La bataille d'Euronext a commencé

L'OPA de Nyse Euronext par ICE et la perspective de la mise en Bourse de sa branche européenne en 2014 monopolisent l'attention, jusqu'à l'Élysée. BNP Paribas a même été mandatée pour réfléchir aux options possibles. La solution d'un noyau dur constitué de banquiers européens, de courtiers et d'institutionnels semble séduire les parties prenantes... qui n'ont pas envie de voir débarquer les places de Londres ou de Francfort, et encore moins le Nasdaq.
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«L'histoire ne se répète pas, elle bégaie. » Il semble que ce vieux slogan de mai 1968 emprunté à Karl Marx trouve une concrétisation depuis quelques semaines au sein même de... la place financière parisienne, comme l'illustrent les actuelles vicissitudes de la plate-forme boursière américano-européenne Nyse Euronext. Qu'on en juge. Le jeune groupe américain Inter Continental Exchange (ICE) a lancé fin décembre 2012 une offre publique d'achat à 6,2 milliards d'euros sur la vieille dame de Wall Street, Nyse Euronext. Et pour être sûr de ne pas être taxé d'ambitions hégémoniques, ICE a indiqué d'entrée de jeu qu'il envisageait de se délester de sa branche européenne, Euronext. Et qu'il réfléchissait à une introduction en Bourse de cette division début 2014...Et revoilà donc Euronext, plate-forme boursière constituée de l'agglomération des places de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne, exactement dans la même configuration qu'en 2005, avant sa fusion avec l'américain New York Stock Exchange (Nyse). À l'époque, Euronext ambitionnait de créer un champion européen. Il venait de racheter le spécialiste britannique des produits dérivés, Liffe, et s'apprêtait à « croquer » le London Stock Exchange (LSE). Offre qu'Euronext avait dû retirer sous la pression de ses propres actionnaires, surtout des fonds anglo-saxons. Et pour cause : les actionnaires historiques de la Bourse de Paris, à savoir les banques, les intermédiaires et les institutionnels de la place avaient tous déserté le capital, dès 2001, lors de sa mise en Bourse. En 2007 cependant, les rapports de force n'étaient plus les mêmes. Euronext avait abandonné ses habits de « raider » au profit de ceux de « target ». Autrement dit de cible. La plate-forme européenne faisait alors l'objet de pas moins de deux offres concomitantes : celle de l'américain Nyse et de l'allemand Deutsche Börse. C'est finalement l'américain qui l'emportera après de longs et virulents débats idéologiques et stratégiques.
En prévoyant de remettre Euronext en Bourse, ICE redonne donc à cette plate-forme l'opportunité de reprendre en main son destin et surtout de revitaliser une place financière qui s'est laissé tailler des croupières par ses proches voisins, à commencer par Londres et Francfort. Détail qui a son importance : ICE compte bien conserver dans son escarcelle la très puissante et juteuse filiale des produits dérivés, Liffe, qui avait tant fait rêver Deutsche Börse.« L'Euronext d'aujourd'hui, c'est une machine opérationnelle profitable, restructurée, dotée d'une infrastructure informatique de pointe et qui a réussi à stabiliser ses parts de marché dans un environnement ultra-compétitif, notamment dans le domaine des actions. En outre, nous avons une véritable avance par rapport à nos concurrents grâce à notre carnet d'ordres unique pour les quatre Bourses que nous regroupons en Europe », avance Dominique Cerutti, directeur général adjoint de Nyse Euronext, qui pourrait bien devenir le numéro un de la future entité. Mais Euronext saura-t-il saisir cette nouvelle chance?
Depuis l'annonce d'ICE, c'est bien là ce qui questionne toute la place française mais aussi les hautes instances gouvernementales, lesquelles commencent d'ores et déjà à échafauder des scénarios.

