Luxembourg : 889 millions d'euros au km2

<b>LE CONTEXTE - </b>Confrontée à l'avalanche de réglementations qui déferle sur l'industrie fi nancière européenne, la place de Luxembourg doit réa° rmer son rôle et défendre sa singularité.<br /> <b>L'ENJEU - </b>Le grand-duché veut élargir sa clientèle d'investisseurs et de grandes fortunes vers l'Asie, le Moyen-Orient et l'Amérique latine.
Palais du Luxembourg / Reuters

«Il y aurait un livre à écrire sur les idées fausses qui courent à propos du Luxembourg. » Cette remarque amusée d'un banquier luxembourgeois traduit assez bien le sentiment général des milieux financiers du grand-duché, celui de n'être pas toujours reconnu comme l'une des grandes places financières européennes.
Avec 512.000 habitants, dont près de la moitié sont étrangers, une population active de 358.000?personnes, frontaliers compris, le Luxembourg ne boxe pas dans la même catégorie que ses grands voisins et partenaires de la zone euro. Le principal employeur du grand-duché est le groupe ArcelorMittal (5.960?salariés), juste devant le groupe BNP Paribas, qui contrôle la première banque du Luxembourg, BGL (4.110 salariés). Car, avant de devenir une place fi nancière, le Luxembourg était un pays de mineurs et de sidérurgistes.
Dans la crise de la zone euro, à un moment où l'on évoque de plus en plus la perspective d'une supervision des banques européennes par la BCE, alors que la taxe sur les transactions financières a les meilleures chances d'entrer en vigueur - au moins dans certains pays de l'Union européenne - et que l'échange d'informations fiscales entre pays membres devient la règle, la place de Luxembourg doit réaffirmer son rôle et défendre sa singularité au sein d'une industrie financière ébranlée par un choc historique. En se concentrant sur ses points forts : sa position mondialement reconnue dans le domaine de la gestion des fonds d'investissement et l'importance de l'activité de banque privée.2012 marque pour le Luxembourg un nouveau record : le grand-duché accueille désormais la gestion de 2°300 milliards d'euros placés dans plus de 13°500 fonds et sous-fonds, domiciliés et administrés sur place. C'est la deuxième place financière du monde, après les États-Unis, dans cette industrie. « La raison en est simple, dit Marc Saluzzi, président de l'Association of the Luxembourg Fund Industry (Alfi ). Le Luxembourg a été le premier pays à transposer dans sa législation nationale la première directive européenne sur les fonds d'investissement, en 1985. Nous avons voulu jouer la carte internationale dès l'origine et être un acteur majeur d'une industrie naissante. Les débuts ont été difficiles, mais à partir des années 1990 de plus en plus d'investisseurs ont utilisé ce passeport européen que constitue le statut des OPCVM.°»

70% de ses fonds sont "cross-border"

La directive de 1985 permettait en théorie à un fonds créé dans un pays membre d'être commercialisé dans un autre pays membre sans autorisation supplémentaire. En réalité, cette première directive (dite UCITS pour Undertakings for Collective Investment in Transferable Securities) sera amendée à plusieurs reprises (en 2002, en 2010), et l'on est passé aujourd'hui à UCITS?5 et probablement bientôt à UCITS?6. La complexité de ces directives augmente à mesure que la Commission souhaite garantir de plus en plus complètement la sécurité des investisseurs. Mais c'est bien grâce au principe qu'elle a créé en 1985, c'est-à-dire la possibilité de concentrer l'ensemble de la gestion d'un fonds, y compris les supports techniques (finances, comptabilité, questions juridiques) dans un pays européen tout en ouvrant sa distribution aux autres pays de l'UE, que le Luxembourg a pu constituer au fil des années une plate-forme internationale de gestion, de support technique et de distribution des produits OPCVM et autres types de fonds d'investissement.
Aujourd'hui, près de 70°% des fonds enregistrés au Luxembourg sont de type « cross- border », c'est-à-dire distribués dans d'autres pays. Ce qui explique probablement que les fonds domiciliés dans le grand-duché ont attiré 60 milliards d'euros de souscriptions nettes depuis le début de 2012.

Regagner la confiance du marché actions

Pour autant, la place de Luxembourg est confrontée, comme les autres, à la crise de confiance des investisseurs dans les marchés financiers, notamment dans les marchés actions. Elle doit aussi absorber l'avalanche de nouvelles réglementations, des dernières versions d'UCITS à la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, dite AIFM, publiée en juin?2011 et que le Luxembourg sera l'un des tout premiers États européens à transposer dans sa loi nationale. « Nous pensons qu'il s'agit là d'une nouvelle opportunité pour la place de Luxembourg », affirme Marc Saluzzi, tout en pointant les difficultés qu'entraîne pour les fonds cette accumulation de nouvelles règles, nées de la grande crise de 2007. « Je souhaiterais rappeler tout de même qu'à aucun moment l'industrie des fonds d'investissement n'a été à l'origine de la crise financière. Le souhait des régulateurs de diminuer le risque pour les investisseurs n'est pas critiquable, mais on ne peut aller jusqu'à la suppression totale du risque sans heurter cette règle d'airain des marchés°: "risk free, return free"... Le développement de la réglementation financière est compréhensible, même si, s'agissant des fonds d'investissement, qui sont des produits très particuliers, produire une législation transversale qui s'applique à tous les produits est une tâche ardue. »

