Il l'a répété trois fois. Lors de l'interview du 14-Juillet, le président de la République Emmanuel Macron a évoqué, à trois reprises, la filière hydrogène. De même, devant le Sénat le 16 juillet, le Premier ministre Jean Castex a promis d'investir dans les technologies vertes de demain, prenant l'hydrogène en exemple. Et ce après l'Union européenne qui a présenté le 8 juillet son plan de développement de l'hydrogène propre, et surtout après l'Allemagne qui a annoncé dès le 11 juin mettre 9 milliards d'euros sur la table dans ce domaine.
Autant dire que les déclarations des deux têtes de l'exécutif français satisfont les professionnels du secteur. Ainsi, le député (LREM) de Dordogne Michel Delpon, qui préside depuis avril 2019 le groupe d'études sur l'hydrogène à l'Assemblée nationale, ainsi que sa conseillère parlementaire Inès Loughraieb appellent à "donner une impulsion" à une filière "très dynamique". L'élu a d'ailleurs remis une note au chef de l'Etat ainsi qu'un rapport à Jean Castex dès la nomination de ce dernier à Matignon. Président de l'association française de l'hydrogène et de la pile à combustible (AFHYPAC, 190 membres), Philippe Boucly dit, lui, "attendre la fumée blanche". Autrement dit, des annonces plus concrètes d'ici à la fin du mois de juillet ou en septembre, comme le déblocage d'espèces sonnantes et trébuchantes.
D'énormes montants en jeu
Car depuis le 1er juin 2018 et le lancement du plan Hydrogène de 100 millions d'euros par l'ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, l'Etat n'a pas réinjecté de liquidités pour soutenir le chemin tracé par les industriels du secteur. Air Liquide et Toyota vont en effet multiplier par 6 le nombre de taxis Hype qui roulent à Paris d'ici à la fin de l'année, Michelin et Faurecia se sont alliés pour renforcer SymbioFCell, leader européen de la pile à combustible, et EDF a lancé sa filiale Hynamics avant de prendre une prise de participation chez le producteur et distributeur McPhy dont le cours de Bourse s'est envolé de... 543% en 6 mois! Sans oublier Total qui vient de créer une business unit dédiée. 19 bus roulent en outre déjà à l'hydrogène, dont 8 à Pau, 6 dans l'agglomération de Lens et 3 à Versailles. Le cimentier Cemex travaille, lui, sur un bateau pousseur fonctionnant avec cette énergie.
C'est pourquoi le président de l'AFHYPAC refuse de considérer que la France se réveille sur l'hydrogène.
"C'est du French bashing !" s'exclame Philippe Boucly, citant un appel à manifestation d'intérêt "projets d'envergure sur la conception, la production et l'usage de systèmes à hydrogène" piloté par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et l'Agence pour la transition écologique (Ademe).
"Cent soixante projets pour un total de 32 milliards d'euros d'investissement ont été identifiés, c'est considérable !", insiste-t-il.
Cet appel à manifestation d'intérêt va également permettre d'écrire les cahiers des charges des appels à projet qui devraient être lancés par l'Ademe d'ici à fin 2020.
Les montants en jeu sont donc énormes mais il n'y a pas ou peu d'argent public en face. "Ça va venir", pressent Philippe Boucly. "Que le gouvernement mette un véritable budget !" exhorte le député marcheur Michel Delpon, rappelant que la Portugal a débloqué 7 milliards et la Chine 14 milliards d'euros. Pour autant, selon nos informations, la direction générale de l'Energie et du Climat (DGEC), dépendant du ministère de la Transition écologique et solidaire, ne sait pas encore si l'hydrogène aura un plan dédié ou s'il sera inclus dans le plan de relance global. Cette même DGEC réfléchit par ailleurs à la traçabilité de l'hydrogène afin qu'elle soit "vraiment renouvelable".
"Il s'agit de donner confiance aux consommateurs", relève le président de l'AFHYPAC.
Subventionner l'hydrogène vertueux ?
95% de l'hydrogène reste effectivement fabriqué à partir d'énergies fossiles - l'hydrogène gris -, quand moins de 5% est produit à partir du nucléaire - l'hydrogène bas-carbone - ou d'énergies renouvelables - l'hydrogène renouvelable -. Cet hydrogène jaune ou vert demeure plus cher à produire.
"Si vous voulez développer l'hydrogène vertueux, il faut le subventionner en comblant l'écart avec l'hydrogène gris", plaide actuellement Philippe Boucly auprès de la direction générale de l'Energie et du Climat. "Nous préconisons de travailler par appel d'offres", préconise-t-il.
