Retour sur le sommet européen : le bal des faux-semblants

Qui a vraiment gagné à Bruxelles ? Tout le monde et personne en réalité. Même si l'Espagne et l'Italie ont marqué des points, l'essentiel reste à construire, tandis que les investisseurs se retirent progressivement de la zone euro.
Les grands gagnants du sommet européen de vendredi à Bruxelles semblent être l'Italie, l'Espagne et la France, qui donnent l'impression d'avoir réussi à arracher des concessions clés à Angela Merkel / Reuters

«Angela Merkel a perdu une bonne partie de sa crédibilité aux yeux des Allemands au cours du dernier sommet européen. » ce jugement sévère, émis par le rédacteur en chef d'un influent magazine économique allemand, donne une assez bonne idée des « marqueurs » que les allemands utilisent pour évaluer les projets de réforme de l'Union européenne et de la zone euro. Pourquoi une analyse aussi négative ? pour une partie de l'opinion, le fait que la chancelière allemande ait accepté que le Mécanisme européen de stabilité (MES) soit autorisé à recapitaliser les banques espagnoles directement (avec des conditions jugées trop molles), que cette dette ne soit pas « senior », et que le MES puisse acheter de la dette souveraine sur les marchés s'apparente à cette mutualisation qui ne dit pas son nom que l'alle-magne craint tellement. « Ce sont des euro-obligations qui ne disent pas leur nom », commente même ce journaliste...Du côté français, nous fûmes prompts à saluer l'habileté de la man?uvre de François Hollande, réussissant à arracher l'accord sur un plan de relance à 120 milliards d'euros. Si l'on y regarde de plus près, les mesures qui figurent dans ce plan sont sur la table de la commission et des gouvernements depuis des mois, leur délai de mise en ?uvre est long, leur efficacité réelle en débat. Et le président français a, du coup, accordé à cet accord les apparences d'une « renégociation » du traité budgétaire, ce qui a satisfait l'Allemagne, qui ne souhaitait à aucun prix rouvrir le débat sur un traité qu'elle vient de ratifier. reste que la promptitude avec laquelle la France a rallié le camp de l'Italie et de l'Espagne au cours de la négociation est interprétée chez les observateurs économiques allemands comme le signe que la France a définitivement rejoint le camp des pays du Sud, conclusion pour le moins exagérée...

Risque bancaire et risque souverain sont liés

Cette personnalisation à outrance des enjeux européens, si elle est populaire dans les opinions publiques des pays concernés, revient le plus souvent à masquer les véritables enjeux. Le but n'est pas tellement de savoir qui a marqué des points ou qui en a perdu, mais plutôt de constater si oui ou non les gouvernements européens parviennent à se mettre d'accord sur des dispositions fiables, pérennes et de nature à faire revenir la confiance chez les investisseurs inter nationaux.
Dans la réalité que s'est-il passé exactement à Bruxelles ? Deux avancées réelles, mais qui ne sont pas définitives. La première est que le MES ait été autorisé à recapitaliser directement les banques des pays de la zone euro en difficulté. Un certain nombre d'économistes (dont Jean Tirole dans nos colonnes) ont attiré depuis quelques mois l'attention des gouvernements sur le fait que le risque bancaire et le risque souverain se confondaient aux yeux des investisseurs et que cette situation risquait d'entraîner une paralysie du système bancaire européen : une banque en difficulté recapitalisée par son pays d'origine revient à transférer le risque sur le pays en question, sans bénéfice pour la banque... Si cette disposition avait été prise plus tôt, l'Irlande se serait retrouvée dans une situation bien différente... Mais le principe de la rétroactivité de cette capacité nouvelle du MES pourrait être d'un grand secours pour Dublin. Pour autant, ce n'est pas la martingale. Le MES est financé par les états de la zone euro (dont 190 milliards d'euros par l'Allemagne, 142 milliards par la France, 125 milliards par l'Italie et 83 milliards par l'Espagne), ce qui ne rompt donc pas tout lien entre risque bancaire et risque souverain. Sa capacité d'intervention est de 500 milliards d'euros, ce qui est notoirement trop faible pour refinancer à la fois les banques espagnoles, grecques et irlandaises, prêter à Malte et à la Slovénie et le cas échéant aider l'Espagne et acheter des obligations souveraines italiennes. À elles seules, les dettes publiques espagnoles et italiennes totalisent 2 800 milliards d'euros, soit près de six fois la taille du MES... comme le notait Wolfgang Münchau dans le Financial Times, « Mario Monti a peut-être obtenu l'accord qu'il fallait sur le plan politique, mais s'il voulait réellement sauver le MES, il aurait dû insister sur le fait qu'il soit doté d'une licence bancaire, afin de booster sa capacité d'intervention. » cette question n'a pas été abordée, et il est donc paradoxal que l'on considère aujourd'hui l'Espagne et l'Italie tirées d'affaire sans que les capacités du MES aient été augmentées...

Une régulation bancaire, mais laquelle ?

La deuxième avancée concerne la supervision bancaire européenne. L'idée est retenue, ce qui n'est pas rien, mis il reste à en fixer la structure, la gouvernance, les capacités d'intervention et surtout à évaluer la taille et les mécanismes de fonctionnement des fonds de garantie des dépôts et de secours qui seront associés à ce mécanisme de régulation. pour l'instant, tout cela reste à inventer et les gouvernements se sont donnés jusqu'à la fin 2012 pour aller davantage dans les détails.
Résultat des courses : l'Espagne échappe à la recapitalisation de ses banques et laisse faire le travail par le MES ; la France obtient sa « renégociation » du pacte budgétaire concrétisée par l'accord sur le plan de croissance ; l'Allemagne échappe à l'augmentation des moyens du MES et aux euro-obligations (du moins dans leur forme « classique ») ; le MES achètera des obligations souveraines italiennes moyennant la signature d'un MOU (mémorandum of understanding) avec la commission et l'acceptation d'un monitoring de la troïka...pour le reste, il faudra attendre, et notamment sur les nouvelles règles de gouvernance de la zone euro, mais aussi sur les mécanismes de mutualisation de la dette souveraine en Europe. On comprend que les investisseurs n'aient guère été enthousiasmés plus de quelques heures, même si leurs attentes étaient modestes. Dans son édition du 2 juillet, le Wall Street Journal a interrogé deux grands investisseurs sur les perspectives de la zone euro. Pour Jim McDonald de Northern Trust (717 milliards de dollars sous gestion), les gouvernements « continueront à faire le moins possible de ce qu'ils peuvent faire, et cela marchera probablement pour toute l'année prochaine et certainement une année supplémentaire, et en attendant nous sous-pondérons les actions de la zone ». Pour Jack Albin de Harris Private Bank à Chicago (60 milliards de dollars sous gestion), les gouvernements européens « peuvent continuer à jouer ce jeu pour encore deux ans et ensuite l'euro pourra disparaître avec un petit gémissement, ce qui ne serait pas catastrophique. Les marchés n'aiment pas les surprises, et ce qui arrive en ce moment à la zone euro ressemble à une catastrophe de chemin de fer à petite vitesse ».

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