Pourquoi les PME sont en mal d'argent

<b>LE CONTEXTE -</b> Il y a certes les grandes entreprises du CAC 40... Mais aussi les 2,5 millions de PME-PMI dont beaucoup sont en situation périlleuse en raison de leurs difficultés à trouver des financements pérennes.<br /> <b>L'ENJEU -</b> La Banque publique d'investissement devrait disposer de 40 milliards d'euros pour secourir les entreprises. Mission impossible ? Les maux sont divers et profonds...
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C'était l'un des projets phares du candidat François Hollande, martelé pendant la campagne. Mercredi, la Banque publique d'investissement (BPI), son organisation et sa gouvernance, ont été succinctement présentées en Conseil des ministres, première phase de sa création effective. Ouf ? Reposant sur les forces de la CDC, du Fonds stratégique d'investissement (FSI) et Oséo, cette énième structure publique au service des entreprises est censée s'attaquer aux maux du financement des TPE, PME et ETI. De l'amorçage au soutien à l'innovation, du financement en fonds propres à l'aide à l'export, la BPI, dirigée par le tandem Jouyet-Dufourcq, aura de lourdes responsabilités.
Qu'en pensent les entrepreneurs? « La BPI ne pourra pas régler tous les problèmes, en particulier la faiblesse de l'amorçage. La BPI étant une banque, on la voit mal prendre plus de risques financiers que les banques classiques », explique Olivier Duha, le président de Croissance Plus. Il le faudra pourtant, car le financement de l'économie française souffre de multiples maux. Confrontées aux incertitudes liées à la crise, à la mise en place de nouvelles normes prudentielles, les banques sont plus sélectives qu'auparavant. Le capital-investissement? Pour les mêmes raisons, il vit sur les levées de fonds réalisées ces dernières années. « Les investissements se tariront très vite si l'épargne de long terme des Français n'est pas rapidement redirigée vers le financement des PME les plus dynamiques, et si des mesures encourageant la prise de risque entrepreneuriale ne sont pas prises », anticipe Grégoire Sentilhes chez Nextstage. La Bourse? Les entreprises rechignent, pour des raisons objectives et culturelles, à franchir le cap. Par ailleurs, la place boursière de Paris ne joue plus son rôle de financement de l'économie, ne s'étant pas remise de l'éclatement de la bulle Internet en 2000.Avec une force de frappe estimée à 40 milliards d'euros, le lancement de la BPI est d'autant plus urgent que les entreprises, et en particulier les PME, souffrent. Leur trésorerie est asséchée par l'allongement des délais de paiement, leur taux de marge est historiquement bas, l'autofinancement en chute libre... Le défi de la BPI est donc crucial. De son succès dépend en grande partie l'avenir de l'économie française.
 

1?/?Une trop forte dépendance au crédit bancaire
« Credit crunch ». Ces deux mots sont la hantise des entreprises, et plus particulièrement des PME, depuis l'aggravation de la crise financière, il y a un an, et son possible corollaire de raréfaction du crédit bancaire. « Dans un contexte toujours marqué par la crise, les banques, en France, ont continué de répondre aux demandes de crédits des TPE et des PME », s'est défendue la Fédération bancaire française (FBF), le 3 octobre. Et d'insister sur la progression « soutenue », de 3,3% à la fi n août et sur un an, des crédits aux TPE et aux PME.
Progression certes mais ralentie : en 2011, ces crédits avaient augmenté de 4,9%. Les banques invoquent une baisse de la demande de crédits, la crise conduisant les entreprises à différer certains investissements. Pourtant, selon le baromètre publié le 11 octobre par KPMG et la CGPME, près de la moitié des patrons de PME affirment vouloir procéder à des investissements au cours des prochains mois. Et près d'un tiers jugent que la crise « a des impacts négatifs importants sur les conditions d'accès au crédit ».Cette crise, on peut toutefois espérer en sortir un jour! Une autre menace, plus grave car structurelle, pèse sur le financement des entreprises : l'application, à partir de 2013, de la réglementation Bâle III, qui imposera aux banques de disposer de davantage de fonds propres face aux crédits qu'elles consentent. « On ne peut pas vouloir tout et son contraire : exiger à la fois des banques qu'elles soient solides (...) et, en même temps, leur demander de distribuer du crédit à tout va », s'indignait Jean-Paul Chi?et, directeur général du Crédit agricole et président de la FBF, dans un entretien au Figaro, le 21 septembre. Certes, Bâle III concerne l'ensemble des banques européennes mais son impact risque d'être particulièrement fort sur les PME françaises, dont le financement provient à 92% des banques, contre 70% pour l'économie européenne.

