Taxe carbone, le retour (mais en ménageant les industries polluantes, réclame de Rugy)

Par Cécile Barbière, Euractiv  |   |  955  mots
François de Rugy l'a assuré, la taxe carbone reste un des meilleurs leviers au service de la transition énergétique. Mais quant à l'usage qui sera fait de ses recettes, ainsi que sur le taux appliqué aux entreprises les plus polluantes, la position du ministre de la Transition écologique a interpellé les participants aux Assises européennes de la transition énergétique qui se tenaient à Dunkerque du 22 au 24 janvier. (Crédits : Gonzalo Fuentes)
La taxe carbone va rapporter à l'Etat 9 milliards d'euros en 2018 mais, pour les participants aux Assises européennes de la transition énergétique (à Dunkerque du 22 au 24 janvier), le compte n'y est pas. Car seule une petite part est affectée à la transition énergétique tandis qu'une partie importante des recettes revient au budget général de l'État. Or, l’affectation de cette taxe écologique exclusivement à la transition énergétique est LA condition de son acceptabilité par les Français. Malgré cela, non seulement le gouvernement a montré qu'il n'adhérait pas vraiment à ce changement de paradigme, mais encore il souhaite que la fiscalité ne décourage pas les industries les plus polluantes de rester en France. Un article de notre partenaire Euractiv.

La taxation du carbone est toujours le fer-de-lance de la réduction des émissions de CO2. Invité à la séance inaugurale des Assises européennes de la transition énergétique (à Dunkerque du 22 au 24 janvier), le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a remis sur la table la fiscalité écologique. Et plus précisément le sujet de la taxe carbone, mise aux arrêts fin 2018 pour endiguer le mouvement des "Gilets jaunes".

Adoptée en 2013, la Contribution Climat Énergie, ou "taxe carbone", fixe un prix à la tonne de C02 qui augmente d'une année sur l'autre. En augmentant le prix du carburant, la taxe carbone a concentré le ras-le-bol fiscal des "Gilets jaunes". Si la trajectoire de hausse pour 2019 a été mise en attente, son principe demeure une priorité pour le gouvernement, a rappelé François de Rugy lors de son passage à Dunkerque.

« Lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre la politique sur le climat, il y a un consensus. Nous ne sommes pas un pays où les climatosceptiques prospèrent », a rappelé le ministre de la Transition écologique.

Pour le successeur de Nicolas Hulot, la taxe carbone demeure « un des leviers les plus importants et efficaces pour le climat ». Raison pour laquelle la pause fiscale concédée par le gouvernement ne doit pas s'éterniser, a-t-il martelé.

La question de la trajectoire

« Oui, nous avons marqué une pause compte tenu des manifestations des "Gilets jaunes" », a-t-il souligné. Mais la question de la trajectoire doit être débattue. En 2018, la hausse de la taxe carbone a renchéri de 3 centimes le litre de carburant. À l'avenir, une trajectoire plus faible pourrait ainsi être envisagée, de l'ordre de 1 ou 2 centimes, selon le ministre. Le grand débat national lancé le 15 janvier par le gouvernement devra notamment se pencher sur la question de la fiscalité écologique.

« Mais on ne doit pas porter le débat sur la transition écologique comme si c'était un énième débat budgétaire », a de son côté mis en garde  Arnaud Leroy, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

La question de l'affectation des recettes la taxe

Car, outre la trajectoire de la hausse, c'est la question de l'affectation des ressources générées par la taxe, dont seule une partie est dédiée à la transition énergétique, qui doit être revue en priorité, ont soulignés les élus locaux présents. «Certains nous demandent où va l'argent. Répondons sur l'utilisation des ressources », a reconnu le ministre. Aujourd'hui, seule une part des recettes de la taxe carbone est affectée à la transition énergétique au travers de l'aide à la conversion des véhicules par exemple, qui a mobilisé 600 millions d'euros l'année dernière.

Mais, sur des recettes estimées à 9 milliards d'euros en 2018, le compte n'y est pas et une partie importante des recettes revient de fait au budget général de l'État. « Les gens acceptent de payer pour les taxes dédiées », a rappelé Pierre-Jean Crastes, vice-président du Grand Genève. « Ils sont d'accord à condition qu'il n'y ait pas suspicion qu'une partie de la taxe serve à payer autre chose que la transition écologique, par exemple les exonérations de la taxe d'habitation », a-t-il expliqué.

Nécessaire transparence dans l'allocation des recettes

Pour la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, la transparence dans l'allocation des recettes de la taxe est un pilier central de l'acceptabilité de cette fiscalité verte. «  Il s'agit du premier élément nécessaire : la confiance, car on voit bien que cette taxe carbone ne sert pas majoritairement à financer la transition énergétique », a rappelé l'ancienne secrétaire d'État à l'Écologie.

L'autre point d'achoppement mis en évidence par la CNDP à l'issue d'un grand débat sur la  programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en 2018, c'est le sentiment d'injustice fiscale éprouvé par les citoyens au sujet de la taxation écologique.

« La transition énergétique aujourd'hui est vécue comme une injustice sociale. Notamment avec la fiscalité du carburant qui vise les ruraux et semi-ruraux », a expliqué Chantal Jouanno. « Dans les conclusions en juin, le débat public avait déjà pointé le risque de jacquerie fiscale ».

Autre biais fiscal dénoncé par les citoyens consultés dans le cadre du grand débat sur la PPE, la faible taxation des « gros pollueurs » par rapport aux citoyens. En effet, la taxe carbone à la française prévoit une ribambelle d'exceptions allant de l'agriculture au transport aérien et maritime, en passant par les industries les plus polluantes déjà taxées dans le cadre du marché européen du carbone, où le prix du CO2 est bien moindre.

Eviter une fiscalité trop forte pour les industries polluantes

Pour le ministre, l'inclusion de certains secteurs dans le champ de la taxe française peut être mise sur la table. Mais en gardant à l'esprit l'enjeu de compétitivité des industries polluantes. Une fiscalité trop forte des activités pourrait en effet pousser à une délocalisation vers des pays où la production sera bien plus émettrices en CO2, a mis en garde François de Rugy, citant notamment l'exemple de la sidérurgie et de la concurrence chinoise.

Du côté des élus locaux, les intentions du gouvernement sur la taxe carbone interrogent. « Il faut qu'une partie de la fiscalité écologique soit affectée aux projets locaux  », a rappelé  Anne Walryck présidente de Bordeaux Métropole. « Mais sur l'affectation des taxes, j'ai senti une ouverture », affirme-t-elle.

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Par Cécile Barbière, Euractiv.fr

(Article publié le mercredi 23 janv. 2019)

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