La leçon du faux pas de la vente de 2007
On les comprend : tous ont bien conscience qu'il est primordial aujourd'hui de se retrousser les manches et construire une plate-forme suffisamment dynamique et efficiente pour des entreprises qui ont bien du mal à se financer via les marchés de capitaux. « La vente d'Euronext aux Américains n'a apporté à la place de Paris aucun des effets escomptés, si ce n'est un rétrécissement. Ce faux pas est une leçon qui doit nous amener à changer de stratégie pour l'avenir. Nous devons privilégier une intégration européenne qui garantisse de façon certaine le financement des entreprises implantées en France », lance Thierry Giami, conseiller du directeur général de la Caisse des dépôts.
De fait, tous les maillons de la chaîne financière se disent aujourd'hui très inquiets. « Le capital-investissement jusqu'à présent partenaire naturel des PME de croissance est actuellement en panne, faute d'investisseurs. En aval, nous comptons aussi sur les marchés boursiers pour assurer la liquidité et le développement de nos participations. Je redoute à ce titre que l'annonce d'ICE ne vienne retarder, voire annuler le projet de création de la Bourse de l'Entreprise [destinée aux valeurs moyennes, ndlr]. L'avenir des PME de croissance en dépend pourtant », craint Louis Godron, le patron de l'AFIC, l'association de l'investissement en capital.
Pour l'heure, ICE doit d'abord passer par les fourches caudines des d'aller plus loin dans son projet d'acquisition. Le processus sera long et fastidieux, mais le groupe américain a de bonnes chances d'aboutir, l'environnement concurrentiel n'étant pas du tout le même que celui qui prévalait dans le dossier Nyse Euronext/Deutsche Börse voici un an.

Le long cheminement vers l'entrée en bourse
Une éventuelle mise en Bourse n'interviendra pas, au mieux, avant début 2014. Ce qui laisse du temps pour affiner les différents schémas. « Je ne crois pas à une introduction en Bourse. Cette décision implique une longue série de contingences, dont l'isolement des comptes, la mise en place d'un système informatique exclusivement dédié à Euronext, un mécanisme de compensation reconfiguré, et ce, dans l'optique de passer tous les échelons réglementaires imposés par les régulateurs. Dans ce cas, on ne peut imaginer une cotation avant la fin de 2014, voire le début de 2015. Peut-on attendre aussi longtemps? Certes pas! » lance un fin connaisseur du dossier.
Une autre solution consisterait à ouvrir le capital à des investisseurs prêts à s'entendre pour participer à une nouvelle aventure d'Euronext. Mais cette seconde solution n'em-pêche pas la première, affirme un proche du dossier, selon lequel on peut très bien organiser un noyau dur constitué d'actionnaires présélectionnés par ICE et les régulateurs européens, tout en mettant Euronext en Bourse. Et ce cas de figure semble bel et bien séduire le plus grand nombre, de l'Élysée aux établissements émetteurs. En passant par le vendeur américain qui pourrait ainsi récupérer une belle somme. Euronext est aujourd'hui approximativement valorisé plus de 1 milliard d'euros.« Ce qu'il faut, c'est un véritable projet industriel pour Euronext. Revenir à un système où les utilisateurs, les brokers, sont actionnaires de la Bourse a du sens », affirmait récemment Philippe Oddo, président de la société de Bourse Oddo, dans un entretien à La Tribune Hebdo (n° 32 du 18 janvier 2013).Le projet de constitution d'un noyau dur d'actionnaires composé de banquiers européens, de courtiers, d'émetteurs et d'acteurs para-publics serait ainsi déjà en cours d'élaboration, selon nos informations, et ce, sous la houlette de BNP Paribas en tant que conseil, la Société Générale étant l'« advisor » européen d'ICE. Car le noyau dur serait à l'échelle européenne, afin de ne pas tomber dans le piège du régionalisme face aux combats mondiaux en cours. « Il faut élaborer une solution permettant de dynamiser le marché du cash de l'Euro zone », soutient un professionnel.« Il est primordial de se focaliser sur des scénarios européens pour s'assurer des marchés d'actions capables de financer l'économie réelle et nos entreprises, dans le cadre d'une stratégie de place ambitieuse et articulée », analyse Arnaud de Bresson à la tête de Paris Europlace. Et de fait, il n'est pas impensable d'imaginer que, dans un avenir proche, la Bourse de Madrid ne vienne grossir les rangs d'Euronext. Quant à Milan, aujourd'hui sous la coupe du LSE, rien n'est figé non plus, surtout à l'heure où le Premier ministre britannique évoque l'organisation d'un référendum sur la sortie de son pays de l'UE.

