Nucléaire : la trajectoire énergétique française se complique

Le report de l’avis générique de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la poursuite du fonctionnement de certains réacteurs au-delà de quarante ans, révélé le 24 octobre, pourrait avoir de lourdes conséquences sur la mise en œuvre de la loi de transition énergétique. Et, au-delà, sur l’image du nucléaire dans l’opinion publique, et la perception du rôle de l’Etat en matière de stratégie énergétique.
Dominique Pialot
21 réacteurs auront dépassé 40 ans avant que l'Avis de l'ASN concernant leur prolongation soit rendu

C'était la bible sur laquelle devait s'appuyer le gouvernement pour déterminer quels réacteurs fermer en priorité dans le cadre de la loi de transition énergétique et de l'objectif qu'elle fixe de 50% d'électricité nucléaire dans son mix à l'horizon 2025. Mais, selon l'AFP qui l'a appris de source concordantes le 24 octobre, l'avis générique de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la poursuite du fonctionnement des réacteurs de 900 mégawatts (MW) au-delà de quarante ans, initialement prévu pour 2018, risque d'être reporté au-delà de 2019. Et même jusqu'à 2021 selon Enerpresse. Yves Marignac, directeur de l'agence Wise-Paris et membre du groupe permanent d'experts pour les réacteurs nucléaires à l'ASN, a confirmé l'information:

"Le cadre générique de prescription dans lequel devra s'inscrire la prolongation des réacteurs de 900 MW ne sera connu qu'en 2021 au mieux", a-t-il confirmé.

Or, les présidents et gouvernements successifs s'abritent systématiquement derrière les futurs avis de l'ASN, non seulement comme fondements des décisions de prolongation des centrales actuelles mais aussi comme base du calendrier de fermeture de certains réacteurs dans le cadre de cette loi. La Cour des comptes a d'ores et déjà évalué à 17 - un chiffre repris par Nicolas Hulot - le nombre de réacteurs à fermer pour atteindre 50% du mix électrique français. Certes, plus personne ne croit depuis un moment déjà à la faisabilité de cet objectif d'ici à 2025, mais ce report complique encore sérieusement l'équation  puisque l'avis générique qui vient d'être reporté doit précéder les avis particuliers portant sur chaque réacteur.

Comment en est-on arrivé là ? Pour Yves Marignac, l'ampleur de la tâche a été sous-estimée par l'ASN et l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire). En outre, leurs équipes ont été mobilisées de façon imprévue par les déboires concernant la cuve de Flamanville, et plus largement les malfaçons observées dans l'usine Areva du Creusot. Cet épisode a fait naître une certaine défiance entre l'ASN, l'IRSN et l'opérateur EDF, encore accrue par les incidents génériques relevés en juin et septembre derniers et concernant au total pas moins de 40 réacteurs. « Ces anomalies relèvent de raisons de vétusté banales qui auraient dû être traitées », commente Yves Marignac.

Sûreté dégradée

Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que les autorités de sûreté ressentent la nécessité de se montrer plus exigeantes encore dans leurs vérifications. D'autant plus que « La requête de l'ASN portant sur un niveau de sûreté aussi proche que possible de celui d'un EPR neuf pour la prolongation des centrales atteintes par la limite d'âge au-delà de 40 ans semble aujourd'hui hors d'atteinte » d'après Yves Marignac.

« Je ne suis pas surpris, mais je suis inquiet, observe l'expert. Nous assistons à une dérive globale qui dégrade progressivement la sûreté. Tous les voyants sont au rouge. »

La demande de fermeture temporaire de la centrale de Tricastin que l'ASN a imposée à EDF le 28 septembre dernier le temps que soient effectués des travaux de renforcement d'une digue -réclamés de longue date - est une première. Pour Yves Marignac, « C'est un signal envoyé à EDF dans un contexte où l'ASN semble ne plus guère avoir de prise. »

Stratégie énergétique perturbée

Ce report est potentiellement lourd de conséquences pour le gouvernement et sa stratégie énergétique. D'une part, outre Fessenheim, 19 réacteurs auront atteint la limite d'âge de 40 ans d'ici 2021. Mais de surcroît, la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour la période 2018-2021 est en cours de construction.

Concernant la prolongation au-delà des 40 ans, l'autorisation à poursuivre l'activité, délivrée à l'issue du réexamen de sûreté concomitant aux visites décennales, n'a pas de limite dans le temps. Elle est valable jusqu'à l'examen suivant. Autrement dit, si l'examen n'a pas lieu à la date prévue, la licence se poursuit.

