Marée noire : "le durcissement de la sécurité devrait être favorable à Vallourec"

Interview exclusive de Philippe Crouzet, président du directoire de Vallourec. De la conjoncture à la chute de l'euro en passant par la marée noire, les opinions bien tranchées du patron d'une des plus belles entreprises françaises. En version intégrale.

La Tribune - Comment voyez-vous la conjoncture actuellement ?

Philippe Crouzet - Globalement, nous avons touché le point bas en volumes au premier trimestre et notre activité a retrouvé une tendance favorable. Nous avons des signaux contrastés selon les régions. Deux de nos gros moteurs de croissance, les Etats-Unis et le Brésil, sont bien repartis. L'Asie va bien aussi. Il y a peut-être même un risque de surchauffe dans cette région. Reste l'Europe où la conjoncture domestique est moins bonne, mais qui constitue aussi pour Vallourec une base d'exportation.

 

- La chute de l'euro est donc une bonne nouvelle ?

- Pour le groupe, oui. Car ce que nous produisons en Europe est en bonne partie exporté. Il faut réaliser que l'euro a dévalué de près de 20%. Avant la création de l'euro, une dévaluation de 20% était qualifiée de dévaluation compétitive ! Cette dévaluation était nécessaire : à 1,50$ pour 1?, l'industrie européenne était sur une trajectoire de suicide collectif.

- L'euro doit-il descendre encore ? Et arriver à la parité ?

- Nous pourrions aller vers 1,10, cela ne serait pas choquant. La parité n'est pas le reflet du potentiel respectif des uns et des autres. On parle beaucoup de l'endettement des Etats européens, mais regardez la dette américaine ! Ce qui est sûr aussi c'est que nous sommes repartis vers une période de volatilité de la monnaie, alors que jusqu'à présent nous étions figés à 1,50.
 

- Vous travaillez beaucoup pour les pétroliers. Quel pourrait être l'impact de la marée noire dans le golfe du Mexique ?
 

- A court terme, tant que la fuite n'est pas colmatée, les conséquences sont difficiles à analyser. Cet accident est terrible, sur le plan humain et environnemental. Il faudra du temps pour comprendre ce qui s'est passé. La position des autorités américaines est extrêmement difficile, écartelées entre ce qu'il faut faire pour rassurer les populations locales et mettre un terme au désastre environnemental et ce qu'il faut éviter de faire pour ne pas compromettre le futur de l'activité économique locale et des dizaines de milliers d'emplois.
A moyen terme, cette catastrophe se traduira sans doute par un durcissement des règlementations et un renforcement des dispositifs de sécurité. Cela devrait conduire nos clients à relever leurs spécifications techniques et entraîner le marché vers une demande plus premium, avec une prime plus importante attachée aux références techniques et à la technologie. Ceci devrait donc être plutôt favorable à des acteurs comme Vallourec qui ont une longue expérience, de très solides références et un fort axe de recherche & développement.

- Vous construisez aux Etats-Unis une usine de tubes dédiée aux gaz non conventionnels. Est-ce que la recherche de ces gaz se développe ailleurs ?

D'abord, elle devrait se développer plus que prévu aux Etats-Unis. La production de gaz non conventionnels connaît déjà une très forte croissance, et le renchérissement des coûts d'exploitation en eaux profondes devrait accroître la compétitivité relative de cette source d'énergie, en tout cas pour la partie substituable au pétrole, le chauffage domestique essentiellement.
Les gaz de schistes sont présents dans de nombreux endroits sur la planète. Des recherches sont en cours en Pologne, par exemple. Mais ce sera long, notamment parce qu'il n'y a pas de savoir-faire local. Les compétences sont aujourd'hui concentrées aux Etats-Unis où le développement du marché est facile et prometteur. Exxon, qui réalise les forages tests en ce moment en Pologne, est entré dans ce métier tout récemment, en septembre dernier, en rachetant l'indépendant XTO. De plus, il y a une différence juridique importante entre les Etats-Unis et la plupart des pays européens : aux Etats-Unis, le propriétaire du sol est propriétaire du sous-sol. Il est donc libre de donner accès à des exploitants gaziers. Alors qu'en Europe, la réglementation est plus lourde, avec des autorisations, des enquêtes publiques préalables à l'exploitation... Le développment des gaz de schiste devrait donc prendre de 5 à 10 ans. Un travail pédagogique est également nécessaire pour faire comprendre aux opinions publiques qu'il est irréaliste de tout miser sur les énergies renouvelables, qui sont chères et posent d'autres problèmes ; qu'il faut aussi pousser les énergies fossiles plus propres, comme le gaz, et accroître notre efficacité énergétique dans tous les domaines.

