Quasiment un an après la publication par le Premier ministre de la lettre de mission qui, le 2 juillet 2019, a marqué le lancement officiel de la Convention citoyenne pour le climat, cette institution démocratique inédite, annoncée par Emmanuel Macron à l'issue du Grand débat national, achève ses travaux ce week-end. Entre vendredi et dimanche, les 150 citoyens tirés au sort voteront sur 150 propositions de mesures afin de lutter contre le réchauffement climatique, ainsi que sur un rapport faisant état de leurs réflexions. Thierry Pech, coprésident avec Laurence Tubiana du comité de gouvernance, revient pour La Tribune sur son sens et analyse son héritage.
LA TRIBUNE - La Convention citoyenne sur le climat (CCC) rend enfin ses propositions de mesures ce week-end, quasiment un an après son lancement. Quel bilan tirez-vous de cette expérience?
THIERRY PECH - Le bilan que j'en tire est extrêmement positif. Un tel exercice de démocratie représentait une première en France, et peut-être même au monde, compte tenu des ambitions fixées, impressionnantes : définir des mesures susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France de 40% en 2040 d'ici
2030, leur donner une forme législative ou réglementaire et déterminer dire lesquelles
devaient emprunter la voie parlementaire, lesquelles la voie référendaire... Ce n'était pas évident que la CCC puisse atteindre un tel objectif. Mais les 150 citoyens tirés au sort ont énormément travaillé, et su valoriser pleinement leurs différences, leur capital d'expérience personnel. Je suis d'ailleurs également très satisfait des relations qu'ils ont su construire avec les experts: les fact checkers et les groupes d'appui qui se sont mis au service de la CCC, mais aussi les quelque 120 experts qui ont été auditionnés.
Lire: Nicolas Hulot appelle la Convention citoyenne pour le climat à "faire les choses en grand"
Une source de satisfaction est encore que, malgré la méfiance réciproque du début, jamais il n'y a eu d'opposition avec les institutions traditionnelles de la démocratie représentative. Le constat de l'utilité du travail mené par la CCC a permis de lever tout doute. Au fond, en France, il n'y a pas beaucoup de climatosceptiques. Les divisions portent plutôt sur les moyens pour lutter contre le réchauffement, sur le partage des efforts à consentir. C'est pour cette raison qu'il était important que 150 citoyens aussi divers que la société française elle-même se mettent d'accord sur ces moyens d'action, car le consensus qu'ils ont atteint est susceptible de rencontrer l'adhésion de leurs concitoyens.
Quels enseignements retenir de cette expérimentation?
Cette expérience montre surtout à quel point les démocraties européennes gagneraient à impliquer davantage les citoyens dans la définition des politiques publiques. De nombreux pays européens sont en effet confrontés au même phénomène : une remise en cause des institutions de la démocratie représentative telles que nous les avons connues jusqu'à présent. Face à l'urgence environnementale, imaginer de simples "inflexions" des politiques publiques ne suffit plus : des changements plus profonds sont désormais nécessaires, touchant à l'ensemble de nos modes de vie, de nos façons de produire, de consommer. Or, de tels changements imposent de trouver les moyens de construire des consensus très larges. La forte hostilité face à l'écotaxe, puis à la taxe carbone, qui pourtant avaient le soutien de nombreux experts et de nombreux élus, illustre bien ce besoin. Il faut désormais réfléchir autrement et élargir le cercle de la citoyenneté, pour que les citoyens participent aux décisions publiques.
Lire: Convention citoyenne pour le climat : « Relocalisons nos secteurs stratégiques »
Vous considérez néanmoins la CCC non pas comme une forme de démocratie directe, mais comme une nouvelle institution de démocratie représentative. Pourquoi?
Les 150 citoyens de la CCC sont bien des représentants du peuple, pour deux raisons. D'une part, ils composent un panel représentatif de la société française, et ils parlent souvent au nom de leurs concitoyens. D'autre part, comme pour tous les représentants, ils ont une fonction normative : en l'espèce, préfigurer un consensus social sur les règles qui doivent présider aux changements nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique.
La CCC pourrait toutefois déboucher sur une pratique de la démocratie directe: le référendum.
