Décentralisation : la grande revanche des régions

«Pragmatisme» est le mot d'ordre du « nouvel acte » de la décentralisation que présentera Marylise Lebranchu, la ministre de la Fonction publique, dès que Jean Pierre Bel, le président du Sénat aura, fin septembre, terminé ses " Etats généraux de la démocratie territoriale" (la Sofres vient de lui remettre un dossier de plus de 300 pages restituant plus de 17 000 réponses d'élus au questionnaire). Pour l'instant, elle travaille en consultations officieuses avec les associations d'élus et de fonctionnaires. Le texte (il est probable qu'elle en fasse finalement deux) prévoit un renforcement des compétences des régions, concomitant à un amaigrissement du rôle de l'État. Mais Alain Rousset le président de l'Association des Régions commence à se demander si les régions n'ont pas été "un peu trop discrètes" et réaffirme que "la France a besoin d'un acte fort de décentralisation".
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François Hollande préfère parler de « nouvel acte » de la décentralisation que d'acte III de la décentralisation (l'acte I est celui de Gaston Defferre en 1982, l'acte II celui de Jean-Pierre Raffarin en 2003). Mais quel que soit le terme employé, l'axe est clair : renforcement des compétences et du pouvoir des régions. La méthode l'est encore plus : du pragmatisme, beaucoup de pragmatisme, encore du pragmatisme. Quant au timing, il est serré : Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, exposera en juillet les axes de travail législatif. Elle devrait en profiter pour annoncer la création d'un Haut Conseil aux Territoires. La structure sera inscrite dans la loi et sera l'instance permanente de consultations et de décisions des collectivités. Elle sera dotée d'une administration propre. Cela devrait être probablement annoncé lors d'un sommet des collectivités territoriales dont les associations d'élus espèrent qu'il se tiendra avant le 21 juillet.

Parallèlement, les sénateurs réfléchiront sur les résultats de la concertation lancée par leur président, Jean-Pierre Bel. Dans le cadre des États généraux de la démocratie territoriale, le Sénat a reçu 20 000 réponses d'élus à son questionnaire que la Sofres est en train d'analyser. Enfin, après une flopée de rencontres interrégionales en septembre, des rencontres avec les associations d'élus, les partenaires des collectivités et des fédérations de fonctionnaires territoriaux, Jean-Pierre Bel organisera le compte rendu à l'automne.

Régions-grandes villes, le « couple » de l'avenir

Si tout se passe bien, un premier texte devrait être discuté en janvier 2013 avec les dossiers les plus urgents, le reste étant étalé sur toute l'année. Donc, priorité au « paquet régional », fondateur du nouvel acte. Les régions ont toujours été les malaimées de la décentralisation.
Elles sont nées dans la douleur de multiples réformes un peu contradictoires, n'ont jamais eu la légitimité des départements issus de la Révolution, leurs pouvoirs sont contestés et mal définis et elles le vivent mal. À cela s'ajoute, dans la pensée de François Hollande comme dans celle de Marylise Lebranchu, que le couple sur lequel s'appuie le développement économique et la croissance est celui des régions et des grandes villes. Les élus savent que les présidents de conseils généraux et les maires vont lentement mais sûrement perdre leur influence : les premiers cantonnés au versement des prestations sociales et à l'entretien des routes, les seconds chapeautés par les présidents des intercommunalités.

