Pourquoi La Poste accélère sa mutation numérique

Confrontée au recul de son métier de base - le courrier -, La Poste doit se réinventer. Elle mise sur le numérique et l'innovation ouverte pour pallier les pesanteurs d'un groupe de plus de 260.000 personnes.
La plate-forme industrielle courrier (PIC) de Villeneuvela-Garenne, dans les Hauts-de-Seine : 90% des adresses parviennent à être déchiffrées par les machines.

Les 4 et 5 décembre 2014, le Groupe La Poste organisait à son siège parisien, boulevard de Vaugirard, son "Lab Postal". Ce rendez-vous, vitrine de l'innovation issue des équipes internes et de start-up repérées par La Poste, s'est enrichi depuis six ans d'un programme de conférences, d'ateliers sur le b.a.-ba du code, sur le big data... Plusieurs centaines de visiteurs, « postiers » mais aussi acteurs de l'écosystème numérique, responsables d'autres grands groupes, parcourent les stands du Lab Postal pour se faire expliquer comment La Poste peut délivrer à chacun de nous une identité numérique -et la vérifier-, comment fonctionne son projet de porte-documents virtuel, ou comment La Poste, avec des start-up partenaires, est aujourd'hui un acteur marketing puissant du traitement des mégadonnées. Ou encore, comment La Poste teste l'économie collaborative, avec une expérience de partage des véhicules postaux, hors de leur temps d'utilisation par l'entreprise, pour ses personnels. Ou encore écouter la jeune « volontaire internationale en entreprise » (VIE), chargée de la veille pour Le Groupe La Poste dans la Silicon Valley, détailler la stratégie des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Une enjeu quasiment "national"

Visite du facteur au domicile d'une personne âgée, après réception d'une alerte par un objet connecté, dématérialisation et archivage des documents pour des entreprises tierces... : la diversité des stands du Lab illustre combien Le Groupe La Poste et ses dizaines de filiales peuvent être parties prenantes de la « vie connectée » des particuliers et des entreprises. La transformation d'un Groupe de plus de 260.000 salariés, présent sur l'ensemble du territoire avec ses 85.000 facteurs et 17.000 bureaux et « points de contact », est un enjeu quasiment « national » ! La preuve, Le Lab accueillait cette année les secrétaires d'État à la Réforme de l'État et à la Simplification Thierry Mandon, et au Numérique, Axelle Lemaire. Laquelle a lancé aux postiers : « Vous jouez un rôle important dans la nécessaire transformation de notre économie », pour le développement du e-commerce, pour le rôle central du réseau dans les territoires... Et « dans le monde numérique, les réseaux réels sont un atout », a-t-elle souligné. Philippe Wahl, le PDG du Groupe La Poste qui a succédé à Jean-Paul Bailly l'an dernier, a ouvert le Lab, en déclarant :

« La Poste sera un élément clé de cohésion dans la société numérique, le "facteur humain" porteur des valeurs de confiance et de proximité. »

Mais si le groupe public peut participer à la mutation globale, sa propre transformation est aussi une question de survie. Le contexte est connu : une baisse structurelle du coeur de métier, le courrier, avec une accélération de la décrue depuis 2008, même s'il continue à représenter la moitié du chiffre d'affaires et du résultat.

« Ce changement d'usage est durable. Il faut innover, sinon on disparaît. La Poste doit se réinventer. Mais depuis cinq siècles, elle a toujours su le faire, sinon elle ne serait plus là », rassure Sonia Scharfman, secrétaire générale.

De fait, depuis des années, on croise La Poste à toutes les manifestations de l'écosystème numérique, du festival Futur en Seine à celui de l'économie collaborative, Ouishare... En janvier prochain, elle sera même au Consumer Electronic Show de Las Vegas, haut lieu de présentation des objets connectés.

Dès les années 1990, La Poste est allée sur Internet, pour vendre ses produits et proposer à ses clients des services comme une boîte aux lettres électronique (3,7 millions de comptes laposte.net actifs aujourd'hui), mais en ordre dispersé, chaque métier créant ses sites et services. Mais, depuis 2012, plusieurs initiatives de coordination ont été prises.

Facteo, fer de lance de la transformation

En 2012, la création d'une direction du numérique s'est attachée à « homogénéiser la présence sur Internet, d'une part, à emmener les salariés dans le projet de transformation interne d'autre part », témoigne Sonia Scharfman. Plusieurs projets ont été lancés : l'équipement progressif des facteurs avec un smartphone, Facteo, à usage privé et professionnel, et dont le déploiement total s'achèvera à la mi-2015. Il leur permet d'être en lien avec l'intranet du groupe (« ma poste »), avec le suivi des objets (« ma tournée ») et à terme, de rendre de nouveaux services en ligne.

