SNCF : la fin du monopole probablement repoussée à 2023

Le Parlement européen propose une ouverture complète des marchés intérieurs de transport de passagers en 2023 et non pas en 2019 comme prévu initialement par Bruxelles dans ses propositions de quatrième paquet ferroviaire. La Commission serait sur le même tempo, tandis que le texte du 4ème paquet de libéralisation du secteur est plutôt attendu pour 2015, selon Dominique Riquet, premier vice-président de la Commission Transports au Parlement européen. Soit après la mise en place de la réforme ferroviaire française, dont le projet n'est pas compatible ni avec le 4ème paquet, ni avec le droit actuel selon Dominique Riquet.
Fabrice Gliszczynski

L'ouverture complète du marché ferroviaire domestique de transport de passagers en Europe ne se fera pas en 2019, comme la Commission européenne l'avait indiquée l'an dernier en lançant son paquet de propositions pour briser les derniers monopoles en Europe ("quatrième paquet ferroviaire"), mais quelques années après.

"Le Parlement européen propose 2023 et la Commission ne semble pas avoir d'opposition sur ce point", explique à La Tribune Dominique Riquet, premier vice-président de la Commission Transports au Parlement européen.

Question politique

La SNCF pourra conserver son monopole en France pendant encore neuf ans, sauf si la France décidait un jour d'anticiper l'ouverture de marché ferroviaire, comme l'ont déjà fait les Parlements italien et allemand. Si le gouvernement Fillon avait décidé de l'anticiper en ouvrant le marché des intercités en 2015 (celui des TER devait suivre), le gouvernement actuel s'y est opposé. Reste à voir comment évoluera cette question politique à l'avenir avec les changements de gouvernement, notamment à partir de 2017, si la droite revient au pouvoir. 

La question est d'autant plus compliquée qu'il existe dans le 4ème paquet ferroviaire une clause de réciprocité. Celle-ci n'existe pas aujourd'hui puisque tous les opérateurs français opèrent dans plusieurs pays européens et que l'inverse n'existe pas. Certains pays comme l'Italie, qui ont ouvert leur marché, exigent une réciprocité, avec les pays aujourd'hui fermés mais dont les opérateurs ne se gênent pas de se développer de l'autre côté des Alpes. C'est le cas de la France et de la SNCF, actionnaire de NTV.

 Du côté de la SNCF, peu importe la date, on se prépare à la concurrence.

"Dans notre projet d'entreprise, nous nous préparons à l'arrivée de la concurrence, même si nous ne connaissons pas la date", expliquait fin janvier le président de la SNCF Guillaume Pepy, lors du séminaire de presse de Réseau Ferré de France (RFF). "On pourrait reprocher à l'équipe actuelle de ne l'avoir pas préparé", disait-il quelques jours plus tôt lors de ses vœux à la presse.

C'est pourquoi la SNCF pousse pour la mise en place d'un cadre social harmonisé à l'ensemble du secteur (les négociations sur la création d'une convention collective dans le secteur du ferroviaire ont commencé en décembre dans le cadre de l'UTP, l'union des transporteurs publics) et réduit ses coûts pour  "produire moins cher". Le projet Excellence 2020 vise une réduction des coûts de 2 milliards d'euros d'ici à 2020.

Open access

"L'ouverture des marchés devrait concerner les réseaux nationaux en open access et les réseaux régionaux avec, en théorie, des systèmes d'appels d'offres mais aussi des attributions directes. A la fois sur le réseau national et  régional, il faut tenir compte des lignes d'obligation de service", explique Dominique Riquet.

Alors que plusieurs régions se plaignent de leur contrat avec la SNCF, certains opérateurs comme le britannique Arriva ou Transdev ont demandé de tester par anticipation la concurrence dans quelques régions pilotes.

