Bataille rangée pour contrôler la BPI

<b>LES FAITS -</b> Le 17 octobre doit être présenté le projet de loi créant la « banque des PME ». Elle sera dotée d'une trentaine de milliards venant de la CDC, du FSI et d'Oséo.<br /> <b>L'ENJEU -</b> Entre les Régions qui souhaitent diriger l'établissement, et la CDC qui veut garder son autonomie de gestion, la marge de manœuvre de Moscovici est limitée.
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C'est féroce et c'est compliqué. Tellement féroce et compliqué que tant que le dernier décret d'application n'aura pas été publié, nul ne saura qui a vraiment gagné. Une seule certitude : personne ne comprend personne, et les compromis se défont à une vitesse inversement proportionnelle à la lenteur qui a présidé à leur élaboration. C'est une bagarre à trois arbitrée par le président de la République. François Hollande lui-même, pas l'Élysée.
Premier camp : les régionaux emmenés par Alain Rousset, avec Ségolène Royal en électron libre. Le président de l'Association des Régions de France (ARF) a réclamé, « théorisé » et imposé la Banque publique d'investissement (BPI) comme première proposition du programme de François Hollande. Il souhaite que les Régions la dirigent nationalement ou, au moins, régionalement.
Le deuxième camp : la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Jean-Pierre Jouyet, son directeur général, ne veut pas perdre le contrôle du financement public des PME et, surtout, voit mal pourquoi les Régions verrouilleraient la BPI, alors que les sous sortent de ses caisses.
Au milieu, avec un net penchant toutefois en faveur de la Caisse : Bercy. Pierre Moscovici et la direction du Trésor, qui discutent technique avec les équipes de la rue de Lille et tentent de contenir les présidents des Régions. En espérant que le compromis final ne soit pas trop bancal.

Au départ, une idée simple, quasi vertueuse

Bien entendu, il n'y a pas d'unité dans chaque camp : certains présidents de Région regrettent le « jusqu'au-boutisme régional d'Alain Rousset ». D'autres, comme François Patriat en Bourgogne, disent qu'ils vont déjà « avoir tellement en récupérant la gestion des Fonds européens, où l'État a fait n'importe quoi ces dernières années », qu'une BPI régionale en plus, les effraie. Les autres associations d'élus sont, elles aussi, circonspectes et le climat s'est un peu tendu avec l'ARF : Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements, a ainsi eu un débat assez vif avec Alain Rousset à l'université d'été du PS, à La Rochelle.
À Bercy, l'union est plus nette, même si Arnaud Montebourg (qui a changé d'avis sur le sujet) a expliqué à quelques présidents de Région qu'il était plutôt d'accord avec eux, mais que le temps pressait, qu'il fallait mettre sur pied un système et que, plus tard, on verrait comment les Régions rattraperaient le train déjà lancé.
À la Caisse des dépôts c'est plus clair, si l'on peut dire. Aucun des dirigeants ne sait vraiment ce que pense Jean-Pierre Jouyet qui, lui, a suffisamment de liens d'amitié avec François Hollande et les ministres pour mener sa barque tout seul. Les cadres dirigeants se contentent donc de lui faire remonter des notes.
Au départ, l'idée était pourtant simple, quasi vertueuse. En 2008, dans sa motion au congrès de Reims, Ségolène Royal avait glissé deux lignes demandant la création d'une banque publique autour de la CDC pour financer les PME. Aubry ayant gagné, l'idée a bien sûr été abandonnée. Début 2011, après avoir lu une analyse américaine du système allemand de financement des PME par les Länder, Alain Rousset reprend l'idée, la reformule et publie une tribune dans Le Monde. Nouveau flop. Personne ne relève. Mais il arrive à pousser la BPI qui se retrouve proposition no 1 du candidat François Hollande.
La droite s'émeut et Michel Yahiel, alors délégué général de l'ARF, fait passer une note de fond au candidat socialiste fin février. Il y décrit par le menu une BPI qui « vise à court terme à contrer les effets de l'assèchement du crédit des banques liés à la mise en ?uvre de Bâle III et, à long terme, à financer le développement des PME et ETI (Établissements de taille intermédiaire), en soutien à la politique industrielle publique ». Il y évoque « une société holding publique codétenue par l'État et la CDC, qui aura deux piliers distincts, une activité de type bancaire et une activité de type apports en capital ». Comme, en prime, la note donne le pouvoir aux Régions sur la BPI, fait de celles-ci les codécisionnaires avec l'État de la politique industrielle de la France et qu'elle ratisse large dans les fonds d'épargne pour ce sont les ETI : « L'appareil indus-triel français désindustrialise de manière systématique. Entre les grands groupes qui s'installent à l'étranger pour prendre des marchés et les PME low cost, il n'y a rien si on enlève les entreprises filiales ou sous traitantes des grands groupes. On a quoi aujourd'hui? Mille ETI? Même pas sûr! » La BPI, c'est donc pour les ETI. « Et les ETI ont des produits propres, une capacité d'export et de R&D. De plus, contrairement aux PME, elles ou-vrent leur capital pour avoir des fonds propres. » Et sur cette question « l'État n'a aucun outil d'expertise. à nous de faire valoir la nôtre. »