« Et nous éteindrons la lumière à Paris »
Quid alors des candidats industriels potentiels à la reprise d'Euronext, tels que Nasdaq OMX, le LSE et Deutsche Börse? Bien évidemment, ils sont aujourd'hui en embuscade à visage plus ou moins découvert. Mais, une éventuelle arrivée inamicale de l'un de ces acteurs paraît totalement inenvisageable. D'abord parce qu'ICE souhaite en effet organiser une opération structurée et consensuelle. Ensuite, parce que les régulateurs européens pourraient mettre leur veto à une opération non désirée. Leur entrée dans la boucle ne pourrait donc intervenir que dans un deuxième temps, une fois Euronext revenu en Bourse. Mais ce serait difficile, car le noyau dur d'actionnaires pourrait représenter de 30% à 35% du capital, le flottant de 20% à 25%, ICE conservant le solde, avec des options pour sortir peu à peu du capital - à l'instar des actionnaires fondateurs de Facebook.
Or, si le LSE et Deutsche Börse ne font pas partie des partenaires initiaux, c'est qu'ils sont loin de faire l'unanimité. « Un mariage avec Deutsche Börse? Outre que celle-ci a signifié ne plus être intéressée par un tel rapprochement, cette solution est à éviter, car elle se traduirait par l'absorption pure et simple de la Bourse de Paris par son concurrent. Sans réel bénéfice pour les utilisateurs, à commencer par les entreprises cotées », a récemment prévenu Hubert de Vauplane, avocat chez Kramer Levin Naftalis.
Force est aussi de constater que nombre de responsables politiques ne veulent pas d'une Europe financière germanique. C'est qu'ils ont encore en tête cette phrase lancée par un ministre allemand lors de l'assaut de Deutsche Börse sur Euronext en 2007 : « Et nous éteindrons la lumière à Paris! » Ils ne veulent pas davantage entendre parler d'une solution purement britannique, car ils craignent une éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l'UE. Quant à Nasdaq OMX, il fait l'unanimité contre lui. Mais Londres et Francfort seront-ils intéressés par un ticket minoritaire? Certes pas pour le LSE. Peut-être pour Deutsche Börse, si elle avait envie de participer à cette aventure paneuropéenne.
Reste aussi à décider du sort réservé à la compensation au sein de cette nouvelle structure. Pour l'heure, Nyse Euronext s'est entendue avec ICE pour que celui-ci compense ses activités dérivées et OTC (échanges de gré à gré). Et elle a négocié avec LCH Clearnet un contrat de cinq ans pour la compensation de ses activités cash. Or LCH Clearnet est sur le point d'être racheté par le LSE. L'opération menée depuis de longs mois devrait aboutir d'ici peu. Au grand dam de nombreux professionnels boursiers qui estiment qu'Euronext a laissé partir à Londres cette activité, l'une des étapes majeures du traitement des titres.
C'est pourquoi rien ne serait figé. Parmi les scénarios échafaudés actuellement par les différents responsables boursiers émergerait celui de récupérer ultérieurement la division Clearnet de LCH, soit au sein d'Euronext soit via un noyau d'actionnaires proches.
Dans les débats actuels, se pose d'ailleurs la question de la structure même du nouvel Euronext. La future plate-forme devra-t-elle se doter d'une structure en silo, offrant tous les services titres, de la négociation au règlement-livraison en passant par la compensation, comme son homologue allemande? Ou va-t-elle conserver sa structure horizontale actuelle - avec différentes entreprises sous-traitant ces services? Cette formule a été jusqu'ici préférée par les utilisateurs qui peuvent ainsi mettre en concurrence les différents prestataires et donc obtenir de meilleurs prix. Manifestement, les futurs actionnaires privilégient l'idée de maîtriser tous les maillons de la chaîne, mais pas forcément logés au sein d'une seule et même entité, afin de pouvoir compter sur des entreprises partenaires et organisées en fonction des priorités et des impératifs continentaux. Les marchés boursiers n'ont pas fini de surprendre.

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