« Nous allons créer une cellule de dialogue avec les ONG »

Par Propos recueillis par Philippe Mabille  |   |  1760  mots
Geoffroy Roux de Bézieux (Medef) : « Il n'y a plus beaucoup de patrons climatosceptiques depuis la signature de l'Accord de Paris en 2015 » (Crédits : DR)
ENTRETIEN Un an après son élection, le président du Medef va donner plus de place aux femmes et aux territoires dans la gouvernance du patronat et ouvrir le Medef à la société civile et aux ONG.

LA TRIBUNE - Montée des populismes, du protectionnisme, risques climatiques, crises migratoires et géopolitique... Comment les chefs d'entreprise peuvent-ils garder confiance dans l'avenir dans un monde sous de telles tensions ?

GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX - La confiance est constitutive de l'économie de marché. C'est quand on a confiance qu'on investit, qu'on consomme. C'est l'un des moteurs de la croissance. Les signaux perturbateurs sont en effet assez généralisés en ce moment, que ce soit à l'échelle du pays ou du monde. La montée des tensions entre la Chine et les ÉtatsUnis, même si je note une certaine accalmie depuis le G20 d'Osaka, mais aussi les risques de conflits régionaux au Moyen-Orient, notamment entre l'Iran et l'Arabie saoudite, tout cela crée un environnement complexe et déstabilisant pour les affaires. Les démocraties, à l'ouest, sont aussi sous tension, avec la poussée des populismes. La défiance envers les élites, les dirigeants, les institutions au sens large n'a jamais été aussi forte.

Dans notre sondage BVA/La Tribune, quand on interroge les Français pour savoir en qui ils ont confiance, les PME arrivent largement en tête, avec 77 % de taux de confiance, tandis que 80 % ont une mauvaise image des syndicats patronaux comme le Medef. Cela ne vous surprend pas, vous qui avez fait campagne en déclarant que le Medef peut mourir s'il ne se réforme pas ?

En effet, il y a encore un très gros travail à mener pour reconstruire la confiance. Je ne suis pas surpris par le haut niveau de confiance des Français dans les PME. Les gens ont davantage confiance dans les échelons les plus proches d'eux. Cela fonctionne de la même manière pour les maires. On a confiance dans les acteurs de proximité, que l'on peut approcher, et on se défie de ceux qui sont plus distants. Les syndicats patronaux peuvent apparaître centralisés, lointains, et c'est pour cela que nous avons transformé notre organisation pour aller vers plus de proximité dans les territoires. Cela nous pousse à accélérer les changements.

Vous avez en effet annoncé une réforme importante du Medef. Quelles en sont les grandes lignes ?

Cette réforme a été adoptée par l'Assemblée générale du Medef le 2 juillet, à 97,6 %. Signe qu'elle représentait une véritable nécessité. Le premier axe consiste à donner plus de place aux territoires dans la gouvernance en renforçant leur poids et leurs moyens d'action. Les 12 Medef régionaux seront désormais présents au conseil exécutif. Le deuxième axe, c'est d'organiser notre indépendance financière en renonçant volontairement aux subventions paritaires [le Medef perçoit 4,4 millions d'euros, soit 12 % de son budget, de sa participation à l'Unedic, à la Caisse nationale d'assurance-vieillesse et aux caisses d'allocations familiales, ndlr]. Pour renouer avec la confiance, il faut en passer par cette étape de transparence. Le troisième principe, c'est la démocratisation de l'élection, en élargissant le corps électoral, qui passera de 550 à 1100 délégués. C'est aussi la féminisation de nos instances. Nous nous fixons l'objectif de parvenir en trois ans à la parité économique, c'est-à-dire à 30 % de femmes. Nous devons aussi nous réformer en interne pour être plus efficaces au service de nos adhérents. Enfin, je souhaite ouvrir le Medef à la société civile, à un moment où les parties prenantes deviennent des interlocuteurs des entreprises. Nous allons donc créer une cellule de dialogue avec les ONG.

Vous avez dit qu'aujourd'hui, « Hulot est devenu plus important que Martinez »...

C'est une façon de souligner que, dans le contexte actuel, l'influence de la société civile au sens large doit être mieux prise en considération. Les syndicats de salariés demeurent bien sûr un pilier du dialogue social dans les entreprises, mais cela devient un dialogue tripartite, incluant les ONG pour prendre en compte toute la société. C'est particulièrement vrai dans le cas des entreprises cotées où les salariés, les clients et les actionnaires, comme les fonds d'investissement, demandent des comptes sur la RSE.

Le Medef se découvre écolo, comme Macron ?

Les entreprises ont pris conscience de la nécessité de faire évoluer leurs modèles de business. Il n'y a plus beaucoup de patrons climatosceptiques depuis la signature de l'Accord de Paris en 2015. Des engagements ont été pris à l'égard de la société dans son ensemble, la question qui se pose aujourd'hui est : comment les mettre en oeuvre. Or, on le voit de plus en plus, les nouvelles technologies, la science, sont en mesure d'apporter des réponses nouvelles, qu'il s'agisse de réduire les émissions de CO ou de 2 sobriété énergétique. Des modèles de production qui semblaient hors de portée, trop onéreux, sont en train d'émerger, et c'est notre responsabilité de chefs d'entreprise que d'en tenir compte. La pression vient de la société civile, mais aussi des clients et des salariés.

