Les chiffres publiés vendredi 10 juin par l'Agence Bio confirment les premiers constats de l'Institut de recherche et d'innovation (IRI) datant de février: en 2021, pour la première fois après des années de croissance à deux chiffres, le marché français des produits bio a fléchi. Le groupement d'intérêt public, chargé du développement, de la promotion et de la structuration de l'agriculture biologique, relève notamment une baisse marquée des ventes en grandes surfaces alimentaires (GSA), à 3,9%, et qui s'accentue puisque l'IRI l'avait établie à 3,1% en février. Le bilan reste négatif lorsque l'on prend en compte l'ensemble des circuits de distribution du bio (sauf la restauration hors domicile) : le chiffre d'affaires a reculé de 1,34%.
Une telle tendance est plutôt inédite en Europe, où le marché du bio a plutôt continué de croître en 2021, bien que souvent moins que les années précédentes. En comparant la France avec les seuls deux autres pays européens où les ventes ont aussi baissé, la Suède et la Finlande, l'Agence Bio explique cette particularité par deux facteurs principaux: la concurrence d'autres labels ou allégations commerciales captant la confiance des consommateurs, et le soutien insuffisant des pouvoirs publics -parfois au contraire impliqués dans la promotion de formes d'agro-écologie moins exigeantes.
Une baisse surtout portée par la grande distribution
La pleine compréhension du phénomène est toutefois compliquée par d'autres éléments. Tout d'abord, la comparaison avec 2020, année de confinements répétés pendant lesquels le bio a eu particulièrement le vent en poupe, risque d'être fallacieuse. Par rapport à 2019 d'ailleurs, le bio croît: de 11% dans son ensemble et de 6,6% en GSA.
En outre, la baisse des ventes de 2021 par rapport à 2020 a été surtout portée par la grande distribution, où le bio subit davantage la concurrence de produits moins chers. Or, dans le marché du bio, les grandes surfaces ne représentent que 50% des débouchés, contre 70% pour l'ensemble de l'agroalimentaire, note l'Agence Bio. Et dans la distribution bio spécialisée, qui représente 27% du marché, les ventes n'ont baissé "que" de 1,8%.
Les artisans et la vente directe toujours en croissance
Surtout, chez les artisans-commerçants (bouchers, boulangers, etc.) et en vente directe, après une année 2020 exceptionnelle où le chiffre d'affaires a grimpé respectivement de 23,3% et de 20,5%, le bio a continué de croître aussi en 2021, de 5,8% et 7,9%. Ces réseaux représentent donc pour l'Agence Bio une véritable opportunité, en sachant notamment qu'une ferme bio sur deux vend directement ses produits, contre une sur quatre au niveau national, et que les produits bio y sont moins chers que dans les autres circuits.
L'Agence Bio repose aussi beaucoup d'espoirs sur la restauration, tant collective que commerciale, dont les achats de produits bio en 2021 ont respectivement progressé de 30% et de 7,9%, mais qui ne leur réserve encore qu'une part de 6,6%% et de 1,7%.
"Avec environ 80.000 cantines et 180.000 restaurants en France, il s'agit de deux relais de croissance majeurs pour accueillir la production des agriculteurs français qui arrivent au terme de leur conversion", note l'agence.
Dans la restauration collective, l'objectif de 20% de produits biologiques, fixé par la loi Egalim pour 2022, mais loin d'être atteint, pourrait notamment être un important levier.
Une part stable dans les courses alimentaires
Quelques facteurs mis en avant par l'agence sont d'ailleurs susceptibles de rassurer les acteurs du marché. Selon un sondage mené par l'Institut CSA pour l'Agence Bio, le 19e Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques, publié en mars 2022, neuf français sur dix consomment toujours du bio. Et, malgré une baisse des nouveaux consommateurs (11% contre 15% en 2020), le nombre de ceux qui consomment du bio une fois par mois, voire une fois par semaine, augmente. La part de marché du bio dans les courses alimentaires des Français reste d'ailleurs stable, à 6,6%.
La France reste en outre le deuxième marché bio européen après l'Allemagne. Et les importations ont légèrement baissé en 2021 (de 33,5% à 32%), grâce à la création progressive de filières à 100% françaises: œufs, lait, vin, mais aussi viandes, légumes, et désormais boulangerie et pâtisserie.
