L'irrésistible ascension de Christine Lagarde

<b>LES FAITS - </b>Alors que l'assemblée annuelle du Fonds monétaire international commence ce vendredi à Tokyo, sa directrice générale, Christine Lagarde, revient sur le devant de la scène. Un rendez-vous important pour l'économie mondiale... et pour cette femme qui conserve une forte popularité en France.<br /><b>LA PERSPECTIVES - </b> En 2016, elle quittera le FMI, et certains lui voient déjà un destin présidentiel. Pas sûr que les circonstances favorables qu'elle a toujours su exploiter soient alors réunies.
Christine Lagarde / Reuters

En moins de huit ans, Christine Lagarde aura connu un destin exceptionnel, passant du monde discret et cossu des grands cabinets d'avocats d'affaires internationaux à la direction d'une des principales institutions financières du monde, le Fonds monétaire international (FMI). Entre-temps, elle a occupé des postes ministériels en France, dont la citadelle de l'Économie et des Finances. Elle est désormais une des femmes les plus puissantes du monde. En cette fin de semaine, du 12 au 14 octobre, à Tokyo, elle sera à nouveau sous les projecteurs, à l'occasion de l'assemblée annuelle du FMI, qui réunira tout le gotha de la finance internationale pour débattre de l'avenir des quelque 7 milliards d'êtres humains que compte la planète.

La ténacité d'une « self-made-woman »
Quel est le secret de ce parcours (presque) sans faute? D'abord sa personnalité. Christine Lagarde est une « self-made-woman » qui a d'abord gravi l'échelle sociale palier par palier à force de ténacité et de volonté. Boursière, cette fille de professeurs qui a passé sa jeunesse au Havre, débarque dès 1974 aux États-Unis, à 18 ans. L'Amérique va lui permettre de comprendre tous les codes de la culture des affaires anglo-saxonnes, notamment son pragmatisme et, ce qui se révélera un atout plus tard, une parfaite maîtrise de la langue de Shakespeare. Son goût de la compétition, qu'elle a déjà manifesté en devenant championne de France de natation synchronisée, trouvera outre-Atlantique un terrain bien plus favorable qu'en France. C'est ce goût du défi qui lui fera accepter de renoncer à ses confortables revenus de présidente de Baker & McKenzie pour se lancer en 2005 dans l'aventure à haut risque de la politique française.
Deuxième élément de son succès, les circonstances, dont elle a toujours su tirer le meilleur parti. Ainsi, l'opportunité d'intégrer un gouvernement, grâce à l'appui de l'ancien ministre Thierry Breton, et de devenir ministre délégué au Commerce international de 2005 à 2007, lui permet d'apprendre la grammaire de la communication gouvernementale. Deux jours à peine après sa nomination, les Français découvrent cette femme élégante et affable, qui tranche sur le personnel politique habituel, par son style et son franc-parler. Elle proclame alors sans ambages qu'il est nécessaire de procéder à une réforme du Code du travail, qu'elle juge « compliqué, lourd » et « constituant un frein à l'embauche ».

L'échec d'Alain Juppé la propulse à Bercy
Une prise de position qui lui attire ipso facto les foudres des syndicats et de la gauche ainsi qu'un rappel à l'ordre du Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin. Mais elle ne commettra plus que rarement de tels impairs.
Après l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, en 2007, Christine Lagarde sera la seule rescapée de la précédente équipe. Elle rejoint alors le ministère de l'Agriculture et de la pêche. Mais aux législatives, le numéro deux du gouvernement, Alain Juppé, est battu et démissionne de son poste à Bercy, comme il s'y était engagé. Christine Lagarde devient alors la première femme ministre de l'Économie en France, et investit la citadelle des bords de Seine.
À ce poste exposé, elle va s'appliquer à mener à la lettre les réformes voulues par Nicolas Sarkozy en tenant le cap sans état d'âme, mais avec un bilan mitigé. Dès 2007, elle porte la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (« loi Tepa ») qui introduit notamment l'abaissement de 60 à 50% du bouclier fiscal, la déduction des intérêts d'emprunts et la défiscalisation gouvernement Fillon est revenu sur les deux premières mesures, la troisième a été supprimée cet été par le gouvernement Ayrault.
En 2008, c'est la loi de modernisation de l'économie que Christine Lagarde et ses secrétaires d'État font voter par le Parlement. Si la réduction des délais de paiement et le statut de l'auto-entre-preneur furent un succès, la mise en place de règles visant à stimuler la concurrence et donc faire baisser les prix dans la grande distribution n'a pas eu les effets escomptés. La réforme de la taxe professionnelle est également à mettre à son crédit, tout comme la loi sur le surendettement. Le seul texte dont elle assume avec fierté la maternité.

En 2008, elle devient « la voix » de la France
En 2008, la crise financière se propage à travers la planète. La plus grave depuis 1929. Elle va propulser la ministre française sur la scène internationale. C'est l'époque des sommets à répétition du G8, puis du G20, où les grands dirigeants du monde tentent d'unir leurs efforts pour coordonner leurs mesures contra-cycliques et éviter la dépression.
Grâce à son anglais fluent, qui tranche au sein d'une classe politique française toujours majoritairement fâchée avec les langues étrangères, elle devient la voix et le visage de la France sur les grandes chaînes internationales de télévision. Toujours disponible, professionnelle, infatigable, elle en arrive même à éclipser l'image du pourtant hyperactif président Sarkozy.
Ses homologues européens l'apprécient, pour l'avoir longuement fréquentée lors de ces interminables « Ecofin », qui réunissent les ministres des Finances de la zone euro pour plancher sur les solutions à trouver à la crise grecque. Crise qui bientôt se transforme en une crise de la dette européenne.

Elle sait saisir sa chance après la chute de DSK
Mais surtout, son rôle joué sur la scène internationale va lui permettre de se constituer un des meilleurs carnets d'adresses de la planète, qui va s'avérer précieux au printemps 2011. Le 14 mai, en effet, Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, à l'époque favori dans la course à l'Élysée, est arrêté à l'aéroport international JFK de New York. Scandale planétaire. Très rapidement, le président Nicolas Sarkozy avance le nom de Christine Lagarde...
À nouveau, elle va saisir sa chance. Un temps, les pays émergents revendiquent le poste. Mais ils n'arrivent pas à s'entendre sur le nom d'un candidat. Christine Lagarde, elle, agit vite. Elle doit avