Attirer l'épargne vers le capital-investissement

Louis Godron, président de l'Association française des investisseurs pour la croissance (Afic), est un matheux arrivé à la finance « par amour », et affiche une bonhomie rassurante. Un atout incontestable pour l'un des aspects de sa mission : restaurer l'image d'une profession mal aimée
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À l'heure où l'Afic, le lobby français du capital-investisse-ment, s'efforce de réconcilier l'opinion publique avec ce métier souvent assimilé aux fonds vautours, il s'est trouvé un très bon ambassadeur en la personne de son nouveau président, élu le 20 juin.
Louis Godron, par ailleurs directeur général de la société de capital-investissement Argos Soditic, c'est tout sauf l'image du financier arrogant et sans scrupule. Au contraire, le monsieur affiche une bonhomie rassurante. On sent qu'il a les pieds sur terre, voire les mains dans le cambouis, loin de cette finance « sans visage » vilipendée par le président Hollande, et qui brasse des milliards, totalement déconnectée des réalités. Il faut dire qu'une femme chef d'entreprise et quatre enfants, ça vous aide à garder les pieds sur terre. Mais justement, lui qui aime le réel, comment est-il tombé dans la finance, alors que ses études à Centrale le prédisposaient au métier beaucoup plus concret d'ingénieur ? Eh bien... par amour !

Donner vie à des projets, « comme une sage-femme »

Qu'on ne s'abuse pas, Louis Godron, tout matheux qu'il est, n'est pas tombé amoureux des marchés financiers, mais de sa femme, tout simplement. Et cela, alors qu'il devait s'envoler deux mois plus tard pour l'inde, afin d'y accomplir son volontariat du service national en entreprise (VSNE). Plus question de partir à l'autre bout du monde, le jeune homme cherche en catastrophe un autre VSNE, plus près de sa belle. Ce sera Genève, chez Elf aquitaine : « J'ai débuté ma carrière dans le trading de produits pétroliers. C'est là que j'ai acquis ma conviction de l'inefficience des marchés, ce qui m'a amené à me rapprocher du fondamental : l'entreprise. »Les choses plus réelles, c'est initiative et Finance, l'un des pionniers du capital-investissement en France, spécialisé dans les opérations de transmission d'entreprises. Louis Godron est recruté par celui qui deviendra son compère, Gilles Mougenot, aujourd'hui président d'argos Soditic, qu'il crée en 1990, emmenant Louis Godron dans ses bagages. alors âgé de 24 ans, ce dernier découvre le métier encore tout neuf en France du « private equity », qui, dans les grandes lignes, consiste à lever des fonds auprès d'investisseurs institutionnels comme les banques, et à les investir dans des entreprises, généralement non cotées en Bourse, pour financer leur développement ou leur cession, avec pour objectif la réalisation de plus-values destinées à rémunérer les « zinzins. » « Le capital-investissement est un métier fabuleux qui a un véritable sens économique et social. Et pour qu'un ingénieur vous dise que quelque chose est fabuleux, c'est que ça l'est vraiment?! », s'exclame Louis Godron. « C'est comme la profession de sage-femme, cela permet de donner la vie à des projets d'entrepreneurs qui ne pourraient pas voir le jour sans cela. Et comme un tuteur, nous aidons l'entreprise à se développer en y apportant non seulement des fonds propres, mais aussi et surtout des compétences et savoir-faire variés. »
Rencontrer moult chefs d'entreprise, chacun avec son histoire propre, pénétrer les arcanes de différents secteurs d'activité, réorienter des stratégies, fortifier le volet marketing d'une entreprise qui produit de beaux produits mais ne sait pas les vendre, un peu à la manière de l'entraîneur qui fait tra-vailler son revers à un tennisman plutôt porté sur le coup droit, voilà ce qui plaît à Louis Godron.