Les lois seront adaptées dans chaque région

Première nouveauté : le pouvoir normatif des régions. Il est devenu indispensable que les régions aient la capacité d'adapter les textes de lois à leur propre réalité. Dans des secteurs aussi essentiels que le logement, le bâtiment, les transports, l'environnement, le développement économique, la formation, etc., les régions vont devoir prendre l'habitude de discuter les textes de lois pour leur application. Surtout, Matignon et les directions d'administration centrale vont devoir perdre leur ancestrale et pernicieuse habitude d'élaborer des textes d'application des lois d'une précision et d'un dirigisme tels que les lois en deviennent inapplicables. « Le même texte d'application partout sur le territoire, c'est un handicap français majeur », explique le sénateur Yves Krattinger, qui a fait de cette réforme normative son cheval de bataille. C'est en tout cas une révolution culturelle. Depuis la nuit des temps, le législateur s'est en effet occupé de clarifier les rapports entre les collectivités, mais jamais vraiment les rapports entre l'État et les collectivités. Cette fois, la mise en ?uvre de la déconcentration de l'État et la décentralisation seront parallèles, ce qui est une première. « L'État déconcentré d'aujourd'hui est un pachyderme avec la superposition de normes, de règlements et de déclinaisons diverses : il retarde tout et coûte trop cher », conclut Yves Krattinger. L'État n'a plus à être dans la mise en ?uvre.

Une collectivité doit pouvoir prendre le pas sur une autre

Cette partie de la réforme suppose énormément de doigté. Elle va en effet se heurter au fameux article 72 de la Constitution (lire l'entretien avec Géraldine Chavrier, ci-contre) qui prévoit qu'« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Or, c'est précisément ce qui va se passer : non seulement les régions vont avoir un pouvoir normatif mais, logiquement, elles vont acquérir un pouvoir prescriptif. Les collectivités territoriales ont en effet ceci de particulier en France qu'elles passent beaucoup de temps à discuter de l'élaboration de schémas d'organisation du territoire et à les voter, mais qu'elles ne sont en aucun cas tenues de les respecter. Cas unique en Europe !

Des schémas d'organisation qui seront vraiment prescriptifs

Cela devrait changer avec le paquet régional : schéma d'aménagement du territoire, schéma sur la couverture médicale, sur la cohérence écologique ou sur la formations... Tous sont susceptibles de devenir prescriptifs. Cela signifie que seuls seront subventionnés les actions ou les établissements qui rentrent dans le schéma. Une commune qui voudra une maison de santé qui n'est pas dans le schéma se débrouillera pour la financer. Il est possible que les premiers schémas prescriptifs concernent la formation professionnelle, qui a besoin d'un sérieux coup de dépoussiérage. C'est en tout cas la manière socialiste de mettre fin à une partie de la mille-feuille territoriale. Dans la même logique, devrait en effet naître le guichet unique. Aujourd'hui, lorsqu'une commune veut un terrain de football, elle doit instruire des dossiers différents avec plusieurs ministères, avec le conseil général, le conseil régional, le fonds des équipements sportifs, la CAF, etc. Chacune de ces structures a bien sûr des plans de financement, des délibérations et des instructions différentes. Le nouvel acte va instaurer progressivement un guichet unique. Dans la plupart des cas, la région pourra le gérer, même si d'autres, en fonction de leurs compétences, pourront également y prétendre. Le guichet unique est une manière de se simplifier la vie, mais aussi une façon de faire participer les collectivités territoriales à la réduction des effectifs et à la diminution de la dette.

La formation c'est sûr, Pôle emploi, c'est possible

La modification suivante va toucher aux compétences mêmes de la région. La plus spectaculaire et la plus attendue concerne les compétences en matière d'apprentissage, de formation et d'emploi. Tout n'est pas acquis pour l'instant, mais les régions veulent récupérer directement la taxe d'apprentissage pour pouvoir mieux l'affecter, elles veulent la maîtrise totale du système de formation professionnelle qui a aujourd'hui un coût monstrueux par rapport à ses résultats, et elles viennent d'écrire à François Hollande pour obtenir aussi le contrôle de Pôle emploi. Si l'Élysée est d'accord pour l'apprentissage et la formation, la régionalisation de Pôle emploi est en débat. Logique mais difficile à expliquer aux personnels, il est possible qu'elle n'arrive que dans un deuxième temps. Ce qui n'empêche pas Alain Rousset de continuer à affirmer qu'il "veut être pilote dans le service public de l'emploi".