"Hors produits exotiques, les filières bio sont approvisionnées à plus de 81% par des produits français", souligne l'Agence Bio, pour qui l'agriculture bio est donc "un formidable outil de souveraineté alimentaire" et de création d'emplois, puisqu'une ferme bio emploie 30% de main-d'œuvre de plus qu'une ferme non bio.
Portées par le vin, les fruits, les produits laitiers et l'épicerie, les exportations se développent en parallèle, avec une croissance de 18% l'année dernière.
Pas de sorties massives du bio
Prévoir l'avenir reste néanmoins très difficile. La situation de surcapacité, qui oblige certains producteurs bio à vendre leur produits en conventionnel, à des prix plus bas, risque en effet de se poursuivre, puisque malgré la récession du marché, "la production de bio est toujours en forte augmentation". En 2021, les surfaces cultivés en bio ont en effet encore crû de 9%. Désormais, 10,3% de la surface agricole utile française (2,8 millions d'hectares) est en bio, et la barre symbolique de 20% des vignobles français conduits en bio a été dépassée en septembre 2021.
Malgré le recul du marché, en outre, "l'Agence BIO n'observe pas de phénomène de « sorties du bio » massives" : en 2021, 4,17% des fermes sont concernées (soit seulement 0,15% de plus qu'en 2020), dont une bonne moitié à cause de départs à la retraite.
Une réduction de l'écart de prix entre bio et conventionnel ?
L'impact qu'aura le contexte inflationniste sur les prix du bio, ainsi que sur leur perception, reste en outre difficile à définir, admet Laure Verdeau, la directrice de l'Agence Bio. On peut certes imaginer que les écarts de prix entre aliments bio et non bio vont baisser en raison, d'une part, de l'indépendance de l'agriculture bio par rapport aux marchés internationaux et aux engrais -dont les cours flambent-, et, d'autre part, de la plus grande fréquence de formes de contractualisation sur le long terme entre producteurs et distributeurs (qui ralentissent la répercussion des hausses des coûts de production).
- Lire aussi : Guerre en Ukraine: pourquoi les produits « bio » pourraient moins souffrir de la hausse des prix
Mais, "en période de forte inflation, 'l'image prix", qui n'est pas favorable au bio et profite aux distributeurs les moins chers, est capitale", reconnaissait, lors d'une interview avec La Tribune fin avril, le directeur général de Biocoop, Sylvain Ferry. De plus, la tendance des grandes surfaces, constatée par Nielsen IQ, à réduire le nombre de références bio, au profit des premiers prix, pourrait produire des effets en cascade, admet Laure Verdeau, qui affirme "regarder cela avec attention".
Campagnes de communication
En outre, le soutien dont l'agriculture bio pourrait bénéficier avec le prochain gouvernement reste encore incertain. La Fédération nationale de l'agriculture biologique (Fnab) réclame un "plan de résilience" des filières bio, plus axé sur le soutien de la qualité des productions que sur leur taille. Le ministère de l'Agriculture français doit en outre revoir d'ici un mois le Plan stratégique national proposé par la France pour la mise en œuvre de la prochaine Politique agricole commune (PAC) européenne, car il a été retoqué par Bruxelles à cause, entre autres, de l'absence de distinction, dans l'attribution des aides, entre agriculture biologique et conventionnelle. La Fnab a déjà été reçue par le nouveau ministre, Marc Fesneau, mais l'Agence Bio, pas encore.
Dans ce contexte, l'Agence Bio mise pour le moment surtout sur une campagne de communication élaborée avec les inter-professions agricoles (Cniel, Interfel, Interbev, CNPO, Synalaf, Cnipt, Intercéréales, Terres Univia) et la Maison de la Bio afin de mieux informer les Français sur les garanties liées aux label AB (Agriculture Bio), notamment en matière de réglementation et de contrôles. Le leader des magasins spécialisés, Biocoop, table pour sa part sur une offre alliant bio, local, vrac, etc., et sur une campagne axée sur le commerce équitable, afin de satisfaire pleinement le noyau dur des consommateurs bio les plus exigeants. Des stratégies qui seront mises à l'épreuve de l'inflation.
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