En Occitanie, les villages voient fleurir des épiceries gérées par les habitants

Les épiceries associatives se multiplient dans les petits villages occitans. Une solution pour consommer local et recréer des lieux de convivialité en milieu rural. Reportage. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger", actuellement en kiosque).
(Crédits : Frédéric Scheiber)

« Lors du premier confinement, notre restaurant était à l'arrêt complet. Une voisine m'a demandé : "Tu n'aurais pas de la farine ?" Et nous avons commencé à ouvrir notre stock d'épicerie. Avec l'arrivée du printemps, nous avons intégré le producteur local d'asperges. Nous avons groupé les commandes du village et nous vendions notre stock. Au début, les demandes étaient centralisées sur la page Facebook de l'auberge et puis nous sommes passés à un groupe privé sur Messenger mais c'était un peu compliqué à gérer », se souvient Camille Bohen.

Un concept en plein essor

Avec son mari, elle tient le seul restaurant de Bardigues, un village de moins de 300 âmes, niché au cœur du Tarn-et-Garonne et à quelques encablures du Gers. Depuis juin 2020, l'auberge met à disposition un petit local de 40 m2, juste en face du restaurant pour héberger l'Épi, cette épicerie participative gérée par une vingtaine d'habitants de Bardigues et des villages environnants. Cette dernière est idéalement située dans la rue de la mairie et à quelques pas de l'église de la commune. Pour équiper le commerce, l'épicerie a pu bénéficier de dons d'habitants du village : un ordinateur pour gérer les commandes et la pesée des légumes, des étagères pour disposer les produits et même des boîtes pour le vrac.

Début 2022, le réseau Mon Épi comptait 85 commerces gérés par des habitants en France dont une demi-douzaine en Occitanie. Mais l'engouement est tel que le nombre de magasins en projet est trois fois plus important. La plateforme Mon Épi met gratuitement à disposition de ses adhérents un logiciel pour gérer le commerce et assurer la boutique en ligne pour les précommandes.

De son côté, le mouvement Bouge ton Coq a créé en novembre 2020 une plateforme de dons pour soutenir l'essaimage d'épiceries associatives dans les petites communes en collaboration avec l'Association des maires ruraux de France (AMRF) qui utilise son réseau pour promouvoir l'initiative auprès des élus. « Le local est prêté par la mairie et pour lancer chaque épicerie, sur 2 000 euros de dons collectés, 1 100 euros sont utilisés pour constituer un premier stock de denrées non périssables, 500 vont financer Mon Épi et 400 euros sont reversés à Bouge ton coq », détaille Isabelle O'Neill, ambassadrice de Bouge ton coq en Occitanie. Avant de rappeler : « 60 % des communes de moins de 3 500 habitants en France n'ont pas ou n'ont plus de commerce ».

Le bénévolat au cœur du modèle

Mais c'est surtout le modèle bénévole qui assure la pérennité économique du projet. « Les deux conditions requises pour pouvoir acheter à l'épicerie c'est d'adhérer à l'association avec une cotisation de 15 euros et de participer au fonctionnement du magasin à raison de deux heures par mois », explique Sandrine Mauruc, assistante familiale et parmi les pionnières du projet. Sur ce temps bénévole, les habitants peuvent pêle-mêle aller chercher les commandes de fraises chez le producteur du coin, réparer la porte du frigo qui est cassée, animer la page Facebook de la boutique ou encore, bien sûr, tenir l'épicerie. « Il n'y a pas d'argent qui circule ici. Chaque habitant fait une commande sur le site Internet de l'Épi et effectue un virement sur le compte de l'association avant de venir chercher ses produits en magasin », précise Sandrine Mauruc. Ce mardi soir, l'épicerie est ouverte de 17 heures à 19 heures et Catherine et Charly Justaut, retraités dans un village voisin après une carrière universitaire à Toulouse, viennent chercher leur commande. Elle contient des fruits et un peu de vrac. « L'alternative c'est d'aller à la Biocoop la plus proche mais le concept ici est très différent, c'est un projet plus solidaire. L'épicerie ne fait aucune marge sur les produits. La même farine qui est vendue en épicerie bio à 1,50 euro le kg est disponible ici en vrac à 85 centimes. Et puis, quand on est épicier, on se retrouve à jouer à la marchande, à peser les légumes comme quand on avait cinq ans », témoigne le couple.

Ce soir-là, Dany, retraitée, est venue prêter main-forte à Camille et Sandrine pour la distribution des commandes. Elle parcourt les étals de l'épicerie à la recherche des denrées pour remplir les sacs de courses. « La première grande surface la plus proche est sur Valence d'Agen, cela veut dire faire 20 km aller/retour. Venir ici permet d'économiser des kilomètres et puis l'idée aussi c'est d'éviter les grandes surfaces et faire fonctionner les petits commerces », fait valoir Dany Puech. Depuis l'ouverture de l'Épi, elle a diminué de moitié sa consommation au supermarché. Même constat pour Sandrine Mauruc. « Comme je suis famille d'accueil, d'habitude je sors du supermarché avec mon caddie rempli à ras bord. Maintenant, il m'arrive d'acheter seulement un ou deux produits en grande surface », explique-t-elle.

Pour d'autres, l'épicerie est devenue un passe-temps. « Je suis à la retraite depuis peu et je cherchais une activité pour donner de mon temps. C'est l'occasion de rencontrer des gens », confie Patricia Piller.

