Le géant du bio américain court derrière la "génération Y"

Whole Foods Market, première chaîne américaine de supermarchés bio développe depuis plus d'un an de nouveaux services de distribution. Une révolution digitale qui la contraint aussi à assumer davantage de transparence. Robert Twymann, son dirigeant pour la Californie, détaille les modalités de ces nouveaux services.
Marina Torre
Au mois de juin 2015, un département de la municipalité de New-York chargé des consommateurs a accusé Whole Foods de surpondérer des produits préconditionnés, notamment des fruits et légumes.

La première chaîne bio américaine subit le succès de son marché. Whole Foods market, chaîne pionnière de la distribution de produits biologiques outre-Atlantique est désormais concurrencée par de grands généralistes pour qui ces produits encore considérés comme "de niche" quelques années plus tôt, représentent un moyen d'attirer une clientèle plus jeune.

A ce jeu, Costco, numéro 2 mondial du secteur plutôt connu pour ses lots en grande quantité à bas coûts, l'aurait même détrôné. Les quelques 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires générés par la vente de ces produits par le géant du libre-service qui s'apprête à débarquer en France dépasserait les ventes de la première chaîne américaine spécialisée dans le bio. Cette dernière, qui ne vend pas exclusivement des produits certifiés bio, mais aussi des gammes estampillées "naturelles" ou d'autres produits sans label et avec OGM a engrangé 3,6 milliards de dollars de recettes avec la première catégorie, selon une note d'analyste de la compagnie BMO Capital Markets.

Livré par Google Express

Contrairement à Costco, Whole Foods n'affiche aucune intention d'expansion sur le Vieux Continent. Hors de ses frontières, le réseau de 400 supermarchés bio né à Austin, au Texas, dans les années 1980, compte des magasins au Canada et quelques-uns outre-Manche. Pour tenter de rester dans la course, il a lancé une chaîne à prix plus bas, baptisée 365. Et entrepris des changements d'organisation qui peuvent servir d'exemple (ou de contre-exemple) ailleurs. Même en France, où près de trois consommateurs sur quatre choisissent les hypers et supermarchés généralistes pour acheter leurs produits bio.

Robert Twyman, dirigeant du groupe en Californie, de passage en France pour assister au salon du e-commerce "Paris Retail Week" du 21 au 23 septembre, a lui-même souligné la forte concurrence des grands distributeurs lors d'une conférence. Auprès de La Tribune, il détaille l'une des options choisie pour contre-attaquer : fidéliser les clients en proposant de nouveaux services de livraisons, dont l'un est opéré par Google et l'autre par une start-up californienne.

La Tribune - Vous externalisez la livraison à domicile depuis plus d'un an. Comment s'organise-t-elle désormais chez Whole Foods Market?

Rob Twyman - Nous avons deux partenariats en cours, l'un avec Google Shopping Express, l'autre avec Instacart [start-up de vente en ligne alimentaire créé par un ancien d'Amazon nldr]. Avec Google, dont le siège se trouve en Californie, c'était une association naturelle. Ce partenariat fonctionnait au départ avec 7 magasins dans la région de San Francisco.

Au bout d'un an, le bilan de la livraison à domicile étant positif, nous allons l'étendre à d'autres magasins aux Etats-Unis. Pour cela, nous travaillons aussi avec Instacart. Cette petite entreprise grandit très vite et nous permet une forte personnalisation. Nous avons créé une équipe dédiée à la relation avec elle. Nous sommes de très bons distributeurs, ils sont très bons en technologie. Mais nous ne sommes pas bons en technologie et ils ne le sont pas en distribution. Alors nous nous aidons mutuellement.

Courses de fond en ligne

Les produits frais sont-ils compris dans cette offre?