2/ Un capital- investissement qui s'essouffle
Les fonds de private equity, qui investissent dans des sociétés non cotées, ne sont pas réputés être des philanthropes. Leur but est de faire fructifier leurs placements, afin de rémunérer au mieux leurs actionnaires. Le fait qu'au premier semestre, le capital-investissement hexagonal a investi près de 2,3 milliards d'euros dans 834 entreprises, principalement des PME françaises, est plutôt un bon signe. Une somme bienvenue à l'heure où les banques se font tirer l'oreille pour accorder des crédits et où la Bourse répond aux abonnés absents. Au total, les investissements du private equity français représentent aujourd'hui 80 milliards d'euros, alloués à 5.000 entreprises, dont 80% sont des PME, selon l'Association des investisseurs pour la croissance (Afic). Qui évalue ainsi à 7% la participation de ces acteurs au financement des PME. Le problème, c'est que les ressources des fonds de private semestre, ils ont levé 1,8 milliard d'euros seulement. Pour égaler l'année 2011, au cours de laquelle ils avaient levé 6,5 milliards d'euros, il leur faudrait donc récolter près de 5 milliards durant le second semestre! On peut en douter. Ce tarissement s'explique d'abord par le fait que les assureurs et les banques, qui ont longtemps figuré parmi les principaux pourvoyeurs de fonds du capital-investissement, ne peuvent plus jouer ce rôle. Les futures réglementations Solvabilité II et Bâle III imposeront en effet aux assureurs et aux banques, respectivement, de détenir davantage de fonds propres en face de leurs engagements dans des actifs jugés risqués, comme le non-coté. Or « il existe un vrai problème de fonds propres dans l'économie française. Et c'est nous, sociétés de capital-investissement, qui pouvons le résoudre. La BPI ne va pas ?nancer 1.500 entreprises par an (le capital-investissement français en a financé 1.700 en 2011) », alerte Louis Godron, président de l'Afic.

3/ ?Une bourse de paris aux abonnés absents
Les chiffres sont éloquents. En 1998, en pleine euphorie des valeurs Internet, 43% du financement des entreprises françaises provenait de la Bourse, selon le cabinet Dealogic. Tombée à 26,9% en 2001, cette proportion n'est plus que de 5,4% aujourd'hui. Pis, les seules PME tirent 1% de leur financement de la Bourse. Aussi, en 2011, les retraits de la cote de PME et d'ETI (entreprises de taille intermédiaire), au nombre de 30, ont dépassé les introductions (22). Coûts de cotation trop élevés, difficultés à susciter l'appétit des investisseurs, publications d'informations chronophages... La complainte des PME à l'égard de la Bourse de Paris est longue.
Cette dernière n'a pas su digérer l'éclatement de la bulle Internet, pas plus que la concurrence des plates-formes alternatives comme Chi-X, qui l'a conduite à fusionner avec la Bourse de Nyse, et à perdre ainsi de son in?uence auprès des investisseurs, notamment par rapport à la Bourse de Londres. Entre 2008 et 2011, la part du marché parisien en Europe a été ramenée de 19% à 15%, alors que celle de son rival londonien est passée de 36% à 43%. La Bourse de Londres affi che ainsi une capitalisation de 3.034 milliards d'euros, quand celle de Paris plafonne à 1.090 milliards.
Sous la pression des pouvoirs publics, qui veulent encourager les PME à lever des fonds en Bourse, Nyse-Euronext, l'opérateur de la Bourse de Paris, planche depuis plusieurs mois sur un nouveau marché dédié aux PME et aux ETI. Encore faut-il que des investisseurs acceptent d'entrer au capital de cette nouvelle Bourse, la Caisse des dépôts ayant averti qu'elle voulait bien en devenir actionnaire, mais pas seule. Or le temps presse, en raison de la future réglementation Bâle III, qui risque de réduire le crédit bancaire (lire ci-dessus). Et, partant, de contraindre les entreprises à aller vers plus de désintermédiation, c'est-à-dire à recourir davantage aux marchés pour se financer.