En attendant, les parties prenantes travaillent à faire participer la France au projet européen IPCEI (Important projet of common european interest, Ndlr) de soutien à la recherche et à l'innovation. Autrement dit, que la filière de l'hydrogène soit identifiée comme telle par l'Union européenne, afin que les règles d'Etat soit allégées et que ce dernier puisse aider plus facilement cette industrie sans contrevenir aux règles du marché international. "Je n'ai plus de doute sur le fait que la France en fera partie. Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire s'exprime tous les quatre matins sur le sujet", déclare le président de l'AFHYPAC.
"Nous devons être à la hauteur de la concurrence mondiale", appuie le député Michel Delpon. "L'hydrogène, c'est de la production en France, de l'emploi dans les territoires. Le changement de paradigme doit se faire, et cette énergie remplit tous les critères", martèle le président du groupe d'études dédié au Palais-Bourbon.
D'autant que cette énergie sert déjà de carburant pour toutes les mobilités - du vélo à l'avion en passant par le train - et permet de décarboner les industries fortement consommatrices d'énergies fossiles. De même que l'hydrogène permet de stocker de l'énergie et de la restituer sous forme de chaleur dans l'habitat. Il a enfin un avantage non-négligeable sur la qualité de l'air extérieur: son rejet dans l'atmosphère se fait sous forme d'eau.
L'Occitanie veut devenir "leader" sur l'hydrogène vert
Les régions n'ont, elles, pas attendu l'Etat pour avancer. Elles possèdent chacune leur stratégie: Bourgogne-Franche-Comté, Île-de-France - "Valérie Pécresse veut y aller résolument", relève Philippe Boucly de l'AFHYPAC -, Auvergne-Rhône-Alpes, qui ambitionne de devenir la première zero emission valley, Bretagne ou encore Hauts-de-France. L'Occitanie a par exemple débloqué des fonds pour développer cette énergie alternative et structurer une filière. Dès 2016, le conseil régional présidé par la socialiste Carole Delga a lancé Hydeo, un premier plan en faveur du développement de l'hydrogène, avant d'y ajouter trois ans plus tard 150 millions d'euros dédiés à une seconde enveloppe en la matière. À la seule différence que cette fois-ci, les fonds seront fléchés vers des projets qui produisent et distribuent un hydrogène vert, soit une énergie produite à base d'énergies non-fossiles.
Dans les faits, cette ambition politique de « devenir la région pionnière et leader sur l'hydrogène vert », comme le souhaite l'élue (PS), se concrétise notamment via le projet HyPort. Celui-ci consiste à développer, dans les zones aéroportuaires de l'Occitanie, un réseau de stations de production et de distribution d'hydrogène vert. Ainsi, tout récemment, l'Aéroport Toulouse-Blagnac, la société HyPort (chargée de mettre en œuvre le projet et co-détenue par Engie et la collectivité locale) et Engie Solutions ont signé la convention cadre de collaboration pour la construction de la première station d'hydrogène vert au cœur de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Cette officialisation va permettre de lancer dans les prochaines semaines les travaux de construction sur le site de 2.600 mètres carrés mis à disposition par l'aéroport toulousain.
"Une fois en service, cette station assurera la fourniture de cette nouvelle énergie au service non seulement de la mobilité (bus destinés à assurer le transport des passagers entre l'aérogare et les avions et parkings éloignés, véhicules utilitaires légers, flottes captives, etc.), mais aussi des applications aéronautiques et industrielles. Située sur le tarmac et en zone publique, la station sera destinée à l'ensemble des usagers potentiels, particuliers ou professionnels", précise l'aéroport.
Les premiers trains fonctionnant totalement à l'hydrogène ?
Plus ambitieux, le Conseil régional d'Occitanie souhaite être la première région française à faire rouler sur les rails un train fonctionnant totalement à l'hydrogène, comme l'Allemagne le fait depuis plusieurs mois. Et pour cela, la collectivité a commandé trois rames 100% hydrogène Régiolis (trains régionaux) à Alstom, qui développe à Tarbes la technologie nécessaire. D'ailleurs, c'est la société HyPort qui fournira l'hydrogène à l'acteur ferroviaire pour les tests de la génératrice à Tarbes. Ainsi, c'est la ligne Montréjeau-Luchon (Haute-Garonne) qui servira de premier terrain d'expérimentation français.
Pour le moment, cette ligne de 36 kilomètres est fermée depuis 2013 suite aux importantes inondations qui ont touché le département cette année-là. Des travaux d'un montant de plusieurs dizaines de millions d'euros sont prévus pour réhabiliter totalement la ligne et l'adapter à cette nouvelle technologie.
« La région Occitanie attend de l'Etat des engagements et un soutien financier conséquent », prévient tout de même Carole Delga.
Si le plan se déroule sans accroc, un premier train qui roule à l'hydrogène pourrait, dans le cadre d'une expérimentation, faire la liaison entre les deux communes dès 2022, avant une exploitation éventuelle.
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