Pierre Cardin veut-il couler Venise ?

Une tour de 250 m de haut érigée en bordure de la cité des Doges. Pour les uns, le projet du couturier Pierre Cardin pose la question de la coexistence d'une cité historique avec un édifice moderne. Pour les autres, c'est une occasion inespérée de relancer la vie économique et de sortir de la monoculture touristique.
Né dans la province de Trévise, à une vingtaine de kilomètres de Venise, le couturier français revient au pays avec un projet architectural qui divise. [TIZIANA FABI / AFP]

Aucun doge n'a jamais eu une telle audace. À 90 ans, le couturier français d'origine italienne Pierre Cardin sème depuis quelques semaines le trouble dans la lagune en projetant d'ériger un gratte-ciel de 250 mètres de hauteur à l'entrée de Venise et d'offrir ainsi à la Sérénissime un dégagement vertical sans commune mesure avec les clochers des églises locales ou l'imposante coupole de « la Salute » à l'entrée du Grand Canal. « Je veux offrir à Venise un grand jardin pour l'éternité », a expliqué le styliste venu présenter, voici quelques semaines en Italie, son projet de tour ultramoderne et écologique. La mairie a déjà donné son accord. Mais dans les cafés vénitiens, l'idée provoque perplexité, critiques et interrogations.

« On ne la verra pas depuis Venise »

Depuis longtemps, l'Arsenal, poumon économique de la cité, qui pendant des siècles a fourni à la République maritime des navires performants capables de défier les tempêtes et d'aborder les côtes les plus hostiles et reculées, a fermé ses portes. Et la modernité n'a plus vraiment droit de cité dans ce fragile ensemble urbanistique et artistique unique au monde. Au siècle dernier, l'activité industrielle et portuaire a ainsi été reléguée sur la terre ferme, du côté de Mestre et Marghera. C'est là, à l'ouest de la ville, que Pierre Cardin a décidé de construire une véritable « ville verticale » destinée à accueillir des logements privés, des hôtels et des restaurants, mais aussi des piscines, un centre de recherche sur le design et la mode, des jardins suspendus, un auditorium, un centre hospitalier et même un héliport. Sur un terrain de 65 hectares, désormais en friche, le Palais Lumière de Pierre Cardin devrait d'ici à trois ans surgir de terre comme une sculpture contemporaine de 60 étages composée de six disques soutenus par trois tours effilées de hauteurs différentes. L'approvisionnement énergétique de la structure devrait être entièrement assuré par un système éolien, photovoltaïque et géothermique. Les maquettes présentées fin août révèlent une incontestable originalité et élégance architecturales, digne héritage des palais de Palladio ou Sansovino. Mais elles posent la question de la coexistence à quelques kilomètres de distance d'une cité historique, préservée mais figée, avec un édifice témoin de la modernité la plus aboutie.
Pour les autorités locales, le projet représente une occasion inespérée de relancer la vie économique et de sortir, tout en la complétant, de la monoculture touristique. « Ce sera la porte d'accès à Venise », s'est ainsi réjoui le président du conseil régional de Vénétie Luca Zaia. « Nous avions besoin d'un mécénat pour assainir les terrains et réaliser une ?uvre symbolique : ce sera notre Tour Eiffel ou notre pyramide du Louvre », a souligné l'édile qui n'a pas hésité à comparer Pierre Cardin à Laurent le Magnifique, le prince de la famille des Médicis, protecteur des arts et de la culture au temps de la Renaissance.

« Un projet digne d'un émir »

Le chantier qui devrait coûter entre 1,5 et 2 milliards d'euros « fera travailler au moins 5.000 ouvriers », a calculé le couturier. Et cela alors que le pôle pétrochimique de Marghera est depuis des années en crise et que Venise connaît depuis des décennies un inexorable déclin démographique. « Ce projet ne se situe pas dans le centre historique », a martelé le maire de la cité des Doges, Giorgio Orsoni, ajoutant : « Actuellement, on voit depuis Venise tant de laideur, entre autres des cheminées industrielles. Je crois que voir le Palais Lumière sera bien plus agréable. » « On ne le verra pas de Venise », a assuré, de son côté, Pierre Cardin, qui avait initialement imaginé ériger son gratte-ciel à Paris. Mais « l'île Seguin est trop petite et Montmartre n'est pas adapté », a expliqué le styliste né en Vénétie, dans la province de Trévise, à une vingtaine de kilomètres de la Sérénissime. Les opposants au projet voient eux d'un très mauvais ?il le retour au pays du styliste prodige. « On ne peut pas arriver comme un cheveu sur la soupe et décider de faire n'importe quoi », s'indigne-t-on chez Italia Nostra, une association de défense du patrimoine où l'on fait remarquer que le gratte-ciel sera quasiment deux fois plus haut que le campanile de la place Saint-Marc et dépassera de 100 mètres la plus grande cheminée de Marghera. « Il est évident que Pierre Cardin veut laisser une trace à Venise. S'il construisait un gratte-ciel identique à Moscou ou Chicago, il n'obtiendrait pas le même effet, a souligné l'historien d'art Tomaso Montanari. C'est un projet digne d'un émir. » Pour le quotidien La Repubblica, le Palais Lumière est une sorte de « profanation » : « Pourquoi Pierre Cardin ne peut-il pas construire trois tours un peu plus basses ? » Dans l'entourage du styliste, on a en tout cas fait savoir que le projet n'était pas modifiable et qu'en cas de blocage les centaines de millions d'euros de travaux seront investies ailleurs.

Commentaires 2
à écrit le 27/09/2012 à 10:03
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Vraiment à gerber ! Quelque part dans la Vénétie, à la limite, on peut y réfléchir. Mais là, juste en bordure de Venise...

à écrit le 25/09/2012 à 15:01
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Un grand jardin, c'est surtout du fer, du verre et du béton d'après ce que je vois de l'illustration qui doit être certainement "non contractuelle" je suppose...

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