Le Medef n'attire plus, notamment les jeunes entrepreneurs. Comment inverser la tendance ?

En donnant, comme je l'ai proposé, plus de place et de représentation aux territoires, mais aussi en menant une campagne de prospection pour convaincre et recruter de nouveaux adhérents. Pour cela, nous allons développer une gamme de services aux entreprises mutualisés au niveau du Medef mais déployés sur l'ensemble du territoire. J'ajoute que nous avons créé un « comex 40 » rassemblant 45 chefs d'entreprise de moins de 40 ans, composé de 23 femmes et 22 hommes. Emmené par Paola Fabiani, il montre que le militantisme patronal se transmet et évolue. Ses premiers travaux porteront sur les impacts du recul de la démocratie et des migrations sur nos économies.

Sur l'assurance-chômage, l'État a repris la main. Le Medef a-t-il encore sa place dans le paritarisme ?

Le paritarisme de négociation est face à deux difficultés. Les réformes du marché du travail ont renvoyé les négociations vers les branches et les entreprises. Ce qui semblait encore possible au siècle dernier - une négociation interprofessionnelle nationale couvrant l'ensemble du spectre - n'est plus envisageable dans un monde où coexistent des entreprises de plus en plus diverses. Il faut essayer de réinventer, définir le cadre de négociations nationales avec les syndicats de salariés qui ne soient pas normatives, mais plutôt indicatives, sur des sujets nouveaux. Il y a des changements en cours dans le monde du travail qu'il est indispensable d'aborder : sur l'impact du numérique, de l'automatisation, de l'intelligence artificielle, nous n'en sommes qu'au début. Cela va bouleverser nos manières de travailler.

Sur le paritarisme de gestion, ou de mandat comme les prud'hommes, il y a aussi des questions qui se posent. Il faut y répondre de manière pragmatique. Ce n'est pas blanc ou noir, tout bon ou tout mauvais. Il y a des cas où le paritarisme de gestion a bien fait son travail, exercé ses responsabilités, comme sur les retraites complémentaires, où les partenaires sociaux ont trouvé des accords constructifs et innovants. Et d'autres, comme l'assurance-chômage, où il a échoué, mais c'est aussi, il faut le dire, parce que l'État a empiété en permanence sur les prérogatives du paritarisme. Par exemple en accordant sa garantie sur l'endettement, ce qui a déresponsabilisé les acteurs, en finançant une partie de Pôle emploi sur le compte de l'Unedic. De fait, cela fait un bon moment que le chômage n'est plus une assurance.

Donc la réforme actuelle, c'est le coup de grâce final ?

C'est la question d'une nouvelle gouvernance de l'Unedic adaptée à la réalité nouvelle qui se pose.

Si on va au bout de cette logique, on va avoir d'un côté une solidarité chômage financée par la CSG, et de l'autre la tentation de baisser les cotisations patronales pour financer des assurances privées que ne vont pas manquer de réclamer les salariés, notamment cadres...

Je suis d'accord sur le principe, la philosophie du système a changé, mais la loi ne le permet pas. On l'avait proposé au début de la négociation, avec un socle minimal d'indemnisation collectif, payé par l'impôt et une assurance complémentaire financée par une baisse des cotisations patronales. L'État s'y est farouchement opposé ! La seule conséquence prévisible de la réforme, c'est le renchérissement des ruptures conventionnelles.

L'Université d'été du Medef, devenue la Rencontre des entrepreneurs de France (REF), se tient cette année à l'hippodrome de Longchamp, pas à HEC. Pourquoi ?

Le lieu n'avait pas changé depuis vingt ans. Nous souhaitions nous réunir plus près de Paris pour pouvoir accueillir plus de monde, tout en restant dans un cadre estival et convivial. Nous avons choisi un thème pour susciter du débat, « No (s) futur (s), quel capitalisme demain », parce qu'aujourd'hui, le modèle capitaliste est confronté à de nombreux défis pour nos démocraties libérales : le climat, les inégalités, qu'elles soient géographiques, de revenus, de destin, les conflits géostratégiques... Nous voulons aborder ces thèmes sans esprit partisan, avec sérénité et lucidité. Il y aura deux formats : le in, pour des débats et des controverses sur les questions de sociétés ; et le off qui sera un espace d'échanges et networking à destination de nos adhérents.

Le style Roux de Bézieux au Medef, comment le définissez-vous ?

Chaque président du Medef a imprimé son style en fonction de l'offre politique du moment. Ce n'est pas la même chose d'être président du Medef en 2013 et en 2018. La politique menée par le gouvernement détermine le choix des combats, des priorités et de la communication qui en découle. Nous sommes dans une logique de propositions face à un gouvernement qui a une attitude globalement pro-business et a fait des réformes importantes. Mais l'expérience des derniers mois, où ont été prises des mesures qui ne nous sont pas favorables, nous inquiète un peu, qu'il s'agisse du bonus-malus sur les contrats courts, de la suppression de certaines niches fiscales et sociales ou de l'ampleur des défis budgétaires à venir, surtout en cas de retournement de la conjoncture. Pour l'instant, l'État se drogue aux taux bas. On a besoin d'un cap clair, de stabilité, de cohérence : c'est parfois ce qui fait défaut au gouvernement.