Un an aux commandes d'Air France, quel bilan pour Alexandre de Juniac ?

Vendredi 16 novembre, Alexandre de Juniac terminait sa première année à la tête d'Air France. Arrivé en pleine crise financière et de gouvernance, le bilan douze mois plus tard est dans l'ensemble positif même si la compagnie aérienne est loin d'être tirée d'affaire.
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Alexandre de Juniac; PDG d'Air France, An II. Depuis vendredi, ce quinquangénaire est entré dans sa deuxième année à la tête d'Air France. C'est en effet le 16 novembre 2011 que cet ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et ancien de Thales a été nommé PDG de la compagnie aérienne française en difficulté avec pour mission de la redresser. Quel bilan tirer un an après ? Quelles sont les prochaines étapes qui l'attendent, son avenir au sein du groupe ? La Tribune fait l'analyse.

Une arrivée dans des conditons rocabolesques

De l'avis de la grande majorité des personnes interrogées, le bilan d'Alexandre de Juniac est positif. Il y a un an, il est arrivé dans une entreprise aux abois avec l'étiquette de directeur de cabinet ministériel parachuté qui ne connaissait pas grand-chose au transport aérien, pris en sandwich entre un PDG d'Air France-KLM renforcé dans son pouvoir, Jean-Cyril Spinetta, qui lui aurait préféré quelqu'un d'autre, et plusieurs numéros deux qui avaient eux aussi postulé au poste. Une arrivée dans un contexte extrêmement lourd qui clôturait une impitoyable guerre des chefs entre le directeur général d'Air France et d'Air France-KLM, Pierre-Henri Gourgeon et Jean-Cyril Spinetta, alors président du conseil de surveillance des deux entités du groupe. Deux amis de trente ans qui ont mené une bataille à couteaux tirés à l'été 2011 en raison d'une divergence sur le choix du futur patron d'Air France. A ce moment-là, après le renouvellement de Pierre-Henri Gourgeon en assemblée générale en juillet 2011, il était en effet question que Pierre-Henri Gourgeon lâche les rênes exécutives d'Air France pour ne conserver que celles du holding Air France-KLM. Pour diriger Air France, Pierre-Henri Gourgeon avait jeté son dévolu sur Alexandre de Juniac. Un choix qui convenait très bien au précédent gouvernement, mais pas à Jean-Cyril Spinetta qui préférait Lionel Guérin, président de la fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM), mais aussi de la petite compagnie régionale Airlinair et de la filiale low-cost d'Air France, Transavia France. In fine, Jean-Cyril Spinetta a obtenu de l'Etat et du conseil d'administration la tête de Pierre-Henri Gourgeon, mais a dû accepter Alexandre de Juniac.

Changement de décor aujourd'hui

Douze mois après, changement de paysage. Le plan de restructuration a été élaboré et lancé sans générer les conflits sociaux que les Cassandre lui promettaient, les résultats sont aujourd'hui (un peu) moins mauvais grâce, expliquent les proches d'Alexandre de Juniac, aux premières mesures prises par son PDG, le cours de l'action du holding est en hausse (mais il était difficile de tomber plus bas), le climat au sein de l'état-major s'est apaisé, et Alexandre de Juniac a su lever les doutes qui pesaient sur lui. Au sommet du groupe, « il a su se faire accepter par Jean-Cyril Spinetta et par Peter Hartman, le directeur général de KLM », explique une source interne. Pour Peter Hartman, ce n'était pas très difficile. Comme Alexandre de Juniac, il était lui aussi un proche de Gourgeon. Pour Jean-Cyril Spinetta, qui revenait aux manettes exécutives d'Air France-KLM renforcé par sa victoire sur Pierre-Henri Gourgeon, l'exercice était plus compliqué.
Mais les deux hommes ont su qu'ils étaient condamnés à s'entendre. Sans perdre la haute estime qu'il porte à Lionel Guérin, Jean-Cyril Spinetta s'est attaché à entretenir une bonne relation avec Alexandre de Juniac, en rappelant dès sa prise de fonction que ce dernier « n'était certes pas son choix premier, mais qu'il était très haut dans sa liste ». Bref, jusqu'ici Jean-Cyril Spinetta a soutenu Alexandre de Juniac. Ce qui ne l'a pas empêché d'avoir quelques points de désaccord ou de scepticisme sur certains choix.

Coup de pied dans la fourmilière

Au sein de l'encadrement, les plus sceptiques sur ses qualités de manager ont revu leur point de vue. Après chaque réunion, ils le trouvent plutôt convaincant. « Il apporte du sang neuf et dit les choses telles quelles sont », confie l'un d'eux. Le discours tranche en effet avec son prédécesseur qui avait du mal à faire état des faiblesses de la compagnie. «Un peu à la manière de Christian Blanc, mais sans aller aussi loin, Alexandre de Juniac a donné un coup de pied dans la fourmilière. Il a fait bouger les lignes dans le fonctionnement et la façon de penser », déclare un syndicaliste. « On voit qu'il a travaillé dans un groupe et vient d'un autre secteur (Thales, où il était promis à prendre les rênes avant l'arrivée de Dassault dans le capital). Il a une sensibilité plus importante au management que ses prédécesseurs », reconnaît un vieux routier de la maison. « Il a réussi à sensibiliser les directeurs de la nécessité de se rapprocher du terrain et des clients, même si la nouvelle organisation de l'entreprise est contestable », poursuit-il. Mais au-delà, son obsession pour la montée en gamme et la qualité de services a réussi à mettre le client au centre des préoccupations au plus haut niveau de l'entreprise .