« L'aspect humain est primordial »

Au point de ne pas hésiter à filer la métaphore avec ces marins d'autrefois, qui s'embarquaient sans jamais bien savoir où ils allaient accoster mais en ayant la certitude de rencontrer des difficultés sur leur chemin. or, sur un bateau, mieux vaut très bien s'entendre pour faire bonne route : « L'aspect humain est primordial dans notre activité. L'alchimie avec l'équipe de direction est un critère important pour décider d'investir ou non dans une entreprise, car le chemin est rarement une ligne droite. Il faut être sûr de pouvoir traverser les incertitudes et les épreuves ensemble. » Cette vision du capital-investissement n'est-elle pas un peu idyllique ? Toutes les sociétés ne voient pas avec joie un fonds de private equity débarquer dans leur capital. Au contraire, cela suscite souvent l'inquiétude, tant on sait que le métier des fonds de capital-investissement consiste à maximiser la rentabilité de leurs investissements, afin de satisfaire leurs actionnaires. Mais, pour Louis Godron, « il existe une grande cohérence entre notre tâche consistant à rémunérer des épargnants au travers de leurs placements via les banques et les assurances et notre travail aux côtés des entreprises, qui est de les aider à devenir plus fortes, plus profitables et bien ancrées dans la croissance. C'est le cercle vertueux de l'argent au service de la croissance. » Et puis, « le fonctionnement du capital investissement n'est pas du tout le même en France et aux États-Unis, où l'on rachète souvent des entreprises dans le but de réduire les coûts, notamment au prix de licenciements. En France l'immense majorité des investissements est orientée vers la croissance », nuance le nouveau président de l'Afic.
« Nous sommes peu nombreux dans ce métier relativement jeune et encore méconnu, assimilé à tort aux hedges funds. En tant que président de l'Afic, l'une de mes priorités consistera à mieux faire comprendre aux pouvoirs publics, aux syndicats, aux leaders d'opinion, que notre rôle n'est pas de dépecer les entreprises, tout au contraire, et que l'épargne abondante en France pourrait être plus largement orientée utilement vers les fonds propres des PME », annonce Louis Godron. Sitôt dit, sitôt fait : à peine élu, mercredi, le nouveau président de l'Afic a proposé à l'assemblée générale de rebaptiser l'association. Si le sigle demeure, le « C », en revanche, ne signifie plus « capital » mais « croissance. » L'Afic, l'association française des investisseurs pour la croissance. Tout de suite, ça sonne mieux. Surtout, cela correspond mieux à la réalité du capital-investissement, martèle Louis Godron, qui rappelle que les sociétés françaises détenues par des fonds de capital-investissement - lesquelles sont à près de 80 % des PME - ont vu leur chiffre d'affaires grimper de près de 9 %, en moyenne, en 2010 (dernières données disponibles), et leurs effectifs croître de 4,2 %, alors que l'activité de l'ensemble des PME françaises a augmenté de 3,2 % seulement, et que la progression du nombre de leurs collaborateurs s'est limitée à 1,9 %.L'économie française, justement, qu'en pense-t-il?? Contrairement à tant d'autres qui désespèrent de la France et n'ont d'yeux que pour l'autre côté de l'atlantique, Louis Godron estime que « l'économie française recèle un énorme potentiel, un foisonnement de projets d'entreprise qui n'attendent que des capitaux et du soutien pour prendre vie. » Ces fameux projets dont le capital-investissement facilite l'accouchement.

Pallier le tarissement des capitaux

Le problème, c'est que l'argent commence à faire sérieusement défaut au private equity français. L'an dernier, pour la troisième année d'affilée, le capital-investissement hexagonal a investi davantage (9,7 milliards d'euros) qu'il n'a levé de fonds (6,4 milliards). Cela en raison du durcissement de la réglementation en matière de fonds propres à laquelle sont soumis les banques et les assureurs, les traditionnels pourvoyeurs du private equity. Ce sera la priorité du nouveau patron de l'Afic : essayer de trouver un remède à ce tarissement des capitaux, en formulant des propositions destinées à orienter l'épargne longue des Français vers le capital-investissement. L'afic a publié un livre blanc en ce sens en avril. À Louis Godron de reprendre le refrain de la complainte du capital-investissement auprès de la nouvelle majorité parlementaire. Une tâche délicate, même pour ce mélomane-chanteur, passionné de Mozart et de... Britney Spears.

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Repères

1984-1987 : école centrale de Paris.

1987-1989 : Trader chez Elf Aquitaine, à Genève.

1989-1990 : Associé chez Initiative et Finance.

1990 : Rejoint Argos Soditic, à Paris.

1996 : Devient directeur général d'Argos Soditic.

20 juin 2012 : Président de l'Afic.

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