Augmentations de ressources plutôt qu'autonomie fiscale

La dernière modification essentielle ne figurera peut-être qu'en partie dans le premier paquet. Elle concerne les ressources fiscales. La loi a toujours été limpide : l'autonomie fiscale des collectivités territoriales n'est pas une obligation juridique. En revanche, l'autonomie financière en est une et l'État doit mettre en place les instruments pour que les collectivités aient un niveau de ressources suffisant pour assumer leurs compétences. Il n'est pour l'instant pas question de donner aux régions la possibilité de lever l'impôt, même si celles-ci sont dans une situation intenable, puisqu'elles ne maîtrisent que 12 % de leurs ressources globales ! Mais il est de plus en plus nécessaire, vu leur situation financière, de leur affecter des ressources supplémentaires, car elles ne perçoivent plus de quoi financer leurs compétences ! Certains élus ont demandé une part de l'impôt sur les sociétés. Ce serait logique puisque les régions sont en charge du développement économique. Mais cet impôt étant par nature fluctuant, c'est très risqué. D'autres demandent une amélioration de l'assiette et une augmentation de la CVAE : trop d'entreprises et surtout trop de professions en sont exonérées. Mais la compétitivité des entreprises pourrait en souffrir.

Le grand « deal » fiscal en 2013

Pas facile. D'autant que les conseils généraux sont en plus forte demande financière avec l'explosion des dépenses sociales et la baisse des droits de mutation. Jamais le gouvernement ne remboursera aux conseils généraux les dettes qu'il a au titre du RSA et de la dépendance. Mais, Jean-Marc Ayrault fera un effort en revenant par exemple au financement de la moitié des dépenses liées aux pertes d'autonomie. Il réfléchit surtout à une augmentation de la CSG (0,1 % de plus serait suffisant pour la dépendance, dans un premier temps) et à frapper ceux qui ne sont pas touchés par la journée de solidarité que seuls les salariés paient. Mais, le grand « deal » fiscal entre l'État et les collectivités ne commencera peut-être pas avant 2013. Et après concertation. Le meilleur exemple en est la nouvelle péréquation fiscale en Île-de-France, qui devrait être négociée par les intéressés eux-mêmes.

Vers le report et une refonte des élections régionales et départementales de 2014

« Cinq élections majeures en quelques mois, c'est impraticable ». Le sénateur Yves Krattinger, qui a préparé le nouvel acte de la décentralisation pour François Hollande, a toujours été clair?: il va falloir faire le tri en 2014. Cette année-là devraient avoir lieu les élections européennes (juin), régionales, départementales, municipales (les trois en mars) et, cerise sur le gâteau, des sénatoriales, très loin d'être gagnées d'avance par les socialistes (octobre). C'est beaucoup et, les pouvoirs en place ayant coutume de perdre les élections intermédiaires, c'est risqué. C'est d'autant plus risqué que le nouvel acte de la décentralisation n'aura été adopté définitivement que quelques mois auparavant et qu'il n'aura absolument pas eu le temps de prouver son efficacité. Les régionales et les départe-mentales seront donc reportées et le prétexte est trouvé depuis belle lurette?: ces deux élections devaient permettre d'élire le fameux conseiller territorial dont François Hollande et la gauche ne veulent pas. Le Conseil constitutionnel ne pourrait donc pas s'opposer à leur report puisqu'il va falloir redéfinir un nouveau type d'élu, un nouveau type de scrutin et un nouveau type de « circonscription » (les cantons sont en effet morts de leur belle mort depuis que le Conseil constitutionnel a dénoncé leurs trop grandes disparités). La solution la plus simple serait de les repousser d'un an et de faire élire une assemblée régionale et une assemblée départemen-tale le même jour, pour une durée de six ans. Reste à trouver le type de scrutin?: le scrutin uninominal ne garantit pas la parité et la proportionnelle intégrale est refusée par tous. Pour l'instant, au Sénat, on semble préférer une combinaison de proportionnelle en milieu urbain et uninominal en milieu rural. Dans les grandes associations d'élus un scrutin de liste départemental ne déplairait pas.

 

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