Le yen au centre d'un vrai psychodrame des monnaies

Le Japon fera figure d'accusé au G20 Finances de Moscou, pour avoir voulu explicitement faire baisser sa monnaie. Mais si guerre il y a, c'est d'abord contre la déflation que le Premier ministre Shinzo Abe se bat.
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Depuis novembre 2012, la « guerre des monnaies » est sur toutes les lèvres. La faute au Japon et à son premier ministre, Shinzo Abe qui, avant même son entrée en fonction annonçait la « résistance » de l'Empire du Soleil levant aux agissements de « certains pays ». « Résistance » qui est devenue réalité : depuis quatre mois, la devise nippone a perdu plus de 20% face au billet vert et est passée d'un plus haut historique de 75 yens pour 1 dollar à près de 93 yens pour 1 dollar début février. Face à l'euro, la baisse atteint 24% depuis l'été.Pour en arriver là, le gouvernement nippon a pris des mesures pour contrôler la politique monétaire. Partisan d'une injection massive de liquidités dans l'économie japonaise, Shinzo Abe a mis la pression sur la très conservatrice Bank of Japan (BoJ). Il lui a d'abord aisément imposé le financement à hauteur de 5000 milliards de yens (40 milliards d'euros) de son très offensif budget de relance. Mais il a eu plus de difficultés sur le doublement de l'objectif d'inflation à 2% par an. Fortement opposé à cette idée, Masaaki Shirakawa, le gouverneur de la BoJ, a présenté sa démission le 6 février dernier, après que le comité de politique monétaire de la banque centrale japonaise eut néanmoins approuvé l'objectif d'inflation du gouvernement.

D'abord relancer la demande intérieure

Ces mesures peuvent-elles pour autant être qualifiées de « dévaluation compétitive », et apparentées à une déclaration de guerre monétaire? Pas si sûr. La devise nippone est encore loin de son niveau d'avant la crise, lorsqu'il fallait près de 124 yens pour 1 dollar. De fait, entre juin 2007 et septembre 2012, le yen, qui était devenu une valeur refuge à la suite des programmes d'assouplissement américain et aux doutes sur l'euro, s'était apprécié de 38% face à la devise américaine. Et la dépréciation actuelle de la devise nippone doit autant à la stabilité retrouvée en zone euro et à l'amenuisement des effets des injections de liquidités de la Fed qu'aux déclarations de Shinzo Abe et de la BoJ.
Surtout, le Japon n'a pas intérêt à voir le yen se déprécier trop fortement. Car après la catastrophe de Fukushima et l'arrêt quasi complet de la production électrique d'origine nucléaire, une baisse du yen ferait exploser une facture énergétique déjà record en 2012, alors que l'avantage compétitif pour les entreprises qui peuvent profiter de cette dépréciation met en général six mois à prendre effet. Coût de l'énergie et ralentissement en Europe et aux États-Unis font que le Japon ne peut plus faire reposer son économie sur des excédents commerciaux.
L'enjeu, pour Tokyo, est de renouer avec la croissance et casser la déflation et les baisses de salaires qui minent l'économie depuis des années en favorisant l'épargne et en pesant sur la demande intérieure. Le Japon de Shinzo Abe est donc bel et bien en guerre, mais d'abord contre la déflation. Plus que la compétitivité externe, le gouvernement veut à tout prix relancer la demande intérieure. Le pire, pour le Japon, serait que cette lutte déclenche une guerre des changes que son économie ne peut pas vraiment se permettre.

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