Transports : la campagne des villes contre le tout-auto

Le Mondial de l'auto ouvre ses portes dans un contexte difficile pour un secteur fragilisé. Adorée hier, accusée de tous les maux aujourd'hui, la voiture cède du terrain en ville. Les grandes métropoles, tant en France que dans le monde, cherchent à en réduire l'usage.
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LES NUISANCES Un Francilien qui se rend au travail en voiture émet 2 tonnes de CO2 par an. cela lui coûte 3?200 euros de frais de déplacement et 460 heures perdues. (Source : ekodev 2011).
LES PERTES Le temps perdu en recherche de stationnement : 68 millions d'heures par an. Soit, en valeur, plus de 1,9 million d'euros par jour et 585 millions par an. (Source : prédit-ademe).
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Georges Pompidou doit se retourner dans sa tombe. Le chantre de l'autoroute urbaine pensait devoir adapter les villes à la voiture. Aujourd'hui, c'est elle qui est priée de s'accommoder aux territoires en laissant plus de place aux autres modes de déplacement.
Ironie du sort : depuis le 1er septembre la voiture a dû concéder, à Paris, une partie de la chaussée de la fameuse voie « rapide » Georges-Pompidou, entre l'Hôtel de ville et le quai Henri-IV aux... piétons. La capacité de voirie y a été réduite de 20?%. Et bientôt rive gauche, 2,3 km de voies sur berges, d'Orsay jusqu'au pont de l'Alma, devraient être totalement fermés aux automobilistes. « Trop de voitures tuent la voiture. Le stress des transports devient une pathologie », constate Bruno Marzloff, sociologue, dirigeant du groupe Chronos, laboratoire des mobilités innovantes.
De fait, si l'usage de la voiture reste prédominant, il s'est stabilisé entre 1994 et 2008 dans les grandes villes de province et recule même à Paris. Et si le nombre de déplacements individuels effectués chaque jour est à peu près le même partout (entre 3 à Paris et 3,4 dans les grandes villes de province), l'utilisation de la voiture est d'autant plus faible que la zone est dense (1 déplacement sur 8 à Paris, près de 9 sur 10 dans la périphérie des petites villes). Car plus l'habitat est dense, plus les personnes ont recours aux transports en commun, au vélo et à la marche à pied. Et pour cause : embouteillages, difficultés de stationnement, pénalisations, ont raison de la voiture dans les centres des villes. À Paris, moins de 40% des habitants ont encore une voiture. L'équipement automobile y est le plus faible de France. Il a encore reculé pour se situer à 0,5 par ménage contre plus de 1,7 dans les périphéries des grandes métropoles. Seuls les habitants des zones rurales ou périurbaines y trouvent encore leur avantage.
« On assiste à une remise en cause de la voiture, longtemps synonyme de progrès social et économique. Les grandes métropoles en France comme à l'étranger sont aujourd'hui présentées comme dépendantes et intoxiquées par la voiture. D'ailleurs, les nouvelles générations cessent de revendiquer la voiture "identitaire et patrimoniale". Ces dimensions ne les intéressent plus. Elles l'abordent autrement en passant de l'auto au... mobile. Par le passé, le sentiment de liberté prévalait avec l'usage de la voiture. Désormais, c'est celui d'une contrainte. D'où une notion de choix qui émerge entre mobilité subie et mobilité choisie. La liberté se place clairement dans la deuxième et ce n'est plus la voiture qui en est la bénéficiaire, mais toute une combinaison de moyens de transport permettant de relier un point à un autre avec un minimum de stress », explique Bruno Marzloff.
Depuis les premiers péages urbains installés à Singapour, puis à Londres et Stockholm, les métropoles françaises cherchent toutes à restreindre l'usage de la voiture dans leurs parties centrales. « Ce n'est pas la voiture qui est en cause, mais son mode d'utilisation. Elle fait désormais partie du paysage et il n'est pas question d'en faire l'économie. Mais très clairement, nous sommes à un moment où la demande de transport est en train de changer », insiste le sociologue.

