Hervé Bourrier, ArcelorMittal : "Le plan climat de Bruxelles nous pose un problème majeur"

Et si les ambitions européennes de réduire de 40 % les émissions de CO2 à l’horizon 2030 étaient tout simplement irréalistes, au regard des actuelles capacités techniques industrielles ? C’est en tout cas sur cette conviction que le patron d’ArcelorMittal France bâtit son argumentaire…
Pour Hervé Bourrier, l'objectif de Bruxelles de réduire de 40% les émissions de CO2 est incompatible avec l'objectif de compétitivité de la sidérurgie européenne. Il estime à 1 milliard d'euros les pertes potentielles pour Arcelor Mittal en cas d'application du plan climat. | Crédits :

Après avoir restructuré ses activités dans l'Hexagone, le patron d'ArcelorMittal France dresse un bilan de l'activité du sidérurgiste en France. Il considère que l'on y peut gagner de l'argent en produisant de l'acier à condition d'avoir accès à un prix de l'énergie compétitif, et un cadre réglementaire climatique plus réaliste que les 40!% de réduction d'émission de CO2 à l'horizon 2030 que veut imposer Bruxelles. Ce point sera l'un des enjeux du Conseil européen qui se tient les 20 et 21 mars pour discuter d'un accord international sur le climat pour 2015.

 

La Tribune : Que reprochez-vous au cadre réglementaire du paquet climat ?


Hervé Bourrier : Si les ambitions politiques affichées de réduire de 40% les émissions de CO2 à l'horizon 2030 sont maintenues, l'impact sur le secteur sidérurgique serait potentiellement d'un déficit de quotas de près de 50%. Un objectif qui serait impossible à tenir, compte tenu de nos capacités techniques et technologiques actuelles.

Dans le cadre des initiatives que nous avons prises au niveau européen, nous avons mené une étude sur la capacité de notre secteur à réduire nos émissions qui conclue à une réduction de 15% de nos émissions à l'horizon 2050  sur la base d'un scénario technologiquement et économiquement réaliste . Cet objectif unilatéral de diminution de 40% pour 2030 nous pose donc un problème majeur.

Qu'allez-vous faire ?

Notre association Eurofer mène une action au niveau européen pour alerter sur les risques pesant sur notre secteur si l'objectif de la Commission   européenne est maintenu. L'ambition de réduire le réchauffement climatique est en soi légitime, et nous la soutenons. Je rappelle d'ailleurs que le secteur sidérurgique a réduit de 25% ses émissions depuis 1990. En outre, nous sommes une partie de la solution avec l'acier innovant qui permet par exemple de fabriquer des produits plus légers pour les véhicules. Mais nous demandons une approche réaliste du problème. 

La Commission et les Etats doivent prendre en compte nos contraintes techniques et technologiques à partir d'analyses basées sur les benchmarks des meilleures technologies disponibles pour que l'on puisse à partir de ces analyses établir nos réelles capacités à réduire nos émissions afin de fixer ensemble un ratio qui puisse correspondre à l'ambition affichée au niveau européen..

Nous sommes très mobilisés car très inquiets, 64 CEOs ont signé une lettre adressée en ce sens à la Commission. Car si cette ambition est maintenue, on doit nous donner alors les moyens, par exemple par le biais de 100% d'allocation gratuite de quotas pour les installations les plus  performantes de passer cette étape.  En même temps, cela nous permettrait de travailler à des solutions alternatives favorisant la réduction de nos émissions autant sur nos procédés que sur nos produits.

Etes-vous écoutés par le gouvernement français ?

Il y a une prise de conscience de l'importance de l'industrie et de la nécessité d'adapter les coûts de l'énergie et les contraintes réglementaires pour rendre notre secteur compétitif. Je rappelle qu'un emploi industriel chez ArcelorMittal, c'est entre trois et quatre emplois indirects.

Si l'objectif des 40% passe…

Cela veut dire qu'il y a une incompatibilité avec l'objectif de rendre notre industrie compétitive et porteuse d'avenir en Europe.

Quelles seraient les conséquences en termes de coût ?

Environ un milliard d'euros par an à terme pour ArcelorMittal.

Avez-vous achevé la restructuration des sites français d'ArcelorMittal France ou reste-t-il encore des sites à réorganiser ?