Réforme ferroviaire

Reste que le texte législatif du quatrième paquet ferroviaire ne sera pas voté avant 2015. "Le Parlement prendra position avant la fin de la mandature actuelle mais il n'y aura pas d'accord avec le Conseil. Il faudra revenir en deuxième lecture avec le prochain Parlement. Le texte ne sera probablement achevé qu'en 2015", assure-t-il. Soit après le vote de la réforme ferroviaire en France prévu cette année (elle passe en première lecture à l'assemblée nationale le 16 juin) et sa mise en place le 1er janvier 2015. 

Un tel calendrier risque de poser des problèmes sur les questions de gouvernance.

 "Pas eurocompatible"?

"Le projet de réforme française n'est pas compatible avec le quatrième paquet ferroviaire. Il ne l'est même pas en l'état actuel du droit", assure Dominique Riquet.

Alors que Bruxelles prône une séparation entre les gestionnaires d'infrastructure et les exploitants du réseau, la réforme française prévoit la mise en place d'un système intégré. Celui-ci doit passer par la création d'un gestionnaire d'infrastructure unifié (GIU) rattaché à la SNCF, lequel regrouperait RFF, la direction de la circulation ferroviaire et les cheminots de la SNCF chargés de l'entretien des voies. Ce système mettra donc fin au schéma mis en place en 1997 avec la création de RFF comme responsable du réseau ferré à la place de la SNCF, mais dont la gestion de l'infrastructure opérationnelle était confiée à la SNCF (dans sa branche SNCF Infra).

In fine, le projet de loi prévoit de créer un Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) chargé de la gestion et l'attribution des sillons (le gestionnaire d'infrastructure), un deuxième Epic, chargé du transport (la SNCF), le tout devant être chapeauté par un troisième Epic, une holding chargée du pilotage, de la cohérence du système.

 L'Epic de tête, une petite structure selon RFF

"Cet Epic de tête aura beaucoup de difficultés à passer en Europe. Ce n'est pas dans la génétique européenne", explique Dominique Riquet, en pointant la présence des mêmes personnes dans les instances des différents Epic ou les mouvements de capitaux entre les Epic. Pour faire simple, Bruxelles craint qu'un tel système crée des distorsions de concurrence entre la SNCF et les nouveaux entrants.

Jacques Rapoport, le président de RFF, indiquait fin janvier qu'une lettre était en cours de rédaction pour expliquer au ministre des transports français "comme allait fonctionner l'Epic de tête. "Il s'agira d'une petite structure, avec quelques centaines de personnes, mais certains centres de support seront mutualisés et auront des volumes plus importants".

Concernant l'eurocompatibilité du projet de réforme ferroviaire, Guillaume Pepy a déclaré qu'"il n'y avait pas de vérité absolue et que les Français étaient légitimes à mettre en place leur système". "La France ne prétend pas imposer sa solution à l'Europe mais ne veut pas se faire imposer le choix de la Commission d'une séparation pour tous.

Pour autant selon nos informations, l'Elysée serait, contrairement au ministère des transports, plus enclin à soutenir, dès le départ, une position plus eurocompatible.

 La France, un système unique

Lors du séminaire de presse de RFF, Jacques Rapoport a longuement plaidé pour le modèle choisi par la France. 

"Intégrés ou séparés, il y a des systèmes qui fonctionnent et d'autres qui ne fonctionnent pas. Quand il y a en France un opérateur comme la SNCF qui possède 95% du trafic et 100% du trafic voyageurs, cet opérateur ne peut se contenter d'avoir un comportement de strict opérateur. C'est un garant systémique du bon fonctionnement du système. Quelle que soit l'organisation, intégrée ou séparée, l'important c'est d'avoir une intégration de la gestion de l'infrastructure et une bonne relation entre le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur (historique, ndlr)", a-t-il déclaré. 

