Un recours d'une entreprise détenue par l'Etat contre une décision prise par... l'Etat. Le scénario n'est pas banal. C'est le bras de fer qu'engage EDF avec son actionnaire principal (84% du capital). Alors que ce dernier compte l'obliger, comme annoncé en janvier et formalisé par décret le 11 mars, à vendre davantage d'électricité à bas prix à ses concurrents afin de limiter l'augmentation des tarifs, le fournisseur historique ne compte pas se laisser faire. Et se montre bel et bien combatif face à une mesure que son PDG, Jean-Bernard Lévy, avait immédiatement qualifiée de « véritable choc » dans une lettre aux managers.
Et pour cause, celui-ci a annoncé ce jeudi 12 mai, à l'occasion de l'Assemblée générale des actionnaires du groupe, son intention d'engager un « recours gracieux » contre le dispositif, auquel l'Etat dispose de deux mois pour répondre.
« Comme indiqué dans son communiqué de presse du 13 janvier 2022, EDF prendra toutes mesures de nature à préserver ses droits qui lui paraîtront utiles en relation avec le décret du 11 mars 2022 mentionné ainsi qu'avec les trois arrêtés qui complètent le dispositif en cause. Dans ce cadre, EDF a adressé à l'Etat, dans des conditions de délais préservant ses droits, un recours gracieux demandant le retrait de ces quatre actes. En tout état de cause, EDF se réserve la possibilité de saisir les juridictions administratives compétentes », précise ainsi l'entreprise.
De fait, cette mesure, qui lui impose d'augmenter de 20% la production de 100 térawattheures (TWh) vendue dans le cadre de l'Accès réglementé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), devrait lui « coûter » cher : 10 milliards d'euros de manque à gagner sur l'année, selon mes dernières estimations d'EDF présentées début mai.
Et ce, alors même que l'entreprise fait face à un défaut de corrosion identifié dans plusieurs des réacteurs du parc, qui l'oblige à fermer une partie d'entre eux et abaisser drastiquement sa production pour 2022. Un véritable boulet, au moment où l'entreprise doit investir des dizaines de milliards pour prolonger les centrales existantes, et préparer la construction de nouveaux EPR.
Un rejet de la demande des syndicats par le Conseil d'Etat
A la suite de la publication du décret, les fédérations CGT, CFE-CGC, CFDT et FO du secteur de l'énergie, des membres du conseil d'administration et des représentants des actionnaires salariés avaient eux-mêmes demandé la suspension en urgence des textes réglementaires organisant ce qu'ils considèrent comme une « spoliation d'EDF ». Mais vendredi dernier, le juge des référés du Conseil d'Etat avait décidé de maintenir le dispositif, affirmant que « ni l'instruction, ni l'audience, n'ont permis de démontrer que cette mesure créait une situation d'urgence pour les intérêts financiers d'EDF, les conditions d'emploi de ses salariés ou les intérêts patrimoniaux de ses actionnaires salariés ».
« Le Conseil d'Etat a rejeté la demande considérant qu'il n'y avait pas d'urgence à suspendre cette décision, mais plutôt nécessité de la maintenir en attendant de se prononcer sur le fond », avait réagi lundi la CFE Energies.
Reste que, dans son avis, le Conseil d'Etat a considéré que la mesure présente un « intérêt public ». « Dans un contexte de forte hausse des prix, l'augmentation du volume d'Arenh devrait permettre de limiter sensiblement l'augmentation des prix de l'électricité », selon le juge.
Un dispositif nécessaire selon le gouvernement
De son côté, l'exécutif avait accusé EDF de charger la barque de ses pertes, assurant que la vente des 20 TW supplémentaires d'ARENH à ses concurrents ne coûterait en elle-même à l'entreprise publique « que de l'ordre de 3 milliards d'euros ». Les 7 autres milliards d'euros manquant à l'Ebitda d'EDF seraient donc dus à la moindre hausse tarifaire résultant de l'action du gouvernement.
« S'agit-il d'un service public, pour aider les Français, ou bien d'une entreprise dont le seul but est le profit ? Moi j'opte pour la première réponse », avait ajouté le 25 janvier le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, au micro de FranceInfo.
Un argument partagé par Jean-François Carenco, le président de la Commission de régulation de l'Energie (CRE). En effet, le haut fonctionnaire avait volé au secours du gouvernement, en affirmant fin janvier que la baisse de l'Ebitda d'EDF n'était « pas souhaitable mais indispensable », puisque sans intervention de l'État, le tarif réglementé aurait bondi à 44,5% pour les particuliers au 1er février, au lieu de 4%.
« Ce qui compte, ce sont les consommateurs, industriels et domestiques. Comment peut-on se moquer des consommateurs ? Oui l'Ebitda, la marge, a baissé de 8 ou 9 milliards. [...] Sauf qu'ils vont revenir un peu en-dessous de ce qu'ils avaient prévu en 2020 pour 2022. Ce n'est pas vrai qu'on pille EDF, ils auront juste moins à gagner. [...] Est-ce qu'EDF peut dire : « j'aurais pu gagner 8 milliards », et pendant ce temps, des entreprises ferment ? Ce n'est pas possible. EDF lui, n'est pas menacé de fermeture », avait-il tempêté au micro de FranceInfo.
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