Les pays émergent en coeur de cible

Mais le problème majeur des gestionnaires de fonds « cross-border », ce sont les incertitudes autour de l'issue de la crise des dettes souveraines dans la zone euro. Le Luxembourg a certes gardé sa note « triple?A », mais les investisseurs internationaux ont besoin de croire à nouveau dans la stabilité financière de l'Union européenne et de la zone euro. Pour la place de Luxembourg, l'avenir est en e? et dans le développement de la plate-forme de gestion et de distribution de fonds vers les pays émergents. L'Alfi vient d'ouvrir une représentation à Hongkong et organise régulièrement des « road shows » dans les pays d'Asie, d'Amérique latine et du Moyen-Orient. Dans ces pays, le développement de l'industrie financière passe par une multiplication des produits d'épargne et d'épargne retraite, notamment en Chine, où l'on prévoit une explosion de ce marché dans l'avenir. Mais le raisonnement est le même au Brésil, au Mexique et au Chili, où les managers de fonds souhaitent élargir leur clientèle hors de leurs frontières. Le « format » OPCVM est abouti et il offre aux investisseurs des pays émergents un cadre réglementaire et juridique clair et éprouvé, ce qui ne peut que favoriser leur distribution internationale. Par ailleurs, le Luxembourg attire de plus en plus de fonds du Moyen-Orient et du Maghreb, « charia-compatibles ». Plusieurs acteurs significatifs se sont localisés dans le grand-duché, notamment Invest AD, d'Abu Dhabi, qui a converti l'un de ses fonds en OPCVM, et Al Masah Capital, installé à Dubai, qui a lancé un fonds OPCVM au printemps dernier. Et il est probable que cette tendance va s'intensifier au cours des prochaines années.
L'autre pôle de développement de la place de Luxembourg est celui de la banque privée et de la gestion de fortune. À l'origine, cette activité s'est développée pour des raisons fiscales. Mais le paysage a bien changé depuis les années 1970-1980. À partir de 2009, les accords européens de coopération fiscale se sont mis en place avec tous les pays de l'Union européenne, et le Luxembourg a conclu des accords de non-double imposition avec un très grand nombre de pays. Le seul point qui fait débat est celui de la transmission automatique et informatique des données vers les administrations fiscales étrangères, à laquelle s'opposent les autorités luxembourgeoises, pour des raisons de concurrence avec d'autres pays, cette transmission automatique ne s'appliquant pas à l'Allemagne, par exemple. «°Il est clair que le Luxembourg n'est pas un pays de secret bancaire pour les autres pays européens », affirme Jean-Jacques Rommes, directeur général de l'Association des banques et banquiers du Luxembourg (ABBL). Les banques privées installées au Luxembourg gèrent environ 300 milliards d'euros de fonds, un chiffre qui montre une relative stabilité depuis 2008-2009, malgré la crise financière. Mais il recouvre une réalité différente d'alors : la clientèle a changé. « Ceux qui cherchaient ici des moyens d'évasion fiscale sont partis ou en train de par-tir, surtout des clients à la fortune relativement modeste, et laissent la place aux plus grandes fortunes internationales », constate Jean-Jacques Rommes. Pour ces milliardaires du monde entier, qui sont de plus en plus nombreux, Luxembourg présente l'avantage d'être une place fi nan-cière et bancaire internationale, qui opère sur une base transfrontalière et multidevise, et dont la langue de travail est l'anglais. La place abrite aujourd'hui plus de 140 banques, qui emploient près de 26°000 personnes. L'Allemagne se taille la part du lion, avec une quarantaine d'établissements financiers, devant la France (14 banques recensées, dont la plus grande de la place, BGL-BNP Paribas), la Suisse, l'Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Mais les pays émergents sont en train de monter en puissance. Trois banques chinoises ont décidé d'ouvrir des bureaux de représentation à Luxembourg : Bank of China, ICBC et la China Construction Bank, dont le président, Wang Hongzhang, a été reçu le 12?septembre dernier par le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, et par le ministre des Finances, Luc Frieden. Et le phénomène n'en serait qu'à ses débuts. La presse britannique se faisait l'écho, voici quelques jours, du fait que de plus en plus de banques chinoises seraient sur le point de quitter Londres pour le Luxembourg, en raison d'une évolution de la législation britannique qui exigerait que les banques étrangères exercent au Royaume-Uni par le biais de filiales et non de succursales, une règle qui n'existe pas au Luxembourg.

Constructif mais preudent sur l'union bancaire

La place de Luxembourg dans les activités de banque privée au niveau mondial ne devrait donc pas être menacée, d'autant que le grand-duché abrite aussi la plupart des grands cabinets d'avocats internationaux et les grands cabinets d'expertise comptable et de commissariat au compte, comme PricewaterhouseCoopers, qui emploie plus de 2.000 personnes à Luxembourg. La création de l'union bancaire, qui entraînerait une surveillance de la BCE sur l'ensemble des banques de l'Union européenne, pourrait-elle susciter un certain trouble au Luxembourg°? « Nous sommes prudemment constructifs sur le sujet, répond Jean-Jacques Rommes. Le Luxembourg n'a jamais pris d'option contraire à l'intégration financière européenne. S'il est vrai que la création de l'union bancaire va probablement nous retirer une partie de notre souveraineté sur le contrôle des banques, nous comprenons sa logique. » Pour les banquiers luxembourgeois, une partie du problème résidera dans le mode de gouvernance de cette future organisation. « Il ne faut pas que cette gouvernance soit politique, insiste Jean-Jacques Rommes, et notamment qu'elle soit pondérée en fonction de l'importance démographique des pays concernés. Le contrôle bancaire est un acte technique et non pas politique. » Un combat qui sera sans doute rude pour Jean-Claude Juncker, chef de gouvernement d'un pays dont au moins le tiers de l'activité économique dépend de la santé de l'industrie financière européenne et mondiale.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.