Un bilan négatif pour la CGT

Appelé pour redresser Air France, qui perd de l'argent pour la quatrième année consécutive, Alexandre de Juniac prend des mesures d'urgence (gel des embauches, des salaires ...) et lance un plan de restructuration, dont les objectifs ont été fixés par l'actionnaire Air France-KLM. « Il a bien su gérer la situation à la fois dans la définition des mesures de restructuration que dans la façon de les gérer. Il a fait accepter sa conviction d'y arriver par la négociation », explique un directeur d'Air France. Cela n'a pas pour autant été aussi clair que cela quand, début janvier, il a évoqué la dénonciation des accords collectifs. « Il a voulu passer en force en annonçant la dénonciation des accords, avant de faire machine arrière. Ensuite il a négocié en mettant un canon sur la tempe des syndicats en menaçant de pratiquer à des départs contraints en cas d'absence d'accord (sur les efforts à faire, ndlr). Par ailleurs, nous ne l'avons quasiment jamais vu, comme s'il y avait une volonté de ne pas nous rencontrer. Nous sommes amers sur sa méthode », déclare David Ricatte de la CGT Air France, pour qui « le bilan d'Alexandre de Juniac est plus que négatif ».

Le message n'est pas passé auprès des PNC

Alexandre de Juniac n'a pas réussi non plus à convaincre l'ensemble des catégories de salariés. Si une majorité de syndicats de personnels au sol et le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL, son meilleur allié aujourd'hui) ont signé un accord d'augmentation de 20% de l'efficacité économique (qui se traduit notamment pour les premiers par un plan de départs volontaires de 2767 personnes), les syndicats de personnels de cabine ont, eux, refusé de signer. « Le message d'Alexandre de Juniac ne passe pas. Il a pourtant essayé d'instaurer une communication plus directe », explique un syndicaliste PNC.

L'accord collectif du personnel de cabine arrive à échéance le 31 mars 2013, et, à partir de cette date, leurs conditions de travail et de rémunération sortiront du cadre contractuel et pourront être imposées de manière unilatérale par la direction, toujours à la recherche d'une amélioration de 20% de l'efficacité économique.

Un plan insuffisant? 

Reste une inconnue. Ce plan sera-t-il suffisant pour dégager des bénéfices importants et assurer un avenir à la compagnie? Pour Alexandre de Juniac, les mesures déjà annoncées seront suffisantes. « En 2014, nous aurons retrouvé un bonne rentabilité qui nous permettra à nouveau de financer nos investissements », déclarait-il à La Tribune en septembre au salon Top Résa. Pour autant, pour la quasi-totalité des observateurs, les mesures prises ne vont pas assez loin. Un reproche qui lui aurait d'ailleurs été fait en conseil d'administration. « C'est vrai, plus le temps passe, plus la conjoncture se dégrade. Et il s'avère probable que les mesures prises ne suffiront pas. Pour autant, on ne peut pas lui reprocher aujourd'hui de ne pas être allé assez loin. Il a fait ce que l'actionnaire, Air France-KLM, lui a demandé. Il n'était pas leader sur la définition des objectifs (réduire la dette du groupe de 2 milliards d'ici à 2015, à 4,5 milliards d'euros, en générant 2 milliards de cash flow après investissements au cours des trois prochaines années). Et Alexandre de Juniac a toujours dit que c'était le minimum qu'il faudrait faire et qu'il ne s'engageait pas au-delà de la fin 2013 », explique un bon connaisseur de la compagnie.

L'année 2013 sera effectivement un test pour savoir s'il faut aller plus loin. Les syndicalistes ne sont pas dupes. « Après le plan Transform, « il y aura Transform 2, lequel posera la question du maintien ou pas de l'activité court-courrier dans le périmètre d'Air France », explique l'un d'entre eux . Transform 2 sera-t-il donc le vrai plan de transformation structurelle de la compagnie ? Celui dont Transform aurait dû faire l'objet ? «Je m'arrête sur ce mot (Transform ndrl), disait-il en janvier devant les sénateurs. Il n'a pas été choisi au hasard. Il faut transformer la maison Air France ». Or, le plan de transformation n'est autre qu'un plan d'économies, certes plus drastique que les autres. « C'est un plan de restructuration, c'est vrai. Alexandre de Juniac n'a pas fondamentalement transformé Air France, pour le moment », expliquent de nombreuses sources internes. Pour autant, les mesures structurelles avancées ci et là (transfert de l'activité moyen-courrier à la low-cost Transavia, sous-traitance des activités sur les aéroports, une offre à bas prix sur le long-courrier sur des zones touristiques,...- sont une véritable poudrière sociale.