Nous avons mené à bien la réorganisation en France de notre outil industriel qui correspond aujourd'hui à la demande du marché et aux perspectives à venir. Cette restructuration était nécessaire car le marché avait baissé de 30 %. A Dunkerque qui est le plus gros site européen d'ArcelorMittal avec une production de 7 millions de tonnes, nous avons annoncé fin 2013 un investissement de 90 millions d'euros pour la réfection du troisième haut fourneau. Une opération qui va se dérouler dans les prochains mois.

La réfection va démarrer dès à présent, les appels d'offre ont été lancés et la mise en œuvre est attendue en 2015. A Fos, le site  qui sert principalement les marchés du bassin méditerranéen (4 millions de tonnes produites), a été également modernisé avec la réfection des deux hauts fourneaux dont le dernier en 2011. Ce sont des opérations lourdes qui ont nécessité plusieurs centaines de millions d'investissements mais qui donnent des perspectives sur les 20 à 30 prochaines années. Aujourd'hui nous sommes à même de capter la croissance.

Et Florange ? 

Nous avons aujourd'hui un site à Florange qui est renforcé sur son domaine d'excellence, celui de l'automobile. Nous disposons d'un produit phare avec Usibor®,pour le marché automobile, qui se développe très fortement et sur lequel nous avons l'ambition de doubler la capacité dans les trois prochaines années. Ce qui montre bien qu'au travers de cette filière d'excellence, ArcelorMittal lance des produits qui permettent de conforter notre dispositif en France.

A Florange, nous avons également une activité de transformation destinée à fabriquer des produits pour l'emballage. Nous sommes en train de conforter cette filière dans notre dispositif industriel et commercial.

Avez-vous pu finalement restructurer Florange autant que vous l'auriez souhaité ?

Ce sujet a été très politico-médiatique. Mais stratégiquement et industriellement, nous avions la nécessité d'arrêter la phase liquide de Florange qui n'était pas rentable. Parallèlement nous voulions développer l'activité aval de Florange avec des produits à forte valeur ajoutée comme Usibor pour les proposer à nos clients de la zone notamment en Allemagne… Finalement, cette stratégie a été confortée et validée avec l'accord signé avec le gouvernement français. Il a aussi permis de planifier 180 millions d'investissements sur les cinq prochaines années. Sur ces 180 millions, nous avons engagé déjà plus de 110 millions d'euros. Nous sommes en avance par rapport au plan.

Avez-vous terminé les réductions d'effectifs de Florange ?

En termes de redéploiement des équipes, nous avons quasiment terminé. Il n'y a eu aucun licenciement et l'ensemble des salariés affectés par l'arrêt de la phase liquide ont été reclassés ou ont trouvé une solution sur la base du volontariat.  Nous avons un site de Florange conforté où plus de 2.200 personnes travaillent. Aujourd'hui, nous avons une vraie dynamique qui doit nous permettre de devenir rentable sur ce site. 

Finalement, le groupe ArcelorMittal a beaucoup investi en France depuis le rachat d'Arcelor...

Le groupe a investi plus de 2 milliards d'euros sur les six dernières années dans nos usines en France. Nous employons près de 20.000 personnes pour un chiffre d'affaires non consolidé de 10 milliards d'euros.

Quand pensez-vous être rentable en France ?

Notre objectif est de rendre rentable nos activités françaises à l'horizon 2015. Si on peut le faire plus tôt, on le fera. Nous avons déjà réduit significativement nos pertes l'an dernier. La rationalisation nous permet d'utiliser au maximum nos outils industriels avec des ratios de plus de 90 %, contre 70 %, voire 50 % quand nous étions au plus fort de la crise. Nous avons progressé et gagné en performance opérationnelle. L'objectif fixé est d'utiliser au maximum nos outils.

Mais les difficultés du marché automobile en France ne freine-t-il pas votre retour à la rentabilité ?

ArcelorMittal est le leader mondial dans le secteur de l'automobile. Nous avons un portefeuille clients très large, notamment en étant fournisseur des constructeurs allemands et européens. Donc cela va au-delà des constructeurs automobiles français avec qui nous continuons à développer des solutions techniques et technologiques. Alors que le secteur automobile connaît des difficultés en France, il se développe  dans le reste du monde, en particulier en Europe.

Avez-vous le sentiment au regard de votre carnet de commandes que les deux constructeurs français vont rebondir ?

