévir. Bien tardivement, fustige l'association de défense des consommateurs Which qui tire le signal d'alarme depuis six mois. Les compagnies aériennes, notamment low cost, critiquent elles aussi ce marché des tests PCR dont la cherté est, pour certains voyageurs, notamment ceux qui se déplacent en famille, un frein à se rendre au Royaume-Uni et donc affecte directement la relance des transports internationaux.
Jérôme Cristiani
Le gouvernement britannique a créé un marché où chaque prestataire fait ses prix comme il l'entend. Mais, malgré la grande liberté de commerce dont jouissent les acteurs, de nombreuses sociétés sont tentées de tricher. Sur les prix d'abord, mais aussi sur les prestations: certaines ne sont tout simplement pas capables d'assurer jusqu'au bout la transaction dûment payée, et de nombreuses plaintes montrent une incapacité sinon une mauvaise volonté à rembourser les clients lésés.
Le gouvernement britannique a créé un marché où chaque prestataire fait ses prix comme il l'entend. Mais, malgré la grande liberté de commerce dont jouissent les acteurs, de nombreuses sociétés sont tentées de tricher. Sur les prix d'abord, mais aussi sur les prestations: certaines ne sont tout simplement pas capables d'assurer jusqu'au bout la transaction dûment payée, et de nombreuses plaintes montrent une incapacité sinon une mauvaise volonté à rembourser les clients lésés. (Crédits : v-a-n-3-ss-a via Pixabay)

En France, pour les résidents français circulant dans le pays ou voyageant hors de frontières, les tests PCR sont « gratuits », c'est-à-dire payés par la collectivité et donc totalement encadrés par l'action de service public et d'urgence sanitaire. Pour les touristes étrangers arrivant dans l'Hexagone, ils l'étaient aussi mais, depuis le 7 juillet, ils sont devenus payants, toutefois avec des prix fixes. Au Royaume-Uni, le gouvernement de Boris Johnson a décidé de procéder différemment depuis le début.

Outre-Manche, les seuls tests gratuits sont ceux pratiqués à l'hôpital public pour les patients symptomatiques, tous les autres tests, ceux qui permettent d'obtenir un certificat sanitaire pour entrer ou sortir du Royaume-Uni pour raisons professionnelles ou touristiques, sont payants. Leur logistique est presque entièrement confiée au secteur privé, ce qui est commun à maints pays, ce qui l'est moins, c'est la possibilité de commercialiser ce service en pratiquant des prix sans contraintes.

Résultat: l'offre est difficile à lire pour les consommateurs et difficile à contrôler pour les autorités. En effet, les prix peuvent varier de 20 livres (*) à... 359 livres (de 23 euros à... 420 euros ! - voir notre capture d'écran ci-dessous), et ces différences sont en quelque sorte justifiées par les autorités elles-mêmes, qui exposent sans inhibition l'argument du « niveau de prestation » offert :

« Les prix peuvent différer d'un fournisseur à l'autre pour un certain nombre de raisons, par exemple pour refléter différents niveaux de support client. Contactez les fournisseurs pour obtenir des informations détaillées sur les produits et les prix. Certains fournisseurs peuvent proposer une gamme de forfaits à des prix différents avec des compléments supplémentaires, tels que la livraison premium», indique le gouvernement sur son site Gov.uk:

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[Sur le site du gouvernement, la liste de 402 fournisseurs de tests classés par prix décroissants pour voir le prix le plus élevé. Source: Gov.uk. Cliquer pour agrandir l'image plein écran]

Du coup, des centaines de sociétés se sont engouffrées sur ce nouveau marché et ont été accréditées par les autorités. Un marché alléchant car lucratif: le Guardian parle de 500 millions de livres dépensées par les passagers des compagnies aériennes entrant au Royaume-Uni depuis la mi-mai.

On compte bien sûr les établissements physiques classiques établis comme des cliniques  où l'on peut se faire tester sur place, avec des prix souvent élevés (prenons l'exemple de ce prestataire ConceptO Clinic qui réclame 99 livres pour un résultat de test RT-PCR sous 24 heures, mais 129 livres pour une délivrance le jour même). Mais on a vu aussi apparaître de nouveaux entrants comme des fournisseurs via internet.

Ces prestataires en ligne proposent de livrer des kits de tests à domicile, d'assurer la logistique des prélèvements (qui sont renvoyés par la poste ou déposés dans des points de collecte) pour l'acheminement en laboratoire où s'effectuera la vérification médicale proprement dite, et enfin la délivrance dans les délais impartis des résultats officiels, le "sésame" permettant à tous les demandeurs testés négatifs de pouvoir présenter un certificat ad hoc pour pouvoir se rendre à l'étranger ou être autorisé à résider au Royaume-Uni sans quarantaine (pour plus de détails sur le mode opératoire, voir les vidéos de présentation d'un prestataire important comme Randox).