Favoriser les producteurs locaux

À l'Épi de Bardigues, on trouve 285 produits en rayon et 166 en précommande en privilégiant la proximité. « Tous les fruits et légumes, mis à part les fruits exotiques, viennent de producteurs locaux. C'est le cas aussi pour le miel, les gâteaux secs, le pâté de canard, l'huile de tournesol, la crème de marrons, le vin et bien sûr les jus de fruits. Le café bio est torréfié à Agen et la bière est faite à 10 minutes d'ici. Nous avons même une naturopathe de Valence d'Agen qui nous fournit des kits pour faire soi-même son shampooing ou son savon. C'est fou tout ce qu'on peut trouver en local », fait remarquer Sandrine Mauruc. Quand les produits ne sont pas disponibles à proximité, l'Épi fait appel, comme tous les autres magasins du réseau, à Basebio, un grossiste de produits bio. « On y achète les produits ménagers, les pâtes, le riz, etc. Mais comme l'épicerie ne fait aucune marge, les produits sont moins chers qu'au supermarché ou que dans une Biocoop », observe Camille Bohen.

Le lendemain soir, direction cette fois le sud de la Haute-Garonne à Mazères-sur-Salat. Ce village de 600 habitants est situé à 70 km de Toulouse au cœur de la vallée du Comminges et du massif des Pyrénées. Depuis fin mai 2021, là aussi, une épicerie participative a vu le jour. L'idée a germé lors d'un conseil municipal. « J'ai lancé une première réunion pour demander aux habitants ce qu'on pouvait faire à notre niveau en termes d'écologie et de vivre ensemble. Plusieurs idées ont germé. La première, c'était de mettre en place des goûters dans les écoles avec des produits locaux. Le deuxième souhait des habitants était de créer une épicerie avec des produits locaux », se remémore Délia Sartor qui était alors conseillère municipale de la commune. Dans la petite commune, il n'y avait plus de commerce de proximité. « Les épiceries traditionnelles dans des petits villages comme le nôtre, cela ne peut pas tenir car ces commerces ne font pas assez de volume », pointe Benoît Cabochette. Cet enseignant est chargé de tenir l'épicerie ce mercredi soir avec un autre bénévole artisan dans la commune. L'Épi est installé depuis sa création dans un local provisoire dans la zone d'activités du village. « Le principal intérêt de l'épicerie est que la grande majorité des produits sont d'ici. Les adhérents en début de projet ont voté pour une liste de produits qu'on voulait avoir à l'épicerie et à partir de cette liste nous avons cherché ces articles en local », détaille-t-il. Les bénévoles ont même accroché une carte sur les murs de leur épicerie avec l'emplacement de la trentaine de fournisseurs locaux. Le plus éloigné est installé à une trentaine de kilomètres. « Les farines, c'est local tout comme les bières, les jus de pomme, les pâtés, le vin, les savons. Un boulanger nous fournit du pain au levain bio. Même le papier toilette recyclé, c'est local. Il est fabriqué par une papeterie de Saint-Girons », note Benoît Cabochette. Le restant, et notamment le vrac, provient d'un grossiste bio. Ce soir-là, une agricultrice vient déposer la dizaine de yaourts au lait de brebis commandés par les adhérents de l'Épi. « Nous sommes une toute petite exploitation puisque nous avons seulement 75 brebis à la traite. Nous vendons 90 % de notre production en local, à moins de 30 km, soit directement à la ferme, soit dans deux Biocoop du sud de la Haute-Garonne. Une fois par trimestre, je vais faire une vente à Ramonville près de Toulouse, mais cela reste à moins de 100 km » indique Régine Prat. Il y a encore quelques mois, l'éleveuse se rendait dans une Amap de Toulouse pour vendre ses produits. « Mais finalement, je me suis rendu compte qu'en restant en local, je vends un peu moins mais je fais aussi moins de kilomètres. Et du coup, je perds moins de temps. En pleine lactation, nous n'avons pas cinq minutes. J'ai fait de la tomme, y compris le 25 décembre et le 1er janvier. Je m'aperçois que même si je vends 25 yaourts de moins par semaine parce que je ne vais pas à Toulouse, en termes de revenus cela revient au même et je me dégage du temps », complète-t-elle. Lors du premier confinement, l'agricultrice a vu affluer les riverains. « Les habitants ne savaient pas qu'il y avait des gens qui produisaient juste à côté de chez eux. Depuis, beaucoup sont retournés au supermarché mais le Covid a fait émerger des initiatives dans lesquelles les citoyens reprennent en main leur consommation à l'image de l'épicerie de Mazères », se réjouit-elle. Pour l'instant, l'Épi compte une cinquantaine d'adhérents mais aurait besoin d'une centaine de personnes pour atteindre son rythme de croisière. Ravie du projet, la mairie a décidé de financer la construction d'un local définitif en plein centre-ville pour accueillir le projet.

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

T La Revue n°8

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Commentaire 1
à écrit le 03/04/2022 à 9:04
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Combien de gens se sont enrichis durant les trente glorieuses en tenant des épiceries rapidement devenues du commerce de gros du fait du besoin ? Ben maintenant ce sont des bénévoles qui les tiennent. Tout va bien qu'on vous dit.

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