« Le plus confortable, c'est de prolonger les centrales puis de construire des EPR sur les sites existants, comme c'est déjà le cas à Flamanville, reconnaît Nicolas Goldberg. Cela permet de maintenir les bassins d'emplois et c'est plus simple que d'entamer une transition et de construire de nouvelles filières. »

Pour autant, pour Yves Marignac, « La stratégie de fuite en avant des gouvernements successifs ne peut pas continuer indéfiniment. En principe, les examens doivent avoir lieu tous les dix ans. Cette faiblesse réglementaire va donner du grain à moudre aux opposants à la prolongation. »

La menace du fait accompli

« Plus le temps passe, plus on est devant le fait accompli et ce manque de transparence peut susciter de la méfiance dans l'opinion publique, renchérit Nicolas Goldberg. Nous pouvons prolonger les centrales nucléaires, mais l'État doit assumer qu'il s'agit d'un choix industriel, et non un fait accompli subi ».

Dire « on prolonge parce qu'on n'a pas le choix », c'est terrible pour la filière et n'aide pas à avoir confiance dans notre industrie nucléaire actuelle. »

D'ailleurs « Ce ne serait pas rendre service au nucléaire, estime-t-il. Montrer un État impuissant face à l'industrie ne contribuerait pas à redorer son blason face à un sentiment antinucléaire naissant. »

« Soit on laisse les choses dériver, ce qui créera un sentiment de perte de maîtrise de la situation et de mépris des principes démocratiques, soit le politique reprend la main », résume pour sa part Yves Marignac.

Crash de sûreté ou crash économique

« Quoi qu'il arrive, poursuit-il, ce n'est pas possible qu'il ne se passe rien sous ce quinquennat. Soit on assiste à un choc politique, soit il se produit un crash, sur le plan de la sûreté ou sur le plan économique. »

Dans un contexte de surcapacité de production, le nucléaire actuel caréné pourrait en effet sortir de sa zone de rentabilité, car le coût de production est très dépendant du facteur de charge des centrales, qui devrait être réduit pour s'adapter à cette surcapacité. Le gouvernement peut parfaitement y remédier en rémunérant des capacités ou en instaurant des tarifs d'achat pour le nucléaire caréné. « Il n'est pas dépourvu de moyens d'action, même s'ils devraient être validés au regard des règles de la concurrence, mais de légitimité à agir », estime Yves Marignac.

Selon lui, le gouvernement peut précisément faire de cette annonce une opportunité politique pour reprendre la main. Notamment en prenant des décisions concernant le nucléaire dans le cadre des travaux préparatoires à la PPE 2018-2023 sans attendre l'avis de l'ASN.

Une PPE 100% politique

« Que l'ASN prenne le temps d'examiner chaque cas, c'est un point positif, reconnaît pour sa part Nicolas Goldberg, manager au sein du cabinet Colombus Consulting. Mais que cet avis soit reporté à 2021, cela crée un décalage entre le discours politique et la réalité industrielle. On ne peut pas attendre 2021 pour entamer la fermeture de suffisamment de réacteurs pour atteindre 50% du mix électrique en 2025. »

Le gouvernement ne dispose pas de l'autorité lui permettant de fermer des réacteurs, à moins qu'un risque avéré lui soit remonté, ce qui n'est pour le moment pas le cas. «

Son seul outil pour orienter le mix énergétique, c'est la PPE, reconnaît Nicolas Goldberg. L'ASN renvoie le gouvernement à une décision politique. »

« Concernant la décision de prolongation en fonction de la sûreté, la décision de l'ASN est première. Mais s'il s'agit d'un arrêt politique, c'est la décision du gouvernement qui est première », complète Yves Marignac.

Des enjeux sociaux à anticiper

Le gouvernement pourrait d'ailleurs saisir l'IRSN et l'ASN sur la question des réacteurs à fermer en priorité, indépendamment des examens de sûreté. « Mais elles ne veulent pas porter la responsabilité de désigner quelles centrales fermées, avec les enjeux sociaux que cela implique dans des bassins d'emploi le plus souvent très dépendants de cette activité, souligne-t-il. Pourtant, c'est gérable. Les Allemands ont déjà fermé plusieurs sites sans que cela pose de problème particulier sur ce plan. »

Bien sûr, « Il faut créer les conditions pour qu'EDF développe un plan stratégique conforme à cette décision, assorti de mesures telles que, par exemple des garanties sur des prix d'achat, qui permette de ne pas léser les actionnaires minoritaires et de ne pas mettre l'entreprise encore plus dans le rouge. »

« Quelle que soit la décision concernant la prolongation, il faut surtout arrêter des choix pour le post 2025 et anticiper la construction de nouveaux moyens de production, appuyée par une filière d'emplois locaux et nationaux, insiste Nicolas Goldberg. Ce n'est pas ce qui se dessine actuellement. »

Dominique Pialot

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Commentaires 32
à écrit le 31/10/2017 à 5:07
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Peuple de France, croisez les doigts.