Et de préciser

"Nous avons actuellement une organisation institutionnelle unique au monde. Ailleurs, il peut y avoir des systèmes où le gestionnaire d'infrastructure est complètement séparé de l'exploitant comme au Royaume-Uni, ou complètement intégré à celui-ci comme c'est le cas en Suisse. Pour autant, quel que soit le système, il y a deux points communs que l'on  retrouve  partout sauf en France : partout le métier de l'infrastructure est unifié, même s'il peut avoir un statut juridique différent selon les pays. Et partout, il y existe une étroite coopération entre le gestionnaire d'infrastructure et l'activité transport. En France, cela ne peut pas exister car le système institutionnel crée des oppositions d'intérêt. Le projet de loi résout ces deux problèmes. Il crée une organisation intégrée au niveau de l'infrastructure et, entre l'infrastructure et l'activité transport, il garantit l'égal accès à la concurrence. Il n'y a pas de corrélation entre le niveau d'ouverture à la concurrence et le degré d'intégration entre le gestionnaire d'infrastructure et le transport. C'est un raisonnement abstrait qui ne correspond pas à la réalité dans les pays où il y a une intégration. En Suisse par exemple, l'essentiel du fret y est réalisé par la Deutsche Bahn".

 

Fabrice Gliszczynski

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 11
à écrit le 14/04/2015 à 12:26
Signaler
OK pour la privatisation, mais que l'argent public, qui a permis la réalisation des infrastructures depuis plusieurs générations, soit redistribué à l'euro près aux contribuables français. Sinon une fois de plus, il s'agira d'un marché de dupe car la...

à écrit le 25/10/2014 à 15:04
Signaler
Et voila on va encore subir les pratiques abusives de la SNCF pendant encore longtemps! Inadmissible!!!

à écrit le 11/02/2014 à 22:21
Signaler
La DEUTCch BAHN ,la SNCF ,la RENFE préfèrent s'entendre entre elles et se partager la marché .Mais au fond, c'est peut etre mieux ,Car ,pour l'électricité ,l'ouverture à la concurrence a fait monter les prix de plus de 50 % ;car certains producteurs ...

à écrit le 11/02/2014 à 16:57
Signaler
Tout comme la fin du tarif réglementé de EDF repoussé à 2016... Ce n'est pas une surprise pour les français, à voir s'ils réagiront dans les urnes.

le 11/02/2014 à 17:33
Signaler
Pourquoi vous croyez que ça changera avec d'autres ? Quelle naïveté !

le 11/02/2014 à 21:41
Signaler
@Zozo C'est cela la différence. Vous c'est vous et moi c'est moi. Beaucoup de gens préféreraient que rien ne puisse changer. La politique avant d'être un question de parti c'est avant tout une question de personnalité.

à écrit le 11/02/2014 à 16:15
Signaler
Avec ça, ce n'est pas demain la fin des billets gratuits aux salariés et familles des employés SNCF. Le rapport de la Cour des Comptes : poubelle. Contribuables et usagers, vous pourrez toujours payer pour les avantages indus des privilégiés du systè...

le 12/02/2014 à 6:37
Signaler
Vous enleverez aussi les avantage au boulanger qu on du pain tous les jour (1euros la baguette) le boucher qui peut manger de la bonne viande et non du charal ou marque repere , le banquié qui a des prêt interessant les agence qui paye. Pas de frais ...

le 16/02/2014 à 13:56
Signaler
Il y a quand même une différence. Si la boulangerie, la charcuterie n'a pas de bénéfice, elle reviendra dessus. En plus, je pense que pour la viande, le boucher a des prix mais n'a pas de la viande gratuite. Pour Edf, les agents pourraient au moins...

à écrit le 11/02/2014 à 14:24
Signaler
La SNCF, n'a pas évolué..................... C'est tellement facile avec les impôts des contribuables...... Le changement .: c'est quand???????

à écrit le 11/02/2014 à 13:21
Signaler
La CGT peut dormir sur ses 2 oreilles. Les voyageurs seront toujours les otages de grèves surprises. De toutes façons d'ici là l'UE ne sera que l'ombre d'elle-même.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.