L'enjeu de La présidence des comités d'engagement

Pas de chance, mi-juillet, Jean-Pierre Jouyet à peine nommé va prendre son bâton de pèlerin. Il est plus ouvert que beaucoup de dirigeants de la CDC et il lui arrive même d'être d'accord avec Arnaud Montebourg. Cela ne le choque pas, par exemple, que la BPI fasse de la politique industrielle et débrouille par exemple le dossier Rio Tinto. Mais il a beau être fin négociateur, il est sur la ligne dure : pas question d'être un actionnaire minoritaire et qu'on lui dise quel dossier d'entreprise il doit prendre ou non. « Jouyet nous a fait savoir des choses simples mais fermes, dit à Bercy l'un des experts en charge du dossier. à partir du moment où la Caisse met dans la BPI la plupart de ses véhicules financiers, elle veut garder son autonomie de gestion. C'est une affaire de pros. La Caisse est prête à accepter que la BPI lui donne un cahier des charges précis, sa doctrine, qu'on lui dise quel type d'entreprise elle doit suivre et pourquoi, mais c'est tout. »Non sans humour, certains à la CDC ont même carrément proposé de « débaptiser les FSI régions pour les appeler BPI régions : comme ça le tour était joué! ». Jean-Pierre Jouyet n'en est pas là, mais la Caisse a l'argent, l'État n'a pas un sou et les collectivités à peine plus. À la limite, peu lui importe de savoir qui va présider l'outil national ou même qui va présider les comités d'engagement dans chaque Région. Il veut que, quelle que soit l'hypothèse retenue, la Caisse soit la pierre angulaire de la Banque.
Le cas des comités d'engagement en est le parfait exemple. Jean-Paul Planchou, vice président du conseil régional d'Île-de-France, estime que « c'est le seul vrai poste qui compte dans cette banque, c'est là où tout se décidera, c'est là où l'on pourra parler plus-values et non pas sauvegarde des canards boiteux ».
Jean-Pierre Jouyet est un politique, il sait qu'il devra céder sur un point important. Du coup, lors d'une réunion avec les présidents de Région qui étrillent le rapport Parent devant l'intéressé, Pierre Moscovici, face à un Alain Rousset très « pushy », accepte début septembre que les Régions prennent la présidence des comités d'orientation. François Hollande ira plus loin le 12 septembre en donnant aux Régions la présidence des comités d'engagement pour la partie fonds propres de la BPI. Jean-Pierre Jouyet prévenu ne tique pas car, sur le fond, rien n'a vraiment changé. « Les Régions ne mettent pas leurs ressources propres et, en plus, elles veulent la garantie de l'État!, s'énerve-t-on au cabinet de Pierre Moscovici. Ce n'est pas jouable! La sélection des risques, elles ne l'auront jamais! » En clair : les dossiers arriveront bien dans les comités d'engagement, mais la Caisse va les trier. L'expertise, c'est elle. Et comme le dit l'un des six ministres de Bercy : « Je n'imaginais pas à quel point la technostructure se méfiait des élus. Heureusement pour eux que l'Élysée est là pour constamment redresser en faveur des Régions... »

« On ne change pas une équipe qui perd »

Évidemment, chez certains élus ça passe mal. Jean-Jack Queyranne, le président de Rhône-Alpes, lui, est assez souple, il joue « à la lyonnaise », autrement dit au consensus : « On a déjà créé un hub financier avec la Caisse et Oséo, on se voit toutes les semaines, on fonctionne au compromis, c'est l'écosystème lyonnais. Bercy doit arriver à comprendre que l'économie ne fonctionne plus de manière verticale et qu'il faut nous laisser travailler horizontalement, en réseaux régionaux. » D'autres sont cependant un peu moins souples. Alain Rousset, par exemple, se demande si le compromis obtenu auprès de François Hollande le 12 septembre ne sera pas le dernier.
La Caisse refuse mordicus que les Régions aient aussi la présidence des comités d'engagement dans le domaine des prêts aux entreprises. Là, c'est le nerf de la guerre : « Les Régions ne peuvent pas demander l'argent de l'État via la CDC, puis que le même État apporte sa garantie aux prêts, ce n'est pas sérieux!, s'indigne-t-on à Bercy. Je reconnais qu'on est en train de construire un véhicule où elles pensaient avoir la place du conducteur. Elles vont peut-être se retrouver sur le siège arrière avec comme seule possibilité de crier "plus vite, chauffeur!". Je reconnais que c'est dur, mais le problème de l'Élysée est de leur trouver une jolie porte de sortie. » En clair : la sélection des risques c'est un métier de banquier, pas d'élu régional et le Caisse n'est pas prête à transiger. Alain Rousset le sait d'ailleurs : « La Caisse, le Trésor ne céderont pas. Mais nous non plus. » Et un de ses proches d'ajouter : « Il a raison Mosco de ne pas vouloir changer une équipe qui perd! Il faudra un jour qu'il nous explique quels champions industriels nous a sortis la Caisse. » Ambiance... financer la nouvelle structure, la CDC et Oséo commencent à s'émouvoir. Et entament leur lobbying auprès de la direction du Trésor avant même le premier tour de l'élection présidentielle.
C'est pour cela que Pierre Moscovici décide, à peine nommé, d'aller vite et de court-circuiter débats et polémiques en nommant Bruno Parent pour faire un rapport sur la ques-tion - « 350 personnes auditionnées en un mois sur un sujet aussi complexe, c'était du n'importe quoi », commente un élu. Encore raté ! Le rapport de cet inspecteur des Finances n'est pas bon, certains à Bercy le trouvant carrément « nul ». Un vrai rapport de technocrate qui provoque le courroux des Régions. « J'avais pourtant prévenu Parent, explique Alain Rousset. Mais comme tous ceux de l'inspection des Finances, il ne connaît pas la vraie vie des entreprises. » L'idée fixe d'Alain Rousset,

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