Duel dans le ciel africain entre Lufthansa et Air France

Face à la nouvelle agressivité des compagnies concurrentes, dont le groupe Lufthansa, le groupe Air France KLM se met en ordre de bataille pour protéger son pré carré africain. Enquête.
Air France n'exclut pas de poser le géant des airs, l'A380, sur le tarmac de l'aéroport international d'Abidjan. Les autorités ivoiriennes en rêvent... Copyright Reuters

Présent sur le continent africain depuis 75 ans, Air France-KLM se met en ordre de bataille face aux convoitises des compagnies rivales. Notamment celles de Lufthansa, avec son bras armé la filiale belge Brussels Airlines, mais aussi celles d'Emirates et bientôt de Turkish Airlines, qui toutes lorgnent un marché en croissance, de l'ordre de 7,7 % entre 2009 et 2014, selon des prévisions datant de février 2011 de l'Association du transport aérien international (IATA). Soit un taux de croissance du trafic passagers international, « le deuxième plus élevé parmi les régions », selon IATA. La croissance du fret international sera en revanche seulement de 5,8 %, soit « la plus faible de toutes les régions ». Enfin, Air France devra anticiper l'arrivée des compagnies asiatiques, qui n'hésitent plus à ouvrir de nouvelles routes commerciales entre l'Afrique et l'Asie.

Depuis longtemps, l'Afrique est considérée comme « la vache à lait » du groupe Air France KLM. Et encore plus depuis la faillite de Swissair et de Sabena fin 2001 et d'Air Afrique en 2002, qui ont laissé aux deux marques de la compagnie le ciel libre. En 2011, Air France KLM a transporté 3,6 millions de passagers entre l'Afrique et Roissy Charles-de-Gaulle ou Schipol (Amsterdam). Soit environ 4,6 % de son trafic total et, surtout, 14,7 % du trafic long-courrier (hors Europe).

Un business rentable

Le business très rentable de la compagnie tricolore est généré par la clientèle professionnelle en général (60 % des passagers d'Air France KLM sur les routes africaines), et de grands comptes de l'industrie pétrolière en particulier. Une clientèle à majorité française (38 %), africaine (29 %), et enfin européenne (22 %), qui s'envole vers 35 destinations à partir de Roissy et de Schipol et 42 au total avec les trois partenaires africains d'Air France KLM (Kenya Airways, TAAG Angola Airlines et Comair).

D'où cette volonté aujourd'hui d'Air France KLM, qui défend son leadership sur cette zone, de mener une stratégie offensive sur le continent pour préserver ce marché rentable. Quitte parfois à prendre quelques risques. En avril 2011, lors de la crise en Côte d'Ivoire, Air France a été la compagnie qui a maintenu le plus longtemps ses vols jusqu'au 31 mars et a été la première à reprendre son exploitation le 8 avril avec le souci de revenir au plus vite à son programme initial.

Abidjan, tête de pont d'Air France en Afrique de l'ouest

Une stratégie gagnante pour la compagnie tricolore. Car le nouveau président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara, a demandé à Air France de participer à la création de la nouvelle compagnie nationale ivoirienne, Air Côte d'Ivoire, qui devrait prendre son envol fin avril, une fois la certification et les agréments d'exploitation obtenus. Soit deux ans après la faillite d'Air Ivoire. Une opportunité que ne souhaitait pas gâcher la compagnie tricolore, qui veut faire de l'aéroport international Houphouët-Boigny le hub de l'Afrique de l'ouest pour desservir le réseau régional à partir d'avril avec deux A319 loués, puis à l'automne, le réseau domestique (quatre à cinq lignes dans un premier temps). Surtout pas question de long-courrier pour ne pas compromettre l'avenir financier de la future compagnie.

"Abidjan a une position géographique très privilégiée dans la zone, confirme le PDG d'Air France, Alexandre de Juniac. Elle est le point d'ancrage et le point de développement de nos activités pour l'ensemble de la zone". "A l'inverse, explique-t-il, il serait risqué de ne pas le faire. A la base de ce projet, il y a une stratégie offensive qui consiste à développer un partenariat à partir d'Abidjan, pour arroser la zone". Et de conclure sur le sujet, que « cette stratégie a un volet défensif, il vaut mieux que ce soit nous que d'autres ». D'autant que les prévisions de croissance en 2012 pour la Côte d'Ivoire sont très... rassurantes : 8,5 % (- 5,8 % en 2011). Certains patrons français surplace estiment même qu'elle pourrait être à deux chiffres.

Verrouiller le sous-continent

Air France, qui détiendra 35 % de la nouvelle compagnie en partenariat avec le fonds Aga Khan pour le développement économique en Côte d'Ivoire (dont 20 % en propre), a également décidé d'augmenter sa puissance de feu vers l'Afrique. La compagnie accroît son offre de 4,9 % vers le continent africain (nouvelle liaison vers Port-Gentil au Gabon et hausse de son offre vers Lomé, Malabo et N'Djamena) et de 40 % vers Abidjan, où elle obtient l'un de ses meilleurs taux de remplissage (86 %) à partir de son programme d'été, le 25 mars. La Côte d'Ivoire sera la rampe de lancement vers le sous-continent où Air France va essayer de rayonner avec l'appui d'Air Côte d'Ivoire.

