Le prêt-à-porter américain à l'épreuve du “fast fashion” et de l’e-commerce

En toile de fond du NRF Big Show, rendez-vous international des professionnels de la distribution qui débute le 17 janvier, plusieurs chaînes de grands magasins et de prêt-à-porter annoncent des fermetures de magasin, des suppressions de postes ou tentent de trouver des repreneurs. Le signe qu’un “modèle” marketing à bout de souffle?
Marina Torre
Abercrombie & Fitch a choisi de faire évoluer une gestion des ressources humaines et un positionnement marketing controversés

La grand messe new-yorkaise des distributeurs démarre sous de mauvais auspices. Sears, chaîne américaine de grands magasins plus que centenaire, fermera à nouveau des établissements sous son enseigne ainsi que sous celle de sa filiale Kmart, a-t-elle prévenu le 14 janvier. Une annonce qui intervient trois jours avant le démarrage du NRF Big Show, réunion annuelle de la Fédération américaine de la distribution (NRF), qui prévoit d'accueillir plus de 30.000 visiteurs cette année entre le 17 et le 20 janvier.

Une semaine plus tôt, Macy's, autre enseigne historique de grands magasins outre-Atlantique, a fait savoir qu'elle fermerait 5% de ses magasins et supprimerait 2.100 emplois sur 166.900.

Dans le prêt-à-porter, d'autres enseignes connaissent des situations délicates. Le conseil d'administration de l'enseigne californienne American Apparel, actuellement sous le coup d'une procédure de faillite, a rejeté une offre de reprise à 300 millions d'euros avancé par un groupe d'investisseurs qui soutiennent le retour de son ancien patron, le controversé Dove Charney.

Gap pas dans la hotte du père Noël

De son côté, la chaîne Gap a vu ses ventes chuter de 5% au mois de décembre par rapport à l'année précédente, alors que les performances du secteur dans son ensemble étaient plutôt orientées à la hausse.

Signe beaucoup moins conjoncturel : quelques mois plus tôt, la chaîne a signalé son intention de baisser le rideau d'un quart de ses magasins en Amérique du Nord et plus de 250 postes à son siège. Pour noircir encore un peu le tableau, il faudrait encore rajouter les fermetures prévues par deux autres chaînes: J.C.Penney et J.Crew. Une série suffisamment large pour laisser penser qu'en dépit de situations propres à chacun de ces groupes, des causes communes émergent.

En premier lieu, tous dépendants du marché américains, ils ont commencé par souffrir du ralentissement de la consommation après la crise de 2008. Sans forcément parvenir à s'en relever vraiment après le retour de la croissance. Car entre-temps, la donne avait changé dans l'habillement.

Des marques européennes ou asiatiques contre les marques américaines

Du point de vue des produits eux-même tout d'abord: à la mode des énormes logos des modèles sportswear américain sont venus se substituer des produits moins chers, moins "marqués" et bien plus souvent renouvelés des chaînes concurrentes comme Uniqlo, Zara, H&M ou Primark récemment installée à Boston.

Mais plus largement, c'est tout le modèle de distribution qui est remis en question. "C'est l'histoire des marques européennes ou asiatiques contre les marques américaines, commente Yves Marin, directeur et spécialiste de la grande consommation au sein du cabinet Kurt Salmon. Ce dernier ajoute:

"ces dernières ont peut-être trop misé sur leur valeur immatérielle, le "lifestyle", au détriment de la vérité du produit. D'un produit bien taillé pour prix compétitif. Dans une période d'achat raisonnée, les gens se sont détournés vers des marques aux produits plus variés donc plutôt vers les Uniqlo, H&M etc qui ont des modèles économiques et logistiques différents."

De là à croire qu'un certain "modèle" américain de marketing aurait du plomb dans l'aile? Certaines enseignes en tous cas ont opté pour un changement de ton. Abercrombie & Fitch a par exemple choisi de faire évoluer une gestion des ressources humaines et un positionnement marketing controversés en abandonnant le recrutement de top models à l'entrée de certaines de ses boutiques, mais aussi en atténuant la mise en scène de ses magasins (parfum et musique moins forts, lumières un peu plus vives). La marque atténue ainsi une stratégie marketing devenu un cas d'école analysé jusque dans les universités. Professeur de gestion à l'université Lyon 3, Ulrike Mayrhofer note (1) ainsi:

"Peut-on dire qu'Abercrombie & Fitch ne fait plus de marketing expérientiel? Non, la marque active les mêmes leviers mais dans des polarités différentes pour se repositionner auprès de la cible des jeunes qui préfèrent désormais des vêtements moins identifiables, à petits prix, afin de pouvoir les renouveler souvent et créer leur propre style. "

"Internet n'est pas utilisé comme facteur de trafic vers les magasins"

Sur l'adoption des modèles dits de "fast fashion" avec un renouvellement très fréquent des collections, les avis divergent. Jean-Christophe Hermann, vice-président exécutif en charge de la distribution et des biens de consommation chez Valtech les considèrent comme "déjà intégrées par le marché".

Pour cet ancien responsable au sein de la griffe Tommy Hilfiger, les déboires des grands noms de l'habillement grand public aux Etats-Unis tiennent beaucoup à l'adoption très large de canaux de distribution virtuels par la génération dite des "millenials" (née entre les années 1980 et 2000)  au détriment des boutiques physiques.  "Paradoxalement, internet n'est pas utilisé comme facteur de trafic vers les magasins", note le français qui depuis New York où il se trouve actuellement pour assister au NRF Show.

"Ce qui domine, c'est cette approche commerciale vieille comme le monde tant que vous tenez le client vous gardez jusqu'au bout", ajoute-t-il.

A ce jeu, même une maison plus que centenaire comme Sears, qui s'était développée grâce à la vente par correspondance s'est laissée distancer. "Toutes les enseignes historiques ont cherché à pousser d'abord la puissance de leur canal e-commerce. Je pense qu'ils considèrent que face aux 'pure players' (présents uniquement en ligne)', si puissants et efficaces, ils n'ont pas d'autres choix que de se battre avec les mêmes armes, c'est-à-dire un canal e-commerce puissant", juge l'ancien responsable du commerce en ligne chez Carrefour.

Une situation qui n'empêchera pas plusieurs managers des grandes chaînes en difficulté de s'exprimer sur leur stratégie ou leur vision du marché lors des conférences du salon de la NRF. Ou, peut-être, d'assister à celle intitulée "tirer les leçons d'un désastre"...

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(1) MAYRHOFER Ulrike, "Changement de stratégie expérientielle chez Abercrombie and Fitch" in ROEDERER Claire et FILSER Marc Le marketing expérientiel, Paris : Vuibert, 2015.

Marina Torre

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Commentaire 1
à écrit le 17/01/2016 à 11:57
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Les dépenses en vêtements ont basculé en dépenses de Smart phone, tablettes ,ordinateurs , box etc...

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