Le gouvernement a donc créé un marché où chaque prestataire fait ses prix comme il l'entend. Mais, malgré la grande liberté de commerce dont jouissent les acteurs présents, de nombreuses sociétés sont défaillantes, voire tentées de tricher. Sur les prix d'abord, mais aussi sur les prestations: certaines ne sont tout simplement pas capables d'assurer jusqu'au bout la transaction dûment payée, et de nombreuses plaintes montrent une incapacité à traiter les tests en temps et en heure (voir les photos d'enveloppes retour qui s'amoncellent devant les officines) sinon une mauvaise volonté à rembourser les clients lésés.

L'opinion s'émeut également que ce soit à l'hôpital - au service public, payé par le contribuable- de réparer les dégâts. En effet, l'hôpital accepte de prendre le relais en cas de circonstances exceptionnelles, permettant aux victimes de réaliser enfin le test souhaité. L'affaire a pris une telle ampleur que le ministère de la Santé a été obligé de prendre ses premières mesures correctives.

Le ministre de la Santé fustige les comportements de « cowboys »

En l'occurrence, lundi 23 août, le ministre britannique de la Santé et des Affaires sociales Sajid Javid a menacé 82 entreprises de voir leur accréditation retirée dans la semaine si elles continuaient à annoncer des prix trompeurs. Le ministère accuse en effet ces entreprises de pratiquer des prix différents sur leur propre site internet, au moment de l'achat par les clients, à ceux transmis au gouvernement et présentés sur sa liste officielle:

« 82 entreprises - qui représentent environ 18% de celles répertoriées comme proposant des tests du 2e jour et du 8e jour - risquent d'être retirées de la liste GOV.UK si elles continuent d'annoncer des prix trompeurs », lit-on dans le communiqué du ministère.

Dans le cadre de ce grand ménage qu'il promet de faire dans le marché des tests de dépistage du Covid-19 dédiés aux voyageurs et touristes, le ministre assure qu'il fera des vérifications régulières pour s'assurer que les fournisseurs se conforment aux règles, avec des prix exacts, mais également... qu'ils n'ont pas changé leur nom pour revenir sur la liste après en avoir été exclus...

Signe que la coupe n'est pas loin de déborder au vu du nombre de sociétés incriminées, le ministre fustige tout à la fois la cupidité, le mensonge et le comportement de "cowboys" de certains fournisseurs en ces termes :

"Il est absolument inacceptable, pour une entreprise qui fournit des tests, de tirer profit des vacanciers, et les mesures annoncées aujourd'hui font la chasse à ces comportements de cowboys", souligne Sajid Javid, cité dans le communiqué.

Un grand ménage... mais tardif

L'association de défense des consommateurs Which? qui tire le signal d'alarme depuis six mois a, elle, regretté que le gouvernement ait mis tant de temps pour réaliser son audit et sévir.

Un signe de plus que le grand ménage annoncé n'avait pas été fait depuis un bon moment, Sajid Javid a aussi annoncé la radiation de 57 fournisseurs qui vont disparaître de la liste gouvernementale au motif qu'ils ont cessé leur activité ou ne fournissaient pas les tests requis.

"Le nombre d'entreprises qui sont exclues ou sont averties montre qu'il est extrêmement difficile pour les voyageurs de choisir un fournisseur de confiance et fiable", selon Rory Boland, un responsable de l'association de défense des consommateurs Which?

Lequel enfonce le clou sur Twitter, fustigeant la réaction trop tardive du gouvernement :

Government is going to remove private test providers that don't exist or advertise misleading prices from the .gov list... at last

It's inexcusable that it has taken nearly half a year for it to carry out these very basic checkshttps://t.co/owEJ5gEuyo

— Rory Boland (@roryboland) August 23, 2021

Des politiciens de tous bords épinglés sur ce marché lucratif

Sur ce lucratif marché des test PCR, une société a plus particulièrement fait parler d'elle. Le Guardian rapporte ainsi que RT Diagnostics, société de test Covid-19 détenue en copropriété par un ancien ministre de la Justice travailliste et un conseiller (également travailliste), a été accusée de ne pas avoir fourni de kits et de résultats de test et de ne pas rembourser les clients, les obligeant à se rabattre sur le service de santé publique.

Le Guardian rapporte une litanie de témoignages de clients qui font part de leur déboires avec cette société. L'un explique : « J'ai payé 81 livres pour les tests du 2e jour et du 8e jour à la mi-juin, avant un vol de Suède vers le Royaume-Uni, mais je ne les a jamais reçus et six semaines plus tard, je n'ai pas encore été remboursé. » Une autre évoque les 168 livres qu'elle a payées sans résultat, et a montré au Guardian le mail de la société qui lui répond qu'elle ne pourra pas être remboursée « avant des semaines »...

Résumant le montage de l'affaire, The Guardian explique que l'ancien ministre de la Justice Shahid Malik et le conseiller municipal du district de Calderdale Faisal Shoukat sont actionnaires de RT Diagnostics et de Real Time Diagnostics. Malik détient une participation majoritaire dans RT Diagnostics, selon les documents de la Companies House (l'Infogreffe britannique), détenue par l'intermédiaire d'une société dont il est l'unique actionnaire appelé Premier UK Life Sciences, laquelle a été créée en février 2021, un mois avant la constitution de RT Diagnostics.