4/ Un autofinancement au plus bas
« Aide-toi, et le ciel t'aidera. » La morale d'Écope a trouvé ses limites! En effet, comment les TPE et les PME pourraient-elles se détacher des banques et des autres acteurs du financement, autrement dit prendre leur destin en main, si elles n'ont pas les ressources suffisantes pour le faire. Selon l'Insee, le taux d'autofinancement des entreprises non financières devrait s'élever à 65,9% en 2012, un plancher historique. Il atteignait encore 81,5% en... 2010.Les recettes pour relever ce taux sont archiconnues, à défaut d'être facilement applicables. La solution naturelle? Relever le taux de marge des entreprises. Dans l'industrie, celui-ci a chuté de 38,4% en 2000 à 28% en 2012. À titre de comparaison, il a progressé dans les pays de la zone euro, de 37,6% en moyenne à 38,3% sur la période et de 28% à 34,4% en Allemagne!
Finalement, inverser cette tendance constitue le point central du débat actuel sur la compétitivité, et en particulier de la compétitivité hors prix de l'économie française. Au-delà de la question du coût de production, en particulier celui du travail, ce n'est qu'en innovant que le « made in France » montera en gamme et pourra contenir la concurrence des pays à bas salaires. Tous les acteurs s'accordent sur ce point mais les efforts du gouvernement en faveur de la R&D et de l'innovation ne porteront pas immédiatement leurs fruits. La France peut-elle reproduire l'exemple allemand? « Outre-Rhin, l'industrie est positionnée sur la production de biens intermédiaires très intensive en capital, ce qui les rend difficilement copiables. Ce n'est pas le cas des biens de consommation que l'industrie française produit en grande majorité », expliquait Mouhoud el-Mouhoub, professeur d'économie à l'université de Paris-Dauphine et au CNRS lors de son audition récente à l'Assemblée nationale dans le cadre de la Mission d'information sur les coûts de production en France. Pas si simple!

5/ Le fléau des délais de paiement
Dans un monde idéal, ce devrait être un non-sujet. Depuis le vote de la loi de modernisation de l'économie (LME) en 2008, les délais de paiement ne doivent pas dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours après émission de la facture. Mais en raison de la crise, ils se sont allongés, au-delà de la durée moyenne des 55 jours constatée en 2011 par l'Observatoire des délais de paiement.
Parce que les rapports entre les petits et les grands acteurs de l'économie penchent en faveur des seconds, les fournisseurs et les sous-traitants jouent souvent le rôle de banque pour les donneurs d'ordre publics ou privés. Résultat, leur trésorerie fond comme neige au soleil et leurs difficultés de financement croissent. Les exemples de TPE et de PME au tapis pour des problèmes de financement de court terme sont légion. En créant la médiation du crédit et la médiation des relations interindustrielles, l'exécutif a pris conscience du problème sans le résoudre totalement car le système est pervers. En effet, chaque facture émise par un fournisseur doit d'abord être enregistrée dans le système de gestion global de son client - communément appelé ERP pour « Enterprise Ressource Planning » -, avant que le processus de paiement ne s'enclenche. Il suffit donc au service achat du client d'attendre un peu avant d'intégrer une facture à l'ERP pour en retarder l'acquittement. Ses membres ayant constaté de trop nombreux abus - certains contrats prévoient noir sur blanc des délais de paiement à 90 jours -, l'association Croissance Plus a décidé de prendre le taureau par les cornes. Elle envisage la création d'un système de notation pour pointer du doigt les entreprises peu bienveillantes. Comment? Certains avancent la création d'une « plate-forme » de dénonciation. Cette solution, qui s'apparente à un appel à la délation, ne satisfait pas l'association. L'autre option? Créer un système de notation totalement objectif reposant sur des critères irréprochables.

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