EPR : la Cour des comptes rappelle l'État à l'ordre face aux dérives financières de Flamanville

Par Julien Mivielle, AFP  |   |  712  mots
(Crédits : Regis Duvignau)
Les sages de la rue Cambon ont publié à destination du gouvernement un rapport critique sur la filière EPR, qui fait notamment le constat des "dérives de coûts et de délais considérables" sur le chantier du réacteur de Flamanville (Manche), dont la mise en service n'interviendra que "mi-2023" au plus tôt. Au final, les coûts auront été multipliés par 3,3 (à 12,4 milliards d'euros selon EDF) et les délais par au moins 3,5. De fait, ce rapport est aussi un appel à la vigilance avant l'éventuel lancement de la construction de réacteurs nucléaires de dernière génération.

Après les "dérives" du chantier de l'EPR de Flamanville, la Cour des comptes a appelé jeudi le gouvernement à la vigilance avant de se décider sur une éventuelle construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération.

La Cour a publié un rapport critique sur la filière EPR, qui fait notamment le constat des "dérives de coûts et de délais considérables" sur le chantier du réacteur de Flamanville (Manche), dont la mise en service n'interviendra que "mi-2023" au plus tôt.

EDF table pour sa part sur un chargement du combustible nucléaire fin 2022, un calendrier qui avait été confirmé en mai par son Pdg Jean-Bernard Lévy, malgré le ralentissement occasionné par le confinement à la suite de la pandémie de covid-19.

"Il faut, selon EDF, une période de tests et de montée en puissance de six à huit mois après chargement du combustible pour que le réacteur puisse être mis en service commercial", a souligné le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse.

Des coûts multipliés par 3,3 et des délais multipliés par 3,5...

Au final, les coûts auront été multipliés par 3,3 (à 12,4 milliards d'euros selon EDF) et les délais par au moins 3,5. Les magistrats estiment que s'ajouteraient pour 6,7 milliards de "coûts complémentaires" en plus de la construction à proprement parler, dont une bonne part de frais financiers.

A l'étranger, les auteurs du rapport pointent du doigt des projets "peu rentables" même lorsqu'ils ont été menés à bien, comme les deux réacteurs chinois de Taishan qui fonctionnent et restent à ce jour les seuls EPR en fonctionnement dans le monde.

Le chantier d'Olkiluoto: depuis 15 ans en construction et toujours pas fini

Le chantier d'Olkiluoto 3 en Finlande, lancé dès 2005 par Areva, n'est pour sa part toujours pas achevé et a connu de nouveaux problèmes récemment.

Quant aux deux réacteurs en construction à Hinkley Point au Royaume-Uni, leur financement "pèse considérablement" sur la situation financière d'EDF, déjà lourdement endetté, juge le rapport.

Attendre le "retour d'expérience complet sur tous les EPR" avant de poursuivre

"Le retour d'expérience des chantiers menés et la planification du mix énergétique [ou "bouquet énergétique", Ndlr] à horizon 2050 sont nécessaires avant de décider de construire ou non de nouveaux réacteurs électronucléaires", a estimé Pierre Moscovici en évoquant l'avenir.

En raison des retards de Flamanville, le gouvernement a déjà prévenu que la décision de construire ou non de nouveaux réacteurs en France serait renvoyée au prochain quinquennat.

Avant cette décision, les magistrats suggèrent "un exercice de retour d'expérience complet sur tous les EPR construits ou en construction en France et à l'étranger".

Nécessité d'une "une analyse complète du mix électrique à l'horizon 2050"

Ils demandent aussi "une analyse complète du mix électrique à l'horizon 2050" préalable à toute décision. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui sert de feuille de route au gouvernement, a aujourd'hui pour horizon 2028 seulement.

Or, la décision de construire ou non de nouveaux réacteurs engagera la France "jusqu'au XXIIe siècle", souligne la Cour des comptes. Les enjeux financiers sont énormes: construire trois paires de réacteurs EPR2 (la version améliorée sur laquelle travaille EDF) coûterait 46 milliards d'euros. C'est sur ce scénario de six nouveaux réacteurs que l'électricien travaille actuellement à la demande du gouvernement.

"Calculer la rentabilité prévisionnelle de Flamanville 3 et de l'EPR2"

Pour pouvoir pendre une décision, la Cour prône également de "calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et de l'EPR2". Pour ce dernier, censé être moins cher, les estimations de coût reposent encore sur des "données partielles" et "des hypothèses à préciser", s'inquiètent les magistrats.

Ils alertent également sur la question du financement, qu'EDF ne pourra plus assurer seul à l'avenir et qui nécessitera donc une forme de soutien public.

Les difficultés "ne doivent pas conduire à disqualifier cette technologie", mais "il faut constater des difficultés passées considérables qui peuvent orienter les choix futurs", a conclu Pierre Moscovici.