L'autopartage cherche son équilibre

Lassés de rester coincés trop longtemps dans leur véhicule, beaucoup de Français sont prêts à expérimenter de nouveaux modes de déplacements alternatifs. La voiture est désormais l'un des axes d'un système de mobilité au sens large. De ses contraintes sont nées toutes sortes d'innovations. À commencer par l'autopartage. Le principe ? Plutôt que de posséder sa propre voiture qui reste l'essentiel de son temps au garage ou au stationnement, l'utilisateur dispose d'un véhicule qu'il finance uniquement pour la durée de son besoin. Le reste du temps, la voiture est utilisée par d'autres membres. Selon les études réalisées, le coût de revient pour l'utilisateur serait ainsi très largement inférieur à celui engendré par l'utilisation de son véhicule personnel, à condition de réaliser moins de 10.000 km par an.
Mais l'idée peine à s'imposer. À Lyon, par exemple, ils ne sont pour le moment que 1.500 à avoir opté pour Autolib', dont 20% de professionnels. Du coup, le modèle économique reste « fragile » : ces services affichent quasiment tous des pertes d'exploitation.
À Lyon encore, si beaucoup regrettent le manque de communication autour d'Autolib', l'adjoint au maire en charge des déplacements s'en défend : « Il est contre-productif de faire de la communication sur ce service tant que nous n'aurons pas développé un nombre suffisant de stations sur la ville », explique Jean-Louis Touraine, qui fait référence au retard pris par Lyon Parc Auto dans l'installation des stations en surface.
Or, selon la société d'études Xerfi, la proximité est l'une des conditions du succès. Ce qui suppose un réseau de stations le plus dense possible et donc un investissement de départ conséquent.

Viser d'abord la souplesse du service

Plus d'un expert l'a observé : la multiplication des infrastructures ne réduit pas les engorgements, au contraire. Pour en sortir, il faut penser autrement. La mobilité ne se réduit plus au simple transport. L'exemple de la Communauté urbaine de Belfort (lire encadré page 22) est venu apporter la preuve que la nouvelle logique est de viser d'abord l'optimisation, la régulation et l'exploitation. Bref, la souplesse du service offert à l'usager. Et d'y faire participer autant les territoires que les opérateurs de transport et les entreprises.
À Bordeaux, chefs d'entreprises, fonctionnaires, associations, et syndicalistes cherchent des solutions pour « décongestionner » le trafic dans l'agglomération. « Des entreprises vont fuir la région et d'autres ne veulent pas s'installer à cause des bouchons », a alerté à plusieurs reprises la Chambre de commerce et d'industrie. Vincent Feltesse, le président PS de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), a lancé en janvier dernier un « Grenelle des mobilités » local. Au travers de 20 pistes de travail, 120 experts, patrons, habitants, associations ont esquissé la mobilité de demain. Bien plus qu'un éternel catalogue de bonnes idées (covoiturage, autopartage, télétravail, décalage des horaires des entreprises, etc.), ce « Grenelle » appelle à créer des lieux de négociation pour hiérarchiser les trajets au regard de critères socio-économiques. Cette régulation pourrait notamment passer par un contrôle électronique d'accès à la rocade, qui prioriserait les déplacements professionnels. Les élus commanditaires de ce travail (CUB, ville de Bordeaux, département, région, préfecture) devront se prononcer à la mi-octobre.

Les citoyens changent, les collectivités ont du mal

Pour bouter la voiture hors des villes, rien de tel qu'une nouvelle offre de services alternatifs. D'autant que les études s'accordent à montrer que plus une personne est mobile, moins elle a recours à la voiture. Du coup les tenants des transports publics retrouvent le sourire. « Longtemps on a opposé le transport en commun à la voiture ; le premier étant un bastion de la gauche et la seconde le pré carré de la droite. Cette vision manichéenne est aujourd'hui dépassée par une analyse plus fine et plus juste », se félicite le sénateur Roland Ries, président du Gart (Groupement des autorités responsables des transports), maire de Strasbourg et sénateur du Bas-Rhin, à l'initiative de la loi sur l'auto-partage. Pour lui, plus de doute : il est temps de sortir de la guerre des modes pour s'orienter vers une complémentarité où chacun a son territoire et sa zone de pertinence. Ainsi, Strasbourg a été l'une des pionnières à réduire dans son centre, aujourd'hui piétonnier, la place de la voiture qui ne compte plus que pour 40% des modes de déplacement. « Mais il faut reconnaître que lorsque l'on habite à 15 ou 20 km des centres-villes, les transports en commun ne peuvent pas prendre le relais de la voiture. L'objectif, c'est d'éviter que les gens l'utilisent jusqu'au bout de leur voyage. On ne pourra jamais l'interdire. Mais on ne la favorisera pas non plus », souligne le sénateur. Le meilleur levier pour décourager son utilisation ? Réduire drastiquement le stationnement et augmenter dramatiquement son prix, comme chez les Suisses. Ainsi le Gart milite depuis plusieurs années sur le transfert de la fixation et du contrôle des pénalités de stationnement par l'État aux collectivités. Pour l'heure, Bercy et le ministère de l'Intérieur freinent des quatre fers.
En attendant, les citoyens changent et les transports publics gagnent du terrain. En 2011 leur fréquentation a crû de 5% pour une offre en augmentation de 3,5%. Dans les villes moyennes la hausse est même de 5,2% pour une offre en croissance de 1,5%. « Les collectivités ont du mal à répondre à cette demande croissante, essentiellement pour des raisons financières, les recettes ne suivant pas l'augmentation des fréquentations face à des investissements excessivement lourds », reconnaît Bruno Gazeau, délégué général de l'UTP, le syndicat professionnel des entreprises de transport urbain.
Seul moyen pour résoudre ce paradoxe : arrêter de se focaliser sur le développement d'infrastructures lourdes (tramway, nouvelles lignes de train, RER, métro), et améliorer les transports existants en privilégiant l'efficacité du service et sans bouleverser les villes (bus à haut niveau de service, autopartage, vélos en libre-service, transports à la demande).