Oui, pas encore d'alcool mais des produits frais, qui représentent d'ailleurs un pourcentage important des achats. Ce qui est surprenant d'ailleurs, parce que l'on aurait pu penser que les consommateurs utiliseraient cet outil plutôt pour le dépannage que pour faire toutes leurs courses de la semaine. En fait, ils ont tendance à faire ces dernières en ligne, et à compléter en magasin. D'où l'intérêt de ce partenariat.

Pourquoi ne pas avoir opté pour Amazon?

Ils vendent certains produits que nous vendons aussi, mais nous n'avons pas de relations pour nos marques de distributeur (MDD). C'est le cas avec Instacart qui recherchait des marques ayant une image forte, et leur présentation sur leur site met les produits en valeur.

Quelle est votre politique de prix : sont-ils les mêmes en magasin ou sur internet?

Les prix varient selon les Etats et des taxes. Dans une même région, chez d'autres distributeurs, il arrive que les prix d'un même produit varient selon le canal de vente, ce qui pousse à comparer. Mais nous avons mis en place un système particulier à San Francisco notamment : les équipes d'Instacart font les achats pour les clients dans nos magasins, réalisent la transaction sur place et nous reversent un pourcentage des ventes avant de livrer le panier chez les clients moins de deux heures après la commande. Il est même possible de l'obtenir encore plus rapidement en payant un supplément. Auparavant, nous organisions partout la livraison nous-même mais cela prend du temps à nos équipes.

Polémiques sur les prix

L'enseigne proclame depuis ses débuts son attachement au développement durable et à la réduction de son emprunte carbone. Mais tous les trajets supplémentaires qu'impliquent ces livraisons contredisent ce principe. Comment les justifiez-vous?

Le client aurait de toute façon conduit pour venir jusqu'au magasin. Il vaut mieux qu'une voiture livre à plusieurs personnes proches les unes des autres plutôt que plusieurs véhicules se déplacent vers le magasin. Donc dans certains endroits, c'est même mieux pour l'environnement!

Mais si les ventes en ligne s'additionnent à celles des magasins, cela implique de toute façon des trajets supplémentaires.

Oui, mais dans certaines villes, à San Francisco en particulier, il y a des mouvements très favorables aux voitures électriques. Cela dit, dans notre cas, les chauffeurs sont indépendants, un peu comme ceux d'Uber, donc nous ne pouvons pas choisir les véhicules.

Que pensez-vous du modèle de "drive" popularisé en France par Auchan?

Certains de nos magasins le proposent. Les clients peuvent les réserver leurs produits sur un site internet et venir les chercher en magasin. Nous allons aussi développer un service en marque blanche pour les zones où Instacart ne livre pas encore.

En fait, au départ nous faisions l'exact inverse à New York. Là il est habituel que les clients fassent leurs courses dans le magasin et se fassent ensuite livrer la commande chez eux. Le "click and collect" s'adapte bien mieux à un environnement moins urbain où l'on peut être contraint par les déplacements en métro si l'on n'a pas de voiture. La difficulté dans les petites surfaces, c'est qu'il faut trouver la place pour stocker les produits commandés en ligne.

Est-ce un problème même dans votre magasin amiral de 20.000 m2 à Columbus Circus, près de Central Park à New York?

Là nous avons un espace avec des casiers pour retirer les produits. Mais cela prend de la place pour faire cela, mais aussi pour garder les produits au frais avant la livraison et bien sûr pour exposer les autres produits vendus sur place dans de bonnes conditions.

Que ce soit le click & collect ou la livraison, tout cela implique beaucoup de coûts supplémentaires, comment en faire un modèle rentable?

Pour Instacart, le service est inclu dans leurs prix, nous gagnons un pourcentage sur les ventes qu'ils réalisent, c'est donc neutre pour nous. Là où nous gérons encore nous-mêmes la livraison, nous faisons payer un supplément pour couvrir les frais. A New York, vous ne pouvez pas vous permettre de ne pas proposer la livraison car tout le monde le fait.