Le Guardian cite aussi la réaction de la société qui nie toutes les allégations précédentes, parlant d' « accusation 100% diffamatoire » et affirmant qu'en cas de kits perdus, elle prenait à sa charge tous les coûts postaux et remboursait à 100% les clients insatisfaits.

Le Guardian épingle aussi le camp politique opposé : dans un article du 15 août, il rapporte comment un membre du parti Tory (conservateur) et son fils se retrouvent confrontés à de multiples plaintes à cause des prestations médiocres de leurs entreprises privées qui fournissent des tests PCR Covid-19 aux voyageurs.

Le quotidien explique ainsi que le Dr Ashraf Chohan, fondateur et président des Amis conservateurs du NHS (une association visant à tisser des liens entre politiciens et travailleurs de la santé des secteurs privé et public), est le seul directeur de 1Rapid Clinics, une société de test Covid-19 approuvée par le gouvernement, mais dont un certain nombre de clients se sont plaints à cause de résultats reçus en retard, ou d'échantillons envoyés mais perdus, et enfin pour des demandes de remboursement refusées.

Mais le paroxysme de la situation semble avoir été atteint lorsque des photos ont fait surface en ligne montrant des boîtes de dépôt gérées par Randox, le plus grand fournisseur de tests PCR du Royaume-Uni, débordant de tests par écouvillons non traités (voir photos sur le tweet ci-dessous). Cible, cette fois de la colère des clients, le député conservateur Owen Paterson,  consultant rémunéré quelque 100 000 livres par an pour Randox.

BA, EasyJet, Ryanair... le secteur aérien soutient l'enquête sur les prix excessifs des tests

Ce système de libéralisation des tests Covid n'est pas seulement dénoncé par les consommateurs pour ces très nombreux cafouillages mais également par certains professionnels du voyage comme les compagnies aériennes, et plus particulièrement les "low cost »: elles critiquent les prix élevé des tests qui découragent certains vacanciers, surtout ceux qui voyagent en famille, de se rendre au Royaume-Uni.

Le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC) demande notamment que les tests PCR demandés à l'arrivée au Royaume-Uni, très coûteux, soient pris en charge par l'État, rapporte le Cambridge News. Virginia Messina, directrice générale par intérim du WTTC, a déclaré:

« Pour de nombreuses personnes - en particulier les familles et les petites entreprises avec un budget limité -, le coût supplémentaire de tests PCR inutiles fait la différence entre pouvoir voyager ou non. » (...) «Il est clair que de nombreux adultes britanniques ne peuvent tout simplement pas se permettre de voyager à l'étranger s'ils doivent payer le coût excessif des tests PCR. »

Elle ajoute :

« À tout le moins, nous soutenons l'enquête de la CMA [Competition and Markets Authority, Ndlr] pour examiner la tarification excessive des tests PCR qui décourage la relance des voyages internationaux. »

Le ministère de la Santé a répondu en partie à cette critique en rappelant lundi que plus tôt ce mois-ci, il a été confirmé que les vacanciers britanniques bénéficieraient de forfaits de test de voyage moins chers. À compter du 13 août, le coût des tests NHS Test and Trace pour les arrivées internationales a été réduit de 88 livres à 68 livres (79,50 euros) pour les arrivées ambre, vert, ou entièrement vaccinées  (**), et de 170 livres à 136 livres (159 euros) pour 2 tests pour les arrivées ambre  (**) qui ne sont pas complètement vaccinées.

Le 8 août, le Sajid Javid a saisi l'Autorité de la concurrence et des marchés (Competition and Markets Authority, CMA) pour lui demander d'examiner les problèmes liés aux tests de voyage PCR. Il a demandé au CMA d'effectuer un examen rapide et consistant du marché et d'évaluer les mesures qui pourraient être prises "pour garantir que les consommateurs ne soient pas confrontés à des coûts inutilement élevés ou à d'autres mauvaises prestations". Le rapport est attendu en septembre.

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NOTES

(*) Certains de ces tests à 20 livres vendus par correspondance, les moins chers, ne sont pas acceptés s'ils sont réalisés en visio et pas supervisés par un  praticien, selon un article du site de l'association de défense du consommateur Which?« La supervision ne peut pas se faire via une liaison vidéo ou autre moyen de télésanté, à moins que le test utilisé ne soit réglementé comme un auto-test. »

(**) Le Royaume-Uni a réparti les pays étrangers sur 3 listes, régulièrement actualisées, en fonction du niveau de circulation du coronavirus : rouge (circulation active du virus), ambre (intermédiaire) et verte (faible). La France est actuellement placée sur la liste ambre.

(avec AFP, The Guardian, Cambridge News, BBC, Gov.uk)

Jérôme Cristiani

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Commentaire 1
à écrit le 24/08/2021 à 12:13
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On chipote sur les prix mais pas sur la fiabilité des tests PCR... C'est incroyable avec quelle rapidité les gouvernements, l'OMS et les médias ont validé ce "test" PCR du prétendu (cf. absence de thèse) docteur Christian Drosten aux nombreux co...

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