Toujours autant d'embouteillages...

Une « révolution douce » préconisée par Christian Proust, vice-président de l'agglomération belfortaine et président du syndicat des transports du territoire de Belfort (SMTC 90).
À Londres, par exemple, une augmentation de 30% de la vitesse de circulation des bus a permis de répondre à la demande des voyageurs. « Il faut d'abord travailler l'existant », en conclut Louis Nègre, sénateur des Alpes-Maritimes et vice-président du Gart. Il rappelle que le prix moyen du ticket dans les transports publics a baissé de 4% entre 1999 et 2011. Mieux, les offres promotionnelles comme le ticket à un euro à Nice ont réduit de 15.000 le nombre de voitures. Le succès de la première ligne de tramway (nord-sud), inaugurée en 2007, a décidé le maire, Christian Estrosi, à en lancer une seconde qui reliera en 2015 l'ouest à l'est. Autrement dit, l'aéroport de Nice au centre-ville.
Certes, ces politiques visent normalement à décongestionner les villes. Pour autant, les embouteillages ne diminuent pas. Car, dans la foulée, les villes élargissent les trottoirs, créent des rues piétonnes, réduisent les places de stationnement, etc. Et les automobilistes invétérés se retrouvent pare-chocs contre pare-chocs. « Aujourd'hui, ce qu'il faut viser ce sont des changements de comportements grâce à une offre de service de transport unique qui n'exclue aucun mode », défend Christian Proust. Sans oublier d'inclure dans la réflexion le travail à distance et sa perception dans les entreprises.

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La mécanique des fluides, remède antibouchons

Dans la technopole de Sophia-Antipolis près de Nice, la problématique de l'engorgement routier est un vrai défi qui n'a pas encore trouvé l'once d'une solution. Cette zone qui regroupe grandes entreprises et start-up a pourtant bien expérimenté quelques initiatives. Ainsi, en 2008, le Club des Dirigeants, avec le soutien de l'Ademe, a voulu mettre en place un Plan de Déplacement Inter Entreprises. Treize y ont participé. Mais ce Plan n'a pas eu de suite. Le site de covoiturage Otto & Co et celui initié par le conseil général et la CCI Nice Côte d'Azur ont fusionné leurs bases de données, mais ça ne fonctionne pas.
Une chercheuse de l'Inria qui travaille pour le Conseil européen de la recherche a peut-être trouvé le « Graal » de la régulation du trafic : le projet de recherche « TRAM3 » du Dr Paola Goatin repose sur une approche « macroscopique » qui utilise la mécanique des fluides... Cette méthode permet d'analyser le trafic d'une manière similaire aux ondes en ayant « une vision de tout le flux et de la densité du trafic, au lieu d'observer la manière dont les véhicules individuels interagissent », explique la chercheuse. En considérant le trafic et la foule comme des fluides, leur comportement peut être décrit en quelques équations, avec des paramètres issus du monde réel. Après deux années de travail, la chercheuse espère que ses travaux amèneront à des prédictions fiables et à des approches optimisées pour gérer les embouteillages.

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