 

- Pourquoi le président Obama est-il venu visiter votre usine ?

- Il nous a rendu visite parce que nous investissons un montant important - 650 millions de $ - dans une région plutôt sinistrée. Le fait qu'un groupe industriel du secteur de l'énergie investisse dans cette zone ne lui a pas échappé. D'autant plus que c'est un Etat qui lui est cher. Il est venu prononcer un discours de politique économique et mettre en valeur l'efficacité de son plan de relance. Les deux communes sur lesquelles est situé notre projet ont reçu une aide fédérale pour remettre à niveau les voies de chemin de fer et les routes d'accès.  Du côté de Vallourec, cette visite nous honore. Elle accentue notre côté « américain aux Etats-Unis ». Ce qui est important car nous opérons dans une industrie stratégique où le nationalisme joue une part importante.

 

- Ces Américains savent que le FSI, donc l'Etat français, est entré au capital de Vallourec ?

- Sans doute mais pour eux, c'est un fonds souverain comme il en existe d'autres, certains présents aussi dans notre capital. C'est un type d'actionnaire qu'une entreprise comme la nôtre peut souhaiter. De long terme, sérieux, intéressé par notre secteur et prêt à accompagner notre croissance.

 

- Vous avez lancé un plan d'épargne salariale et 11.000 de vos salariés sur 18.000 sont devenus actionnaires de Vallourec. Ce sont surtout les Français qui souscrivent ?

- Non, nos collaborateurs du monde entier ont souscrit, c'est un résultat formidable. Sur le dernier plan lancé en 2009, en pleine crise économique, 65% ont répondu positivement. Il y a deux pays où le taux de souscription a été supérieur à la moyenne, c'est la France, où nous avons 5.000 salariés, et le Brésil, où nous en avons plus de 7.000. Dans ces deux pays, plus de 80% de nos collaborateurs ont participé. Cela est très encourageant. Nous allons reconduire ce programme cette année et l'accompagner, comme en 2009, de la distribution d'actions gratuites à tous nos collaborateurs.

 

- Avec le FSI d'un côté, les salariés de l'autre, vous avez l'impression que la structure de votre capital est stabilisée ?

- D'autres fonds souverains s'intéressent à notre secteur. Nous avons aussi un partenariat avec le japonais Sumitomo qui a près de 2% du capital de Vallourec. Dans une activité comme la nôtre, il est bon d'avoir une certaine part d'actionnariat stable et nous allons le développer. Mais nous resterons opéable.

 

- Qu'avez-vous changé en arrivant chez Vallourec ?

 

- Je suis arrivé à un moment où le marché s'effondrait et ma priorité a été de rendre le groupe plus mobile et plus flexible. A cet effet, j'ai supprimé un échelon hiérarchique et raccourci la structure pour améliorer l'efficacité des responsables opérationnels. Nous avons, avec le Directoire, décidé de rendre le comité exécutif plus international, avec un Allemand et deux Brésiliens et de renforcer les ressources humaines pour les mettre davantage au c?ur de la stratégie. Enfin, j'ai réuni au sein d'une seule direction, représentée au comité exécutif, les différentes composantes de l'entreprise travaillant pour le développement technologique, la recherche et l'innovation. D'une façon générale, j'ai cherché à clarifier la stratégie de développement pour dégager des axes forts et simples : être plus global et plus local, y compris industriellement ; être plus compétitif, c'est-à-dire flexible à court terme et avec une base de coûts structurellement plus basse ; enfin accroître encore davantage notre positionnement premium.