La qualité de services

A ces reproches sur l'absence de transformation d'Air France, beaucoup mettent en avant la stratégie de montée en gamme et d'amélioration de la qualité de services chère à Alexandre de Juniac. « Ce n'est pas un truc pour faire bien dans un plan de restructuration. Alexandre de Juniac est vraiment impliqué dans le produit, beaucoup plus que Jean-Cyril Spinetta et Pierre-Henri Gourgeon », explique un directeur. Cette montée en gamme est d'ailleurs stratégique. « Malgré le retard pris sur la qualité de notre classe affaires long-courrier, nous arrivons néanmoins à vendre les billets plus chers que nos concurrents. Si ce paradoxe s'arrête et que notre recette unitaire s'effondre, nous irons à la catastrophe », assure un cadre.

La réorganisation contestée

En fait l'un des plus gros bémols de la première année d'Alexandre de Juniac provient de sa dernière mesure importante, annoncée mi-octobre : la réorganisation de la compagnie avec, notamment, la séparation de l'activité de transport de passagers en trois business units relativement autonomes : le long-courrier à Roissy, le moyen-courrier toujours à Roissy et l'activité de point-à-point court et moyen-courrier (Orly et bases provinces). « Je suis d'accord sur le fond qu'il fallait changer d'organisation pour des raisons d'efficacité, mais cette mesure est contestable. Il y a un grand scepticisme en interne sur l'intérêt de cette mesure », explique un directeur. « Personne n'y croit, à son truc », assure un autre, « les gens sont perdus », déclare un cadre. En outre, la création de business units indépendantes avec leurs comptes de résultats suscite la crainte des syndicats. «Ce sera plus facile à filialiser ou à céder », expliquent plusieurs syndicalistes, citant l'activité moyen-courrier de point-à-point (Orly et les bases de provinces), le fret, Servair ou encore la maintenance.

Favori pour succéder à Spinetta à Air France-KLM

Et la suite ? Si tout se passe bien en 2013, il succèdera à Jean-Cyril Spinetta à la tête d'Air France-KLM, qui partira, comme il l'a dit récemment aux cadres, au plus tard lors de l'assemblée générale clôturant l'exercice 2013, soit en avril 2014. «Alexandre de Juniac est le favori. Il serait difficile de remplacer Jean-Cyril Spinetta par un candidat externe alors que le holding est appelé à se renforcer et il est également compliqué pour un candidat interne à Air France de prendre les commandes d'Air France-KLM sans avoir déjà pris celles d'Air France », explique une source proche du conseil d'administration. Quant à la nomination d'un Hollandais de KLM (rachetée par Air France en 2004), il en est hors de question.

Une route semée d'embûches

Pour autant, la route est encore longue pour Alexandre de Juniac. Et elle est semée d'embuches. Selon nos informations, plusieurs personnes au sein du nouveau gouvernement aimeraient bien s'en débarrasser avant même que la question de la succession ne soit tranchée. Le rôle de Jean-Cyril Spinetta aura une nouvelle fois toute son importance. D'autant plus qu'il a l'oreille de l'actuel gouvernement. « Le seul risque pour Alexandre de Juniac, c'est que Jean-Cyril Spinetta le lâche», explique un observateur.

Eviter les conflits sociaux

Dans ce contexte, Alexandre de Juniac a plutôt intérêt à éviter (ou à bien gérer) des conflits sociaux, qui pourraient donner du grain à moudre à ceux qui apprécieraient de le voir quitter l'entreprise. Le début d'année pourrait être tendu avec les premiers impacts sur la vie des salariés des décisions prises l'an dernier et surtout l'approche de la fin de l'accord collectif qui régit les conditions de travail des hôtesses et stewards (le 31 mars 2013). Certains syndicats pourraient être tentés de vouloir ferrailler avec la direction pour arracher un nouvel accord et éviter de se voir imposer les règles d'Air France.

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Commentaires 6
à écrit le 19/11/2012 à 18:53
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Le sol se rapproche très vite.. Attention au crash.

à écrit le 19/11/2012 à 14:47
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Christian Blanc le grand fumeur de havanes ?

le 19/11/2012 à 20:38
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le même. Celui qui a redressé AF

à écrit le 19/11/2012 à 13:13
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AirFrance KLM n'aurait-elle pas intérêt à se créer un hub sur l'asie et un autre sur l'amérique du sud, afin de se créer des autoroutes aériennes, avec ensuite une desserte régionale à partir de ces hubs ?? cela ne lui permettrait-il pas ainsi de mie...

le 22/11/2012 à 9:48
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C'est très compliqué en propre pour des raisons de législation essentiellement. Et même si cela était possible, c'est quasi-impossible de créer un hub ex nihilo hors de ces terres. Les coûts marketing seraient exorbitants. Le mieux c'est de passer pa...

à écrit le 19/11/2012 à 12:45
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La compagnie Air France n'est pas tirée d'affaire. Le croire, c'est écoutée seulement les syndicats. Les clients comparent les prix et les services. Et là, il y a du travail.

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