D'une manière générale, on voit une amélioration sensible du marché automobile européen. Tous les constructeurs vont pouvoir en bénéficier à terme. Notre dispositif en France nous permet d'accompagner les deux constructeurs français y compris à l'exportation. Nous livrons au Maroc et dans tous les pays où PSA et Renault sont implantés. Il existe une problématique française qui est assez spécifique mais le reste du marché est consistant. Cela nous donne des perspectives plus solides que ce que l'on a pu vivre ces deux dernières années.

Comment pouvez-vous améliorer votre compétitivité ?

En jouant à tous les niveaux, car un écart de quelques euros de la tonne d'acier peut être significatif sur un coût de production. Notre objectif est de travailler sur l'ensemble des coûts. Il y a évidemment ceux liés aux matières premières, à la logistique, aux salaires et aux charges mais également ceux dépendant de l'énergie et des contraintes réglementaires et environnementales, qui ont un impact extrêmement important pour nous.

Justement, avez-vous le sentiment que votre facture énergie est trop chère ?

L'énergie est un enjeu extrêmement important pour ArcelorMittal qui fait partie des secteurs électro-intensifs, fortement consommateurs d'énergie. Savez-vous que nous représentons, à nous seuls, 1% de la consommation totale d'électricité en France. Il est donc essentiel que nous ayons accès à une énergie à un coût très compétitif.

Par le passé, nous nous sommes associés à d'autres industriels pour créer le consortium Exeltium, et obtenir un prix compétitif. Grâce au mix énergétique français basé sur le nucléaire et des capacités en hydraulique et en renouvelables, nous devrions bénéficier d'un prix de l'électricité concurrentiel. Or le coût de l'électricité est 30% plus cher en France qu'en Allemagne où les industriels bénéficient d'exemptions, notamment liées au coût du transport, mais aussi au coût indirects du CO2. Et si l'on regarde les enjeux énergétiques à l'échelle mondiale, cet écart de coût entre l'Europe et les Etats-Unis, qui bénéficient notamment de leur gaz de schiste, est de l'ordre d'un facteur 3.

Que se passe-t-il au niveau européen ?

L'Europe doit avoir l'ambition de fournir une énergie compétitive qui bénéficierait aux industriels. Or la Commission est en train de remettre en cause certaines aides aux énergies renouvelables pour lesquelles nous avons besoin de maintenir les exemptions liées à notre secteur car il n'est pas logique qu'en tant que consommateur régulier et stable d'énergie le sidérurgiste soit obligé de payer le coût d'énergies renouvelables qui ne sont pas adaptées à notre propre production.

Etes-vous intéressé par Ascométal ?

Nous ne commentons pas. Mais Ascométal est un sidérurgiste qui n'est pas sur les mêmes productions que nous.

Pourquoi vous diversifiez-vous comme par exemple dans le chauffage solaire des bâtiments ?

Cette diversification montre bien que ArcelorMittal va très loin dans l'utilisation et la valorisation de nos aciers. Nous ne faisons pas que produire de l'acier simplement à la tonne, nous élaborons également sur des solutions très techniques et très élaborées en partenariat avec nos clients. C'est une stratégie qui nous permet d'augmenter la valeur ajoutée de nos produits et de nos services et qui permet d'avoir un avantage concurrentiel in fine grâce aux solutions que l'on propose.

Votre filiale ArcelorMittal Distribution Solutions (AMDS), qui n'est pas cœur de métier, a-t-elle un avenir au sein du groupe ?

La distribution fait partie intégrante de notre dispositif au niveau européen. En France, 5.000 personnes travaillent dans cette activité. Cette activité nous permet de servir grâce à l'ensemble de notre palette de produits tous les clients de proximité tout en jouant un rôle important dans le développement régional. Nous avons par exemple en France la gamme la plus large pour les métiers de la construction. Il n'est pas question de vendre AMDS.

ArcelorMittal va-t-il garder l'essentiel de sa recherche en France ?

Dans notre dispositif mondial, nous avons 800 chercheurs en France sur les 1.300 au total. Ils travaillent sur l'innovation à la fois des procédés et des produits. Le cœur de la recherche est bien évidemment en France et le restera.

Pourquoi ?