 

- Cela menace-t-il les investissements dans vos sites européens ?

- Entre 2005 et 2008 nous avons beaucoup investi dans nos usines en Europe. Ces sites restent importants dans la stratégie de Vallourec et nous les orientons vers le haut de gamme, les petites séries, les services à valeur ajoutée, les commandes à délais courts. Ce sont des prestations à forte valeur ajoutée sur lesquelles la compétitivité des coûts n'est pas le seul facteur déterminant. Par exemple, les produits destinés au forage sous-marin en eaux très profondes sont mis au point en France ou en Allemagne. Nous sommes par ailleurs présents en Europe sur des produits de niche importants que nous ne déplacerons pas, comme le nucléaire. Nous investissons actuellement sur ce marché pour tripler la capacité du site de Montbard en Bourgogne. Nous n'atteindrons jamais en Europe les coûts chinois, mais nous pouvons nous battre en nous appuyant sur notre réactivité, notre capacité d'adaptation et un enrichissement de notre offre vers des solutions à très forte valeur ajoutée.

 

- La France restera votre base principale ?

- Oui puisque nous y avons notre siège, une partie importante de notre recherche et plus de 5.000 collaborateurs. Mais le Brésil compte déjà plus de salariés que la France, et, avec les embauches liées à notre nouvelle usine qui démarre à la fin de cette année, il devrait dépasser 8.000 collaborateurs. Quant à l'Allemagne, elle a quasiment le poids de la France. Vallourec est donc déjà une entreprise très équilibrée.

 

- Vous êtes présent des deux côtés du Rhin. Comment analysez-vous les réponses apportées par ces deux pays à la crise ?

- L'Allemagne a d'abord cherché à défendre son industrie, alors que la France a choisi de défendre son économie tous secteurs confondus. Le dispositif de chômage partiel mis en place par les Allemands a par exemple été conçu pour sauvegarder les capacités de leur industrie dans la perspective d'un bas de cycle long. C'était faire le pari que l'on sortirait de la crise par le haut : et c'est bien ce qui est en train de se passer, nous le voyons avec le redémarrage des commandes de nos clients allemands exportateurs. Un autre exemple : la part que l'Allemagne consacre à la R & D a progressé depuis 5 ans alors qu'elle a baissé en France. Je pense que nous aurions intérêt à nous inspirer davantage du modèle industriel allemand. On voit que leur méthode est efficace. En France, le discours sur l'industrie a changé, et c'est tant mieux. Mais il manque souvent les actes.

 

- Vous le déplorez ?

- Je ne mets pas en cause le volontarisme de nos dirigeants. Tous les instruments de la politique industrielle existent en France. Tout le monde reconnaît que l'industrie est le secteur qui tire les autres. Mais, lorsque sont prises les décisions de politique générale, on n'intègre pas autant qu'il le faudrait le point de vue des industriels et la perspective des retombées de l'activité industrielle. Sur l'environnement, par exemple, on voit bien que la France n'arbitre pas comme l'Allemagne. C'est dommage.

 

- La taxe professionnelle a été supprimée...

- Il a fallu attendre 20 ans. Il y a une grande difficulté en France à reconnaître que certains secteurs sont moins exposés que d'autres à la concurrence internationale. Pour revenir à l'Allemagne, on entend souvent dire que, depuis 5 ans, les salaires y auraient moins progressé qu'en France. Si je compare les évolutions salariales chez Vallourec, je ne vois pas de différence. Ce qui a baissé en Allemagne ces dernières années, ce sont les charges sociales, et donc le coût du travail.

 

- Au prix d'une moindre protection sociale...

- Non, c'est inexact. Cette baisse a été compensée par une hausse de la TVA. L'Allemagne a, en quelque sorte, instauré une TVA sociale. C'est un arbitrage totalement inspiré par un souci de compétitivité internationale. C'est un choix clair, courageux, et efficace.

 

- Nous devrions faire de même ?

- S'il reste des marges de man?uvre sur la TVA, oui.