Le paradoxe n'est qu'apparent et tient à la distinction qu'il faut faire entre l'exercice de la CCC et le reste du processus. La CCC n'a pas de pouvoir de décision législative. Selon la Constitution française, celui-ci appartient au peuple, qui normalement le délègue au Parlement, mais qui peut exceptionnellement le reprendre via un référendum. Parmi les missions de la CCC, il y a aussi celle d'exprimer sa préférence sur ces divers modes de décision sur ses mesures, c'est-à-dire ce qui appartiendra au référendum ou au Parlement.
Comment éviter néanmoins qu'un référendum sur les propositions de la CCC se transforme en plébiscite sur l'action du gouvernement?
Examiner la pertinence de cet outil démocratique en partant de cette approche est une erreur, car ce n'est pas la seule donnée à prendre en compte. Le risque plébiscitaire est d'ailleurs plus ou moins élevé selon les contextes. En 1969, par exemple, c'est le général de Gaulle lui-même qui, par ses déclarations, a transformé le référendum en plébiscite. Le nombre de questions posées, leurs origines, le temps consacré à leur explication et à leur discussion comptent aussi. Aux Etats-Unis par exemple, dans l'Etat de l'Oregon, les questions posées sont d'abord instruites par des assemblées délibératives de citoyens, qui en préfigurent les enjeux.
Finalement, la crise sanitaire et économique du Covid-19 a-t-elle été un frein ou une opportunité pour la CCC?
D'abord, elle a surtout représenté une difficulté. Individuellement, ses membres ont dû faire face à tous les problèmes quotidiens auxquels ont été confrontés l'ensemble des Français. Et le confinement a beaucoup perturbé les travaux collectifs, qui en mars étaient sur le point de se terminer. Il est aussi vrai que cette crise a redéfini les priorités politiques, mais il est trop tôt pour dire si les questions environnementales en sortiront renforcées ou affaiblies. La difficulté dans les mois à venir sera sans doute de sauver l'économie sans sacrifier la transition écologique. Mais ce qui est sûr, c'est que l'ampleur de l'urgence environnementale est plus grande encore que celle de la pandémie. Si les intérêts de court terme devaient nous éloigner des intérêts de long terme en la matière, notre pays en sortirait deux fois meurtri.
L'exercice de la CCC a été mené au niveau national. Est-ce toujours la bonne échelle, à l'aune des enseignements de la crise sur les failles de la mondialisation et les atouts de la dimension locale?
C'est une échelle toujours pertinente, mais pas la seule. Je suis en effet convaincu qu'un tel exercice gagnerait à être étendu au niveau local, puisque de nombreux sujets liés à la transition écologique sont dans les mains des collectivités. Que les Français puissent les examiner à ce niveau aussi, ce serait la suite logique de la CCC. En outre, cela permettrait à davantage de citoyens d'être confrontés à une question très saine: celle des décisions à prendre face à des enjeux complexes comme le réchauffement climatique. Ce n'est pas simple, cela peut même paraître impressionnant, mais ils sont tous concernés et ont tous une expérience qui leur donne voix au chapitre. Il faut s'efforcer de sortir davantage de citoyens du simple rôle de spectateurs pour leur permettre de s'engager pleinement, et de montrer aux décideurs publics que, confrontés à la complexité, ils sont capables de faire des choix éclairés. Ce serait une école de décision collective et de citoyenneté, susceptible de générer une multitude de micro-décisions profitables à la transition écologique.
Lire: Face au Covid-19, les villes françaises réinventent leurs stratégies alimentaires
Comment et quand pourra-t-on évaluer le véritable succès de la CCC?
Elle est déjà un succès, puisqu'elle est parvenue à accomplir sa tâche malgré plusieurs avaries: les grèves de décembre à janvier, puis la crise sanitaire et le confinement. Les objectifs, extrêmement ambitieux, qui lui avaient été fixés ont été atteints. Mais il y aura aussi un deuxième critère de réussite: ce qu'il en restera dans les lois et les règles du pays. Son succès sera d'autant plus grand si elle inspire aux pouvoirs publiques des décisions ambitieuses et susceptibles d'être mises en oeuvre sans déchirures inutiles.
Sujets les + commentés