Pourquoi les agences de notation risquent d'être de plus en plus attaquées en justice

Le Parlement européen et le Conseil espèrent parvenir à modifier le règlement européen sur les agences de notation avant Noël, ce qui conduirait dans certains cas à inverser la charge de la preuve. Ainsi, bientôt, il reviendra aux agences de prouver qu'elles n'ont pas été négligentes et qu'elles n'ont pas commis de faute.
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Le vent serait-il en train de tourner pour les agences de notation ? Le 5 novembre dernier, la justice australienne a condamné Standard & Poor's à dédommager 13 collectivités locales qui avaient perdu des millions après avoir acheté fin 2006 des obligations structurées de type « CPDO » (constant proportion debt obligation) notés "AAA". Selon la juge australienne en charge du dossier, les informations sur lesquelles S&P se fondait pour justifier la note maximale associée à ces titres étaient en partie "inexactes".IMF Australia, la société qui a financé la plainte collective a fait part de sa volonté de lancer des procédures similaires en Europe. D'après l'AFP, une plainte au moins serait déposée aux Pays-Bas au nom d'investisseurs du Vieux Continent.

Des dirigeants de Fitch et Standard & Poor's pourraient être poursuivis en Italie

Le 12 novembre, c'était au tour du parquet de Trani, dans le sud de l'Italie, de demander le renvoi en justice de dirigeants de Fitch et Standard & Poor's pour "manipulation de marché". Le procureur de Trani estime qu'ils ont abaissé la note de la Péninsule à des fins spéculatives. Il n'en est pas à son coup d'essai. Fin 2010, il avait décidé d'ouvrir une enquête contre Moody's sur des « informations tendancieuses sur la situation financière des banques ». L'affaire avait été classée dans suite.

Aux Etats-Unis, les agences peuvent de moins en moins s'abriter derrière le premier amendement

Même aux Etats-Unis où elles se sont longtemps abritées derrière le premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d'expression - leur notation étant assimilée à une simple opinion -, la jurisprudence est moins favorable aux agences. Depuis 2009, et la multiplication des plaintes d'investisseurs, plusieurs jugements ont établi que les agences de notation ne méritaient pas la protection du premier amendement lorsqu'elles émettent un avis diffusé auprès d'un cercle limité d'investisseurs. Traduction : la liberté d'expression concerne les déclarations publiques, mais, en privé, on ne peut pas dire n'importe quoi. D'autres jugements sont arrivés à la même conclusion en considérant que les notations relevaient d'une démarche commerciale. En outre, à plusieurs occasions, les juges ont ainsi mis en cause les négligences des agences de notation.

En France, c'est le plaignant qui doit apporter la preuve des erreurs ou des négligences des agences

La responsabilité des agences de notation pourrait-elle à son tour être mise en cause en France ? « A priori, le droit civil français le permet : dès qu'il y a faute, il doit pouvoir y avoir réparation. Mais encore faut-il que le plaignant prouve l'existence de cette faute, du préjudice et du lien de causalité, ce qui n'a rien d'évident », explique Clément Dupoirier, avocat chez Herbert Smith Freehills. Du moins pour l'instant...

Possibilité d'inverser la charge de la preuve avant la fin de l'année ?

Le Parlement européen et le Conseil espèrent en effet parvenir à modifier le règlement européen sur les agences de notation avant Noël. L'idée ? « Assurer aux tiers un droit de recours effectif contre les agences de notation », peut-on lire dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil adoptée en août dernier. « Les tiers n'ayant pas une connaissance approfondie des procédures internes des agences de notation de crédit, un renversement partiel de la charge de la preuve de l'existence d'une infraction et de son impact sur la note finale semble indiqué dès lors que les tiers ont raisonnablement argumenté en faveur de l'existence d'une telle infraction », selon le texte actuellement négocié en trilogue.

"Vraisemblance de faute"

Cette possibilité d'inverser la charge de la preuve pourrait bien changer la donne pour les investisseurs qui s'estiment victimes des agences de notation. « Si le plaignant parvient à montrer qu'il y a " vraisemblance de faute ", qu'il s'agisse d'une négligence ou d'une faute intentionnelle, alors ce sera à l'agence de notation de prouver qu'elle n'a pas commis de faute », explique Clément Dupoirier. Le plaignant n'aura plus alors à sa charge de rassembler des éléments parfois confidentiels tels que les informations remises par l'émetteur à l'agence ou encore de décortiquer les calculs faits par les analystes des agences...

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Commentaire 1
à écrit le 20/11/2012 à 2:17
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Les gains étant privés, les pertes restant publiques, donc supportées par les peuples, responsabiliser les agences sur les milliards qu'ils font perdre aux états et collectivités, et aux entreprises, est essentiel pour assurer la pérennité du système...

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