 

- La cogestion à l'allemande fonctionne mieux que le système français ?

- Dans notre cas, c'est comparable à bien des égards. Nous consultons et associons les syndicats à la plupart des décisions dans les deux pays, et nous avons un comité d'entreprise eurorpéen très actif. Disons qu'en Allemagne, c'est plus institutionnel. En outre, un des éléments forts de la cogestion allemande est l'apprentissage. En France, l'apprentissage est d'abord géré par l'Education nationale. En Allemagne, c'est une responsabilité de l'entreprise, avec un rôle important des syndicats, notamment dans l'intégration des jeunes. Lorsque nous avons dû nous adapter à une très forte chute d'activité en 2009, nos syndicats allemands plaçaient systématiquement la protection des apprentis comme premier sujet dans les discussions. En France, l'entreprise qui participe à l'apprentissage n'a pas le même degré d'engagement et de responsabilité, et les jeunes apprentis sont bien moins intégrés dans l'entreprise. Ce sont deux facteurs décisifs dans la réussite du projet d'apprentissage. Vous allez penser que je suis très pro-allemand. Je le suis lorsque je vois que ça marche.

 

- Et qu'est-ce qui ne marche pas en Allemagne ?

- Les Allemands sont très favorables à l'investissement, et disposent notamment pour cela d'un régime fiscal d'amortissement très favorable. Or l'investissement n'est pas toujours la meilleure allocation du cash. Au total, l'Allemagne a des investissements plus coûteux et des amortissements plus élevés que ceux de concurrents nouveaux comme les Chinois.

 

- Que pensez-vous de la réforme des retraites ?

- Un sujet important pour nous réside dans la gestion des carrières longues. Certains de nos collaborateurs ont commencé très tôt et auront atteint leurs années de cotisation avant 62 ans. Gérer leur fin de carrière sans les pénaliser ni peser sur l'entreprise ne sera pas aisé, Nous serons confrontés à des problèmes de motivation ou de relations avec les autres collaborateurs de l'entreprise. Il existe des solutions.
Un autre aspect important pour les entreprises est que le report de l'âge légal va créer un regard différent sur les gens de 56, 57 ou 58 ans. En France, c'est à cet âge que la collectivité de travail commence à se poser la question de leur départ. Ailleurs en Europe, l'âge légal étant fixé généralement à 65 ans et non à 60, la question n'émerge que trois ou quatre ans plus tard. Cela montre bien que le taux d'activité des seniors est très lié à l'image que l'on se fait de l'âge normal du départ en retraite. Dans certains secteurs en France, avec les préretraites, on a peu à peu installé l'idée qu'à 55 ans, on n'est plus bon à rien. Il faut revenir là-dessus et c'est ce à quoi la réforme nous invite. Je pense qu'avec des aménagements de postes pour les fins de carrière, on doit pouvoir rendre vivable sans tension particulière une durée de carrière un peu plus longue. C'est ce qui se fait ailleurs, et nous ne sommes pas génétiquement différents des autres européens.

 

- Dans la réforme des retraites, il y a aussi des mesures sur l'épargne...

- L'épargne longue n'est pas spécialement bien traitée dans cette réforme et c'est problématique. Pour les actionnaires, petits ou grands, compte tenu des niveaux de rendement actuels, 1% de fiscalité en plus ou en moins, çà compte. Veillons à ne pas les décourager. D'autant plus qu'en ce moment, les marchés financiers sont fermés pour beaucoup d'entreprises. Et on nous annonce que les assureurs, qui sont une partie des actionnaires les plus stables pour nos entreprises, risquent de disparaître parce que la réglementation Solvency 2 va leur imposer des contraintes prudentielles telles qu'ils ne vont plus investir en actions. pour les orienter vers les dettes souveraines. C'est très regrettable. Au nom de la politique industrielle, je ne trouverais pas anormal que les autorités françaises ou européennes s'expriment. Ce sujet, parmi d'autres, devrait s'inscrire dans le cadre d'une relance de la politique industrielle européenne face à des concurrents de plus en plus ambitieux. Il est encore temps !

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