à écrit le 30/10/2017 à 18:20
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Le problème de fonds n'est pas spécialement le "nucléaire", c'est celui de la distribution de l'énergie Public ou Privé. Les arguments des uns ne sont souvent que les arguties des autres selon qu'ils pensent Public ou Privé. Dans ce domaine comm...

à écrit le 29/10/2017 à 16:37
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@ Bachoubouzouc : La réalité est que le nucléaire n'aurait jamais vu le jour sans une décision politique car il n'était pas rentable à l'époque et qu'en plus il à réduit et tenté de tuer d'autres énergie pertinentes comme l'hydraulique, le solaire th...

le 30/10/2017 à 11:30
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Il est normal pour toute technologie de nécessiter un coup de pouce au début. Mais là avec les ENR le coup de pouce dure depuis 15-20 ans, sans espoir que la technologie rende le service promis : Les ENR ne font pas baisser les émissions de CO2 f...

le 31/10/2017 à 9:01
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Bachibouzouc, Scientifique du CEA a raison, le nucléaire ne pourra pas lutter contre les technologies de stockages d’énergies qui se développent.

à écrit le 28/10/2017 à 18:37
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Comment est-il possible de parler du nucléaire en 2017 en omettant de dire que d'ici à quelques années le nucléaire ne sera plus viable économiquement, face aux coûts bien moindre des énergies renouvelables ? Le prix du solaire photovoltaïques sera b...

le 29/10/2017 à 9:32
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Avec des prix du stockage anticipés a au mieux 150€ du MWh stocké pour la prochaine décennie (et un prix de marché autour de 40€/MWh), le coût de cette étape est tout sauf dérisoire. C’est même la clef du problème. Et pour l’instant, rien de ce qu’o...

à écrit le 28/10/2017 à 7:32
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Conclusion; je cours faire un stock de bougies .... et de beurre! Sus aux abris!

à écrit le 27/10/2017 à 23:23
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La réalité est que le nucléaire ancien ne tient plus la route en deçà de prix très supérieurs à 40 euros le MWh comme EDF le confirme encore récemment et que ses prix vont être durablement en hausse. Le solaire tend vers 17 à 25 euros le MWh et l'éol...

le 29/10/2017 à 9:39
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La réalité est que les subventions accordées aux ENR déforment totalement le marché, rendant aucun actif non subventionné rentable. Pourtant les moyens nucléaires et fossiles sont toujours nécessaires pour la sûreté du réseau, de plus en plus menacé...

à écrit le 27/10/2017 à 19:53
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Les américains qui ont le même type de centrales que nous (REP) ont prolongé l'autorisation de fonctionnement jusqu'à 60 ans.

le 28/10/2017 à 6:26
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...mais ils ferment leurs réacteurs à 40 ans même lorsqu'ils ont l'autorisation des 60 ans, comme Crystal River 3, San Onofre 1 et 2, Kewaunee 1 !!!

le 29/10/2017 à 9:41
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Que les américains rendent leurs centrales nucléaires en produisant à fond à côté du gaz de schiste n’est pas la question : Les tranches REP peuvent techniquement fonctionner jusqu’à 60 ans. Et en France, leur exploitant aimerait être autorisé à le f...

à écrit le 27/10/2017 à 18:37
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Il est impensable que EDF soit juge et partie concernant les choix énergétiques du futur ! Les solutions les plus décentralisées et propres devraient être toutes analysées par des comités de sages indépendants très compétents, sans laisser aucune...

le 27/10/2017 à 20:47
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L'analyse a déjà été faite: le moins cher et le plus stable c'est le nucléaire sinon on n'obligerait pas edf à brader son électricité aux autres vendeurs d'électricité comme avec l'arentd

à écrit le 27/10/2017 à 16:03
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La situation est connue de tous depuis longtemps, mais on joue à faire semblant et maintenant à se faire peur. La sortie ou pas n’est pas la question, sauf si l’on considère que les centrales ont une durée de vie illimitée, ce qu’il faudrait démontr...

le 29/10/2017 à 9:51
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Un raisonnement tel que le vôtre est effectué par EDF depuis longtemps et sa conclusion est qu’il n’y a pas photo : Prolonger nos tranches coûtera de l’ordre de 50 milliards d’euros (dont une partie a déjà été engagée) pour avoir 62GW de moyens de p...

