Coopératives : pas facile de se développer sans perdre son âme

Pour accéder aux ressources financières nécessaires à leur croissance, les entreprises coopératives sont souvent obligées d'adopter les outils des sociétés classiques de capitaux. Ce faisant, elles s'exposent au risque de sacrifier une part de leurs spécificités et de tomber dans le jeu du capitalisme ordinaire.
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C'est un fait qui a tendance à être oublié, mais... les coopératives sont d'abord des entreprises?! Leur modèle a été remis à l'honneur après les excès qui ont provoqué la crise financière de 2008, au point que l'ONU a fait de 2012 l'année internationale des coopératives. Malgré leurs spécificités, elles sont confrontées aux mêmes difficultés de financement que les entreprises classiques. Pour autant, leur mode de gouvernance et leur objectif social sont-ils un atout ou un handicap dans leur chasse aux financements? « En matière d'accès au crédit, les entreprises de l'économie sociale et solidaire n'ont pas de difficultés pour accéder à des offres bancaires », affirme Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif.

Encore faut-il savoir de quelle entreprise il est question, car le secteur coopératif est d'une grande diversité. Il compte 21.000 entreprises en France qui emploient près d'un million de salariés pour 288 milliards d'euros de chiffre d'affaires cumulé (filiales comprises) en 2010, en hausse de 5,1% par rapport à 2009, selon l'édition 2012 du Panorama sectoriel des entreprises coopératives. Elles sont présentes dans une multitude de secteurs, de l'agriculture à la banque en passant par le commerce, la consommation, l'éducation, l'industrie, le logement, les transports, etc. Elles pèsent même très lourd dans certains domaines : les coopératives représentent 40% de l'agroalimentaire français et ont su imposer des marques comme Yoplait, Banette, Delpeyrat ou Nicolas Feuillate ; 28% du commerce de détail avec notamment Leclerc, Système U, Krys ou Intersport ; et 60% de la banque de détail avec les groupes Crédit agricole, BPCE (Banques populaires Caisses d'épargne) et Crédit mutuel.

La problématique des fonds propres

« Les entreprises coopératives reversent en priorité les résultats à leurs membres qui sont à la fois associés et clients, producteurs ou salariés », explique Coop FR, l'organisation représentative du mouvement coopératif français. Elles doivent aussi conserver une bonne partie de leurs bénéfices afin de s'autofinancer. « Le problème central est d'accéder aux fonds propres », précise Hugues Sibille du Crédit coopératif.
Les grandes enseignes utilisent les instruments juridiques et financiers des sociétés de capitaux par le biais de création de filiales qui peuvent lever des fonds voire... s'introduire en Bourse comme Crédit agricole SA, société cotée contrôlée par les caisses régionales coopératives de la banque. L'enjeu pour ces entreprises devenues hybrides est de garder à la fois « leur âme » coopérative et leur indépendance. En faisant entrer des investisseurs traditionnels dans leur capital, elles s'exposent à tomber dans le jeu du capitalisme ordinaire. Par exemple, la société opérationnelle Yoplait SAS, qui avait été rachetée à moitié par le fonds d'investissement PAI Partners en 2002, est tombée dans l'escarcelle de l'américain General Mills en 2011, lorsque PAI lui a vendu ses parts pour 810 millions d'euros. Le groupe coopératif historique Sodiaal, qui compte 9.000 producteurs de lait français en détient encore 49?%.« Les sociétés de capital investissement ou de capital-risque investissent avec l'objectif de se rémunérer en réalisant des plus-values à la sortie », précise Hugues Sibille. Or les parts sociales d'une coopérative qui restent à leur valeur nominale initiale et sont détenues par les clients, les producteurs, les commerçants ou encore par les salariés dans le cas d'une Scop (société coopérative dont les salariés sont les associés majoritaires) ne sont pas adaptées.
Faute d'avoir recours à des montages de type capitaliste, les entreprises coopératives peuvent toujours se tourner vers les structures ad hoc comme l'Institut de développement de l'économie sociale (IDES). Depuis sa création en 1983, il est intervenu dans 296 entreprises (coopératives et leurs filiales) pour leur apporter des fonds propres pour un montant cumulé de 38,8 millions d'euros. Cet institut rassemble dans son capital de grandes banques coopératives (19%) et des mutuelles (7%) mais aussi la Caisse des dépôts (14%) et l'État (26%). Les investissements de l'IDES s'adressent surtout à des sociétés en pleine maturité qui souhaitent se développer. Il souscrit des titres participatifs émis par des coopératives qui en contrepartie paient un intérêt minimal en référence aux taux du marché auquel est ajoutée une partie variable selon les résultats de l'entreprise. C'est un outil efficace, mais insuffisant pour des opérations nécessitant des millions de capitaux. Il est donc plutôt destiné à des coopératives de petite taille.

Une attente forte vis-à-vis de la BPI

« Le statut coopératif peut être bloquant car on ne peut pas financer le développement que par le crédit », reconnaît Hugues Sibille. Bon nombre de coopératives agricoles et industrielles auraient selon lui des besoins de fonds propres non satisfaits. « Il y a des attentes assez fortes vis-à-vis de la Banque publique d'investissement », la nouvelle entité créée dans le giron de la Caisse des dépôts, rappelle-t-il, puisqu'il est prévu qu'elle réserve 500 millions d'euros à l'économie sociale et solidaire. 500 millions qui vont être « consacrés à cette problématique de fonds propres », insiste le vice-président du Crédit coopératif.
De même, les instruments juridiques et financiers font défaut pour organiser la transmission d'entreprises familiales en bonne santé aux salariés au moment du départ à la retraite du fondateur. « Si les outils existaient, il pourrait y avoir davantage de reprises par les salariés sous forme de Scop ce qui permettrait de sauvegarder l'emploi dans les territoires », observe Hugues Sibille. Un point de vue partagé par Patrick Lenancker, président de la confédération générale des Scop et le ministre en charge de l'ESS, Benoît Hamon, dont tout le secteur attend maintenant que la loi qu'il a promise pour le premier semestre prochain apporte des solutions.

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