C'est l'héritage d'un savoir-faire technique et technologique qui nous a été transmis par l'ex-Usinor. Ces outils nous permettent aujourd'hui d'avoir une recherche efficace. Nous capitalisons  sur toute l'histoire de la sidérurgie en France, qui a permis de former des ingénieurs et scientifiques de qualité depuis des décennies. Il y a en France quelques domaines d'expertise, notamment sur la recherche procédé et sur la recherche automobile et énergie. Le Crédit impôt recherche est également un élément important qui permet de consolider le dispositif de recherche en France.

Finalement, qu'a amené le groupe Mittal à Arcelor en France ?

Quand on regarde le niveau d'investissements en France depuis l'acquisition d'Arcelor par Mittal, il est resté constant voire même en progression. Aujourd'hui la France est clé dans le dispositif mondial d'ArcelorMittal au travers des capacités de productions, des capacités d'innovations et du savoir-faire des équipes. Il y a une vraie importance de la France au sein du dispositif d'ArcelorMittal dans le monde et nous sommes vraiment dans une logique de conforter ce dispositif français.

Le modèle intégré mines/amont profite-t-il pleinement à Dunkerque et Fos ?

Une partie de nos approvisionnement viennent de nos sites miniers, notamment du Canada et du Liberia. Grâce à cette intégration, nous avons créé un pôle de recherche minier dans notre centre de recherche de Maizières-Lès-Metz qui travaille sur la performance de nos propres procédés par rapport au minerai. Cela nous donne un avantage concurrentiel.

La demande d'acier est-elle en train de repartir ?

Nous estimons que la croissance mondiale du marché devrait être aux alentours de 3,5 % à 4 % après une contraction en Europe et aux Etats-Unis en 2013. En Europe, nous restons d'un optimisme prudent. Notre dispositif français qui ne s'arrête pas à Dunkerque et Fos, concerne également plusieurs sites spécialisés sur les marchés de l'automobile, de l'emballage, de la construction et de l'énergie. Le marché de l'énergie, très orienté à l'exportation, est stratégique pour ArcelorMittal au même titre que l'automobile. Ces activités sont regroupées notamment dans notre filiale Industeel, spécialisée dans la fabrication de tôles fortes destinées à la fois pour le nucléaire et l'industrie pétrolière.

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Commentaires 7
à écrit le 22/03/2014 à 23:54
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On est dans le lobbying et le publi-reportage total !!! Que l'objectif d'une baisse de 40% de C02 d'ici 2030 soit un peu difficile pour ArcelorMittal, une réduction de seulement - je cite - "15% à l'horizon 2050 sur la base d'un scénario technologiq...

le 23/03/2014 à 4:42
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Il est faux de dire que l'Europe sidérurgique a du retard. En matière de consommation d'eau et d'énergie, elle est très bien placé et Dunkerque en particulier. Au lieu de faire des commentaires dénigrant l'industrie, allez voir les autres sidérurgies...

le 23/03/2014 à 7:45
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Lisez au moins ce que j'écris. Je ne disais pas que l'industrie sidérurgique de certains pays a du retard mais que l'objectif demandé par ArcelorMittal de réduction de seulement 15% du C02 à horizon 2050 soit en 36 ans n'est pas sérieux car à la fois...

le 23/03/2014 à 7:45
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Lisez au moins ce que j'écris. Je ne disais pas que l'industrie sidérurgique de certains pays a du retard mais que l'objectif demandé par ArcelorMittal de réduction de seulement 15% du C02 à horizon 2050 soit en 36 ans n'est pas sérieux car à la fois...

à écrit le 22/03/2014 à 12:50
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Retraite de dunkerque une ministre a mitterand en visite dans la region a declaree il faut fermer cette usine qui pue et pollue en 1986 l'usine continue a vivre et fait vivre la population qui en est fiere en plus elle a declaree les ouvriers de dunk...

à écrit le 21/03/2014 à 22:01
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Faire de l'acier sans produire de CO2 c'est impossible, alors je propose de diminuer de 40% la production d'acier c'est facile simple et stupide merci l'Europe !

le 23/03/2014 à 0:07
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Mais si il y a plusieurs techniques, d'abord la source d'énergie ou mix d'origine, ensuite les différentes méthodes de captation ou d'usage du CO2. Toutes les entreprises émettrices sont concernées et il y a de nombreuses et très intelligentes soluti...

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