à écrit le 27/10/2017 à 15:56
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Il serait temps de revenir à un débat rationnel. Par exemple en se fixant des objectifs politiques ayant un sens, plutôt qu'un objectif de 50% en 2025, complètement irréaliste d'un point de vue industriel, et sorti d'un chapeau pour satisfaire en...

à écrit le 27/10/2017 à 14:45
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Le chiffre de 50 % max pour la part du nucléaire dans le mix énergétique est totalement absurde et a été inventé pour satisfaire les bobocolos comme M. Hulot. Lequel ne connait rigoureusement aux problèmes énergétiques. Les Allemands sont en train de...

à écrit le 27/10/2017 à 13:36
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Je suis d'accord, il va y avoir un clash politique. De mon point de vue on le sait depuis longtemps, mais bon... Et c'est normal étant donné que le gouvernement de Macron fait des promesses qu'il ne peut pas tenir (ceux d'avant en ont fait autant, ce...

à écrit le 27/10/2017 à 12:50
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Exact, ca va couter une fortune et aurait du etre budgété des le 1er kWh, or ca ne l'a pas été suffisemment car les evaluations premieres ont été faites avec beaucoup de légerté puis que personne n'a corrigé le tir car il aurait fallu admetter que ce...

à écrit le 27/10/2017 à 12:50
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Cet article est un bon exemple de propagande anti nucléaire Il n'y a pas de surproduction: il y a une surcapacité européenne qui est en train de se résorber avec la fermeture des centrales thermiques Le sud de l'Europe manque est deja déficitaire ...

à écrit le 27/10/2017 à 11:42
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Ça va coûter une fortune le démantèlement des centrales. Heureusement , il y a les retraités que se feront un plaisir de payer la facture en vendant leurs yachts, les propriétés piscine tennis etc...Avec 1400 e pat mois, on peut s'en payer des loisi...

le 27/10/2017 à 12:53
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C'est sûr qu'entre les bobos et les retraités du babyboom la génération la plus vernie de l'Histoire, la France a un grand avenir comme nation développée

le 28/10/2017 à 16:44
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la génération la plus vernie de l'histoire qui n'a jamais travaillé 35 H.,pas de rtt, était aussi compétitive ,capable de vendre sa production ,et travailler

à écrit le 27/10/2017 à 11:18
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Qu'il n'y ait pas de contradicteur à M. Marignac un anti-nucléaire est assez choquant. L'ASN est une haute autorité administrative indépendante, l'Etat n'y pourra rien. Ce n'est pas de sa faute si cet objectif est totalement irréaliste. Et tant pi...

à écrit le 27/10/2017 à 9:36
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Merci pour cet article mais nous voyons bien que lrem n'est que le parti des lobbys, ils se sont couchés devant le dumping social imposé par les pays de l'est, devant le glyphosate imposé par bayer et devant la rigueur rigoureuse austère des allemand...

le 27/10/2017 à 13:39
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"Avant de lancer des anathèmes, renseignez vous, l'ASN est une haute autorité administrative INDEPENDANTE comme l'AMF" Et alors ? Quel est le rapport avec mon commentaire ? L'avait vous compris ? L'avez vous lu au moins !? Bien entendu je...

le 27/10/2017 à 14:26
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Quel est le rapport entre LREM, l'ASN, et EDF ? Pourquoi couché contre le dumping social des pays de l'Est alors que la directive travailleur détachée a été signée en 1996 quand le fondateur de LREM passait son bac ? Pourquoi couché devaitn le glyp...

le 28/10/2017 à 9:04
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"Quel est le rapport entre LREM, l'ASN, et EDF ?" Non mais vous savez lire ou bien ce osnt de gros problèmes de compréhension dont vous souffrez ? A partir du moment où un parti se couche systématiquement devant lels obbys et le nucléaire en ...

à écrit le 27/10/2017 à 9:33
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L'avenir se prépare maintenant avec les bonnes décisions....et d'arrêter toute cette nébuleuse catastrophique ! Cela me fait penser à un bateau sans gouvernail...!

à écrit le 27/10/2017 à 8:24
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Le désastre nous pend au nez depuis un moment....d abord économique, avec en prime les deux epr anglais...... Souhaitons que le désastre ne soit que economique..... On se demande ce que fait l,état au conseil d,administration de edf...

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