
En 2014, Uber a payé zéro euro d'impôts en France. Ni plus ni moins que dans les autres pays, hors Etats-Unis, où la plateforme technologique met en relation passagers et voitures de transport avec chauffeur (VTC) professionnel d'ailleurs. Et pour cause, comme l'ont fait avant elle bon nombre de multinationales (comme les Google, Amazon, Facebook et autres Apple pour ne pas nommer les "GAFA"), Uber, ou plutôt son patron et fondateur, l'Américain Travis Kalanick, a mis au point un système complexe que le magazine Fortune a décortiqué.
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Uber, dans les pas des GAFA
Tout d'abord, pour bien comprendre la démarche de la société créée par l'Américain Travis Kalanick il y a six ans, rappelons, avant de le détailler, que le système d'optimisation fiscale d'Uber s'apparente à celui adopté par les grandes multinationales de la High Tech (type GAFA). A l'instar de Google, qui utilise notamment deux montages très en vogue: le "double irish" (deux sociétés basées en Irlande) et "sandwich néerlandais" (une entreprise domiciliée aux Pays-Bas). Ce qui lui permet de bénéficier de la fiscalité avantageuse de l'Irlande, à savoir d'un taux d'imposition sur les bénéfices de 12,5 % - l'un des plus faibles d'Europe - et d'un régime fiscal sur la propriété intellectuelle extrêmement favorable. En installant en Irlande son QG européen, Google a ainsi réussi à ramener son taux d'imposition sur les bénéfices à 2,4 % seulement comme l'a révélé une longue enquête de Bloomberg!
Le "double hollandais" ou "sandwich hollandais"
Dans le cas d'Uber, le montage serait plutôt un "double hollandais", aussi appelé "sandwich hollandais", reposant sur deux sociétés Uber International C.V. et Uber B.V.
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Le système est relativement simple à comprendre, pourvu que l'on use d'un peu de concentration.
Uber International C.V.
Pour commencer, Fortune explique que la stratégie du géant américain a débuté en mai 2013 avec la création d'Uber International CV, domiciliée aux Pays-Bas, mais dont le siège correspond à l'adresse d'un cabinet d'avocats dans les Bermudes... Celle-ci n'emploie aucun salarié, mais est à la tête d'un réseau de filiales, hors Etats-Unis.
Peu de temps après, cette filiale Uber International CV a conclu des accords clés avec sa société-mère Uber Technologies Inc, dont le siège social est établi à San Francisco. Uber International CV a ainsi accepté de payer à Uber Technologies Inc une redevance unique d'un peu plus d'un milliard de dollars, ainsi qu'une redevance de 1,45% sur les futurs revenus nets de la société, au titre des droits de propriété intellectuelle pour utiliser Uber hors des Etats-Unis. Les deux entités se seraient également entendues sur le fait de partager les coûts et bénéfices liés au développement de la propriété intellectuelle dans le futur.
Uber B.V.
La deuxième filiale clef du système, qui compterait 48 salariés, est Uber BV, domiciliée elle-aussi aux Pays-Bas, et qui permet de parler de montage "double hollandais".
En effet, pour faire simple, le revenu généré par une course (quel que soit le pays), est envoyé à Uber BV, qui en reverse 80% au chauffeur, via une autre société écran baptisée Rasier Operations BV. Sur les 20% restants, Uber BV ne déclare que 1% de revenus, sur lequel elle paye une taxe de 25%. Pour le reste, Uber BV partage les recettes entre les filiales locales, comme Uber France, pour subvenir aux coûts liés aux services support et de communication, et Uber International CV. Cette dernière reverse 1,45% de royalties à Uber Technologies Inc - c'est ce montant qui sera taxé alors aux Etats-Unis - mais la différence restera exonérée de toute taxe.
L'explication en images
Un exemple et des chiffres
Pour rendre la chose plus concrète, prenons l'exemple d'une course qui serait faite en France, à Marseille par exemple. Et considérons une course qui serait facturée 20 euros. Ceux-ci sont directement envoyés à Uber BV, qui en reverse 80% au chauffeur. Celui-ci déclare donc 16 euros de revenus, sur lesquels il sera imposé selon la fiscalité nationale.
Ensuite, sur les 4 euros de différence, Uber BV déclare 1% de revenus, soit 4 centimes d'euro, sur lesquels elle est imposée aux Pays-Bas à hauteur de 25% soit 1 centime d'euro. Puis Uber BV envoie 2 euros à Uber France, par exemple, et donc 1,96 euro à Uber International CV. Cette dernière reverse ensuite 1,45% de ces 1,96 euros en tant que royalties à Uber Technologies Inc. - un montant relativement minime dont sera ensuite retranché l'impôt américain - tandis que le reste échappera à toute taxe.
Grâce à un tel montage financier, Uber aurait perçu deux milliards de dollars de revenus sur les 10 milliards de dollars générés par les courses effectuées à travers le monde en 2015. Et ce ne serait rien à coté de ce qu'anticipe le géant américain pour 2016. Travis Kalanick tablerait sur le double - au minimum. C'est dire. C'est surtout un bon argument pour qui veut attirer des investisseurs...
La vidéo qui résume tout en deux minutes
Enfin, pour ceux qui sont plutôt adeptes des infographies animées que des longues démonstrations écrites, voici une vidéo du magazine qui permet de comprendre l'intégralité du système piloté par Travis Kalanick.
Reste que la société de Travis Kalanick ne cesse d'investir en masse, que ce soit dans la technologie, la recherche et le développement, ou encore dans le marketing. Uber vient ainsi de lancer un service de livraison outre Atlantique UberRush, après avoir décliné en France l'offre UberEats de repas à domicile... Ce qui explique en partie l'absence de bénéfices pour l'instant. Cela dit, comme le fait remarquer un observateur cité par Fortune, Travis Kalanick investirait-il autant s'il n'anticipait pas une forte rentabilité ?
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Selon le magazine américain, Uber, qui est présent dans plus de 60 pays et 342 villes, emploierait au total 4.000 salariés à temps plein dans le monde, et compterait 327.000 chauffeurs partenaires aux Etats-Unis, et plusieurs centaines de milliers sur tout le globe. A l'échelle de l'Hexagone, la plateforme aurait quelque 10.000 chauffeurs partenaires et environ 75 salariés. Un porte parole d'Uber France a récemment annoncé que si la croissance du secteur du transport est au rendez-vous, la société pourrait doubler ses effectifs d'ici fin 2016.
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