En Normandie, le pastel (re) creuse son sillon en plein champ

Ringardisé par l’indigo synthétique, le pastel des teinturiers dont est issu le pigment bleu du même nom reprend des couleurs à la faveur du retour en grâce des ingrédients naturels. Lauréate des trophées de la bio-économie, la startup Blue & Pastel a mis au point un procédé d’extraction industrielle sans solvant et sans équivalent qui ouvre le champ des possibles.
Le procédé développé par Blue & Pastel sera bientôt breveté
Le procédé développé par Blue & Pastel sera bientôt breveté (Crédits : DR)

Sa fleur est jaune comme celle du colza dont il est un cousin mais ses feuilles une fois compressées et séchées donnent une jolie couleur bleue et ses graines une huile. Connu depuis la nuit des temps, le pastel des teinturiers, de son appellation savante « l'isatis tinctorial », est en passe de se réimplanter dans la campagne normande où il prospérait au Moyen Âge avant de disparaître, tué par l'indigo oriental puis par les colorants de synthèse.

A l'origine de cette renaissance, deux céréaliers, l'une picarde, l'autre calvadosien, tombés en amour pour la vouède : le nom que les paysans du bocage lui donnaient autrefois. C'est en cherchant une culture pour remplacer la betterave privée de débouchés depuis la fermeture de la sucrerie de Cagny (Calvados) qu'Arnaud Besnier commence à s'intéresser à cette plante robuste de la famille des brassicae. Sa rencontre avec Aurore Cottrel, elle-même cultivatrice d'une petite parcelle de pastel, sera décisive.

Pastel des teinturiers

De l'artisanal à l'industriel

Convaincus du potentiel de la vouède, ensemble ils mettent au point un procédé d'extraction industrielle « sans solvant » du pigment et de l'huile que contiennent ses feuilles et ses graines. Lesquelles sont aujourd'hui exclusivement transformées de façon artisanale. Une petite révolution, assurent les deux compères désormais à la tête d'une startup baptisée Blue & Pastel. « La France produit entre 150 et 200 kilos de ce colorant naturel chaque année. Notre pilote industriel en transforme déjà une tonne ce qui ouvre la voie à une production à beaucoup plus grande échelle ».

Soutenus par des investisseurs dont ils préfèrent taire le nom, les intéressés envisagent la création d'une unité industrielle vingt fois plus capacitaire que leur prototype. Leur objectif : proposer une alternative plus durable à l'indigo synthétisé grâce à de produits chimiques toxiques dont le redoutable formaldéhyde. Leur reste à réunir autour d'eux un collectif d'agriculteurs prêts à se lancer dans la culture du pastel, pour l'instant sécurisée sur une dizaine d'hectares dans le Calvados. « Nous ciblons 130 hectares en 2024 et 250 hectares en 2025, de quoi fabriquer 250 tonnes de pigments sachant que tous les co-produits seront valorisés », détaille Arnaud Besnier.

Une plante rémunératrice

Pour Aurore Cottrel, il ne sera pas très difficile de convaincre la profession. « C'est une plante beaucoup plus rémunératrice que le blé du fait qu'elle permet deux récoltes (une année les feuilles, la suivante les graines ndlr). De plus, elle résiste bien à la sécheresse et ne nécessite ni fongicide, ni pesticide », souligne-t-elle. Comme la betterave, le pastel qui est connu pour assainir les sols pourrait en outre permettre d'assurer des rotations de culture. « Toutes les conditions sont réunies pour créer une nouvelle filière, source de diversification pour les agriculteurs », affirme en écho Arnaud Besnier.

Les fondateurs de Blue & Pastel, qui assurent avoir déjà reçu des manifestations d'intérêt de la part de clients potentiels, ciblent les marchés de la cosmétique (l'huile de pastel a des vertus cicatrisantes), de l'agro-alimentaire, de la coiffure mais surtout de la mode dont les impacts sur le changement climatique et la pollution sont en butte à des critiques de plus en plus vives.

Au 16ème siècle, les marchés de Rouen et de Caen étaient avec ceux de la région toulousaine les principales places commerciales du pastel des teinturiers dont on trouve encore trace dans les fils de la tapisserie de Bayeux. Qui sait si l'histoire ne se répétera pas.

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