A part New York où ce mode de consommation est de toute évidence entré dans les habitudes, comment est-il adopté ailleurs?

Cela se développe. Nous vivons à une époque où les gens veulent faire autre chose de leurs journées que des courses. Les membres de la génération du net [nés dans les années 1980 et 1990] sont habitués aux smartphones, ils ont grandi avec. C'est ainsi qu'ils communiquent entre eux, qu'ils achètent. Donc pourquoi développer la distribution en ligne ? C'est le futur ! Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de place ou qu'il n'y aura pas de place pour les magasins traditionnels. Surtout dans l'alimentaire, qui diffère en cela des magasins de produits électroniques et d'électroménager. Dans notre secteur, vous avez besoin des magasins pour en faire des lieux de vie, de rencontres, de discussions avec les vendeurs, pour goûter la nourriture.

Les habitudes de la génération "connectée" que vous évoquez impliquent aussi la diffusion rapide et large d'informations sur vos pratiques, via les réseaux sociaux. Whole Foods market l'a vécu cet été à propos d'étiquetages erronés à New York (cf vidéo en bas de l'article) ou encore sur des bouteilles d'eau parfumées à l'asperge vendues 6 dollars en Californie. Quel a été l'impact de ces affaires?

De vraies informations mais aussi des mauvaises interprétations sont diffusées sur les réseaux sociaux. En ligne, il est plus difficile de faire la distinction entre les deux. Dans notre situation, il y a eu un peu des deux: il y a ce qui s'est vraiment passé et ce qui est ressorti dans le monde virtuel. Ce qui est certain, c'est qu'il ne faut pas croire qu'il y a eu une campagne organisée derrière tout cela. Quiconque connaît un peu notre organisation sait que nous sommes très décentralisés, donc ce ne serait pas possible.

Ce qui est intéressant, c'est que finalement dans ce monde virtuel, tout est plus transparent et c'est ce que nous avons toujours voulu. Nous avons construit notre modèle sur la transparence. Nous avons été les premiers distributeurs aux Etats-Unis à étiqueter les produits contenant des OGM [en 2013 ndlr].

Peu après cette polémique, les actions du groupe ont chuté et les ventes déjà en baisse pourraient également être affectées. Dans quelle proportion celles-ci ont-elles été impactées?

Je ne peux pas dire que cela a directement impacté nos ventes. Je crois qu'une réputation est en jeu quand quelque chose de ce type se produit, et il est très important pour nous de restaurer la confiance. Dans tous les magasins il peut y avoir des erreurs. Quand c'est le cas, nous faisons en sorte qu'elles ne se reproduisent pas. C'est arrivé, l'affaire est devenue publique, mais nous avons corrigé nos erreurs immédiatement.

Nous nous attachons à être le plus transparents possible. Donc nous avons amélioré la formation de nos équipes, et pris les choses très au sérieux.

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Au mois de juin 2015, un département de la municipalité de New-York chargé des consommateurs a accusé Whole Foods de surpondérer des produits préconditionnés, notamment des fruits et légumes. Par exemple un plateau de légumes à 20 dollars aurait en réalité dû coûter 2,5 dollars de moins si le poids réel des aliments avait été indiqué. Les dirigeants de l'entreprise, John Mackey et Walter Robb ont présenté des excuses publiques dans une vidéo diffusée quelques jours plus tard.
Ils y admettent des "erreurs" commises lors des pesées de certains aliments. Mais affirment qu'elles ne sont qu'occasionnelles et "inévitables car liée à la volonté de n'offrir que des produits frais".

Marina Torre

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Commentaire 1
à écrit le 25/09/2015 à 10:06
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"gammes estampillées "naturelles" ou d'autres produits sans label et avec OGM " Le Bio à l'américaine...pourvu que ça fasse du dollar. Le bio, c'est le circuit court, pas de faire traverser les produits à travers la planète à grand coup d'aile ou d...

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