Depuis avril 2014, aux côtés des quatre branches « métiers » existantes - Services Courrier Colis ; La Banque Postale ; Geopost (courrier express) ; le Réseau La Poste -, une nouvelle branche est donc chargée de la mutation numérique du groupe. Catalyseur d'innovation, conseil interne pour mettre en place des formations au management numérique, cette branche doit aussi développer de nouvelles activités et revenus. Sa direction a été confiée à Nathalie Andrieux, qui dirigeait précédemment la filiale la plus « numérique » de La Poste, Mediapost Communication (lire l'entretien ci-contre). Née du métier de distribution d'imprimés publicitaires dans les boîtes aux lettres, Mediapost Communication a pris le virage numérique, en procédant par acquisitions, en 2011-2012.

Régie publicitaire de plus 700 sites Internet à travers Adverline, spécialiste de bases de données avec Mediaprism, gestionnaire de campagnes e-mail, avec Cabestan... cette filiale réunit les compétences d'un groupe de marketing numérique, notamment dans le domaine des mégadonnées. Et elle a « l'avantage de pouvoir combiner communication dans les mondes numérique et physique, par la voie du courrier postal ou de l'imprimé distribué, de savoir croiser des données de navigation comportementale et le savoir-faire postal de ciblage géographique », explique Jérôme Toucheboeuf qui a succédé à Nathalie Andrieux, à la tête de Mediapost Communication. Ses activités réalisent autour de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires. La branche numérique génère aussi des revenus avec la filiale Docapost, spécialisée dans la gestion documentaire pour d'autres entreprises (coffre-fort sécurisé Digipost pour un client comme Carrefour, dématérialisation des fiches de paie), qui réalise aujourd'hui 400 M€ de chiffre d'affaires. L'objectif est de doubler celui-ci d'ici à 2020, pour atteindre 1 milliard d'euros. Soit une proportion qui restera marginale par rapport au poids du courrier (11 milliards en 2013). Mais en accompagnant les entreprises clientes dans leur transformation, le groupe espère aussi stimuler son évolution interne.

Le défi de l'innovation et des données ouvertes

Toutefois, aussi forte que soit l'impulsion, la taille ne permet pas l'agilité requise dans le monde numérique. Pour tester son réseau social d'entreprises Tredunion, qui doit permettre de « travailler autrement » avec une organisation plus collaborative par projet, le groupe a déployé en novembre une solution de l'éditeur Salesforce, sur 25.000 postes de travail : c'est la taille d'un échantillon test à l'échelle de La Poste ! Et avant de passer au déploiement définitif, l'entreprise, compte tenu de sa taille, est obligée de lancer un appel d'offres européen. Ainsi, de l'idée au déploiement final, à l'automne 2015, il se sera écoulé plusieurs années.

Quand il s'est agi d'ouvrir des données pour participer à la constitution d'une base d'adresses nationale, il a fallu pas moins de deux ans de discussion avec la mission Etalab (la plate-forme de données publiques ouvertes), l'Institut national géographique (IGN) et Openstreetmap (base de données de 12 millions d'adresses géolocalisées en open source). La Poste a d'abord dû s'accorder en interne, et avec l'État actionnaire, sur les données que la loi l'oblige à partager et celles qu'elle voulait protéger pour ne pas affaiblir ses recettes tirées de la vente de fichiers adresses. Ensuite, pour parvenir à signer à la mi-novembre un accord avec Etalab, l'IGN et Openstreetmap sur la mise à disposition de la base des codes postaux, un fichier en apparence très basique, les choses n'ont pas été simples. Car, s'il est facile, sur le site de la Poste, d'associer une commune à son code postal pour une simple consultation, trouver puis extraire le fichier correspondant des systèmes d'information de La Poste, et le rendre utilisable par des tiers, est une autre affaire. Car la base d'adresses de la Poste, structurée pour être lue par des machines de tri postal, n'est pas directement adaptable à d'autres usages.

C'est pour dépasser la lourdeur inhérente à une grosse organisation dont le métier de base, le tri du courrier au rythme de 15 plis par seconde, reste industriel, que La Poste mise sur l'innovation ouverte. En faisant appel à des start-up. En organisant aussi cette année un concours d'idées en interne, pour inventer de nouveaux services : « 20 projets pour 2020 ». L'objectif pour La Poste, assure Sonia Scharfman, c'est de réussir la mutation du groupe vers de nouvelles activités pour les postiers, avec l'aide du numérique, tout en maintenant sa présence territoriale. Néanmoins, depuis les années 1990, l'effectif de La Poste qui dépassait 300.000 personnes, a fondu à 266.000 (dont une moitié de fonctionnaires). Luc Gole, membre du bureau de la Fédération des activités postales et télécommunications, FAPT-CGT (majoritaire), assure qu'il n'y a pas d'opposition de principe à la transformation numérique... À condition que l'évolution de compétences mises en jeu soit reconnue par des hausses de salaires. Et que les nouveaux services que l'on demande aux facteurs d'assurer ne se fassent pas au détriment du métier de base, la distribution du courrier. Changer oui, mais rester postier...

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>>> Entretien avec Isabelle Cambreleng - Groupe La Poste - Directrice de l'expérience client, des ventes en ligne.

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