Les formules des "places de marché" en ligne peuvent-elles rester secrètes ?

Un amendement à la loi Macron portant sur les places de marché en ligne fait grincer des dents chez les professionnels. En cause notamment la "transparence" des méthodes de référencement des produits.
Marina Torre
Plusieurs amendement visant à supprimer ou reporter le texte voté début juin sur l'obligation de transparence ont été rejetés.
Plusieurs amendement visant à supprimer ou reporter le texte voté début juin sur l'obligation de transparence ont été rejetés. (Crédits : Reuters)

Pourquoi cette marque de chaussures plutôt qu'une autre apparaît-elle en haut de ma page de recherche? Et pour quelles raisons le prix affiché varie-t-il ainsi selon le lieu où je me trouve? Apporter ne serait-ce qu'un début de réponse à ces questions pourrait devenir obligatoire pour les "places de marché" en ligne. Voire même pour les sites reposant sur le systèmes de consommation collaborative. Du moins si l'amendement à la loi Macron visant à réguler leur activité votée le 11 juin à l'Assemblée est bien maintenu et si des décrets le rendent applicable. Mais que changerait vraiment le texte en question, lequel est d'ailleurs remis en cause par une partie des professionnels? Explications.

"une information loyale, claire et transparente sur le référencement"

Les modalités de référencement des marques et produits devraient désormais être indiquées. Le texte dispose en effet que:

"Toute personne dont l'activité consiste à mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service est tenue de délivrer une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne."

Premier problème: l'identité des acteurs soumis à ces dispositions n'est pas claire aux yeux de tout le monde. "C'est flou car la notion de plateforme n'est même pas une réalité juridique. S'agit-t-il de plateformes collaboratives, de plateformes d'e-commerce, de sites proposant des liens sponsorisés? Que dire des places de marché qui mettent en relation à la fois des consommateurs entre eux et des professionnels et des consommateurs comme eBay ou PriceMinister?" s'interroge ainsi Marc Lolivier, directeur général de la Fédération e-commerce et vente à distance.

Troisième acteur

Pour d'autres à l'inverse, cette nouvelle disposition clarifierait les choses. Et c'est même son principal apport car elle désigne, même de façon très large, des acteurs dont la responsabilité juridique était jusqu'ici difficile à définir. Gérard Haas, avocat spécialiste du numérique estime ainsi que :

"jusqu'à présent deux acteurs étaient identifiés: les hébergeurs - [en charge de la bande passante] - et les éditeurs. On ne savait pas si la plateforme était un hébergeur ou un éditeur, il fallait définir au cas par cas si son rôle était passif ou actif. Désormais une autre catégorie est définie qui impose aussi des obligations et donne des moyens d'engager sa responsabilité."

En l'occurrence, l'exposé des motifs de cet amendement insiste sur ce point:

"Alors que les obligations stricto sensu du vendeur à distance à l'égard des consommateurs sont clairement définies par les dispositions du code de la consommation, celles incombant à ces 'places de marché' ne sont pas précisées."

Quelle transparence?

Reste que la Fevad qui représentent les principaux sites d'e-commerce en France reproche aux législateurs d'avoir agit avec précipitation et sans concertation préalable pour évaluer l'impact d'une telle mesure. Surtout, qu'une autre question se pose: jusqu'où cette obligation de transparence doit-elle aller?

Car pour réaliser ces fameux référencements de produits, les plateformes d'e-commerce ont recours à des algorithmes qu'ils ont bien l'intention de défendre. "C'est notre secret de fabrication, il n'y a pas de raison de le dévoiler", insiste à cet égard le directeur général d'un site d'e-commerce européen qui a souhaité conserver l'anonymat.

Légalement, il n'est pas contraint de le faire. "La propriété intellectuelle ne protège en principe pas les algorithmes qui parfois représente l'atout principal d'une entreprise. Il est donc logique que leur protection soit assurée par le secret", souligne à cet égard Julien Le Clainche, juriste spécialisé dans le droit numérique. Exemple fréquemment cité en la matière, celui de Google qui tient fermement à protéger ses précieuses formules mathématiques. A propos de ce dernier, son activité de "place de marché" en ligne pourrait d'ailleurs le rendre responsable et passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 375.000 euros en cas d'infraction.

Têtes de gondoles

Mais si la recette peut rester secrète, cela n'empêche pas d'exiger un minimum d'informations sur les ingrédients employés. En l'espèce, quels ingrédients exiger? "Quand vous allez dans un hypermarché ou un supermarché il n'y a pas d'information sur la manière dont sont classés les produits et pourquoi telle marque se trouve en tête de gondole et à quelle condition", souligne Marc Lolivier à la Fevad. Il se trouve justement que les conditions de négociations entre les grands distributeurs "physiques" et leurs fournisseurs, particulièrement tendues depuis trois ans font toujours l'objet de controverses. Et ce malgré le durcissement du cadre réglementaire.

Le parallèle entre les petits secrets des distributeurs physiques et ceux des places de marché virtuel est également défendu par Julien Le Clainche. Ce dernier rappelle toutefois qu'en la matière, il existe déjà des dispositions législatives visant à protéger les droits des consommateurs:

"Sur le fondement de l'article 39-5 de la loi 78-17  du 6 janvier 1978 les personnes concernées sont déjà en droit d'obtenir la communication des informations permettant de connaître et de contester la logique qui sous-tend le traitement. Il est donc aisé pour un participant à une place de marché d'accéder à ces informations parce qu'une personne concernée lui aura transmis."

La "personnalisation est d'une opacité rare"

Le juriste estime que "plus de transparence [peut] être bénéfique aux consommateurs car pour le moment la personnalisation des offres est d'une opacité rare."  A ce propos, le futur plan numérique récemment dévoilé par le gouvernement pourrait revenir sur ce point. D'autant plus que le gouvernement a récemment mandaté le Conseil national de la consommation pour réfléchir à une régulation des sites de consommations collaboratifs. La page est donc loin d'être tournée.

>> Pour aller plus loin :

L'histoire très mouvementée de l'élaboration de la loi Macron

Marina Torre

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