En outre, pour verrouiller le marché, la future compagnie est déjà en train de négocier des accords commerciaux (code share) avec Air Mali et Air Burkina afin d'éviter une guerre des prix suicidaire. La compagnie tricolore discute, elle-même, en direct avec certaines compagnies de la région en vue de signer des accords (et plus si affinités) avec Air Gabon, la compagnie nationale camerounaise Camair-Co ainsi qu'en Guinée Equatoriale et, enfin, en Angola où la compagnie tricolore propose déjà en code share des vols avec la TAAG Angola Airlines. Air France tente également de séduire la compagnie sénégalaise, Sénégal Airlines, dirigée par Karim Wade, l'un des fils du président, et liée à Emirates. « La porte est ouverte à Sénégal Airlines », explique-t-on chez Air France.
Pourquoi de tels efforts ? Parce que « les marchés intérieurs du continent reflètent l'amélioration du développement économique dans plusieurs pays d'Afrique », souligne IATA. Au Niger, la croissance pourrait atteindre 12,5 % en 2012 grâce à la reprise de l'exploitation des mines d'uranium et de gisements de pétrole, 5,6 % au Burkina Faso, 4,4 % au Togo, et 4,3 % au Bénin.

L'A380 à Abidjan

Enfin, cerise sur le gâteau, Air France n'exclut pas de poser le géant des airs, l'A380, sur le tarmac de l'aéroport international d'Abidjan. Un rêve caressé par les autorités ivoiriennes, notamment le président du conseil d'administration de l'aéroport Houphouët-Boigny, le général Abdoulaye Coulibaly. Un symbole de réussite pour les Ivoiriens. Et la boucle sera bouclée pour Air France en Afrique de l'ouest. Une stratégie qui si elle réussit laisserait la portion congrue à ses concurrentes, qui ont, elles aussi, des ambitions.

A commencer par Brussels Airlines, qui tente de marcher sur les pas de sa devancière Sabena, qui luttait pied à pied avec Air France. Elle va augmenter ses vols sur Abidjan à partir d'avril, en opérant une liaison quotidienne toute la semaine. Au Burkina, la filiale de Lufthansa (2 vols par semaine) offre plus de places à bas prix pour faire trébucher Air France, qui a l'image d'une compagnie chère. Au Bénin (2 vols par semaine les mêmes jours qu'Air France), elle va proposer un vol direct Cotonou-Bruxelles. Enfin, au Togo elle pratique une politique de prix agressive, selon Air France.

Les deux compagnies ne sont pas les seules à se disputer le gâteau de l'Afrique de l'ouest. En Côte d'Ivoire, Turkish Airlines pourrait débarquer prochainement tandis qu'Emirates assure un vol quotidien. Au Burkina Faso, Royal Air Maroc (RAM) titille avec une politique de prix agressive et Ethiopian Airlines et sa filiale Asky Airlines domine sur les liaisons vers le Moyen Orient et l'Asie. Au Bénin, South African Airways est en approche d'atterrissage. Au Niger, Asky dessert Lomé une fois par jour. Enfin, au Togo, la concurrence fait rage entre Ethiopian Airlines et sa filiale (95 % de part de marché vers l'Asie) et la RAM (4 vols par semaine).

KLM en Afrique de l'est

Les deux marques se sont partagé le continent africain. A Air France l'Afrique de l'ouest ou presque (KLM se pose à Accra), à KLM l'Afrique de l'est, à quelques rares exceptions (Air France atterrit à Nairobi et Johannesbourg où se pose l'A380). KLM offre des destinations vers Khartoum (Soudan), Addis-Abeba (Ethiopie), Entebbé (Ouganda), Kigali (Rwanda), Dar es Salaam (Tanzanie), Lusaka (Zambie) et Le Cap (Afrique du sud).

Depuis 1996, KLM propose des vols au départ du Kenya à travers un partenariat étroit avec Kenya Airways, permettant par exemple à Mombasa et Kisumu d'être reliée via Amsterdam au reste du monde. La région des grands lacs est également arrosée par le groupe tricolore (Bujumbura au Burundi, Lilongwe au Malawi et Lusaka en Zambie). En outre, KLM, en coopération avec Comair, propose également des vols sur Amsterdam, via Johannesburg au départ de Durban et de Port Elizabeth en Afrique du sud.

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Commentaires 6
à écrit le 28/02/2012 à 3:34
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J ' espere que les compagnies etrangeres vont demolir Air France sur l ' Afrique qui a trop longtemps abuse de son monopole. Quand vous paye un billet Pointe Noire - Paris le triple d ' un Paris-Singapore ou Jakarta avec Emirates ou Qatar Airways et ...

le 29/02/2012 à 7:49
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Pauvre "petit" Français:(

à écrit le 27/02/2012 à 19:29
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L'Afrique et le contiennent ou il faut être dans les années a venir! Et nous avons la chance que le continent a en grande parti d'étroit relation avec la France. (notamment la francophonie)

à écrit le 27/02/2012 à 18:58
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Il est vrai que Roissy fait pitié.... il suffit de se rendre à Washington Dulles, Hong Kong ou ailleurs pour voir ce qu'un aéroport moderne est! Roissy fait aéroport d'un pays en voie de développement.....il y aussi les prix délirants pratiqués, l'ab...

à écrit le 27/02/2012 à 18:42
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L'acquisition d'Air Ivoire (renommée Air Côte d'Ivoire) est dans la droite ligne de la politique d'Air France, avec la création d'un hub régional.

à écrit le 27/02/2012 à 16:14
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Avec les grèves continuelles, l'aéroport calamiteux de Roissy, AF a du pain sur la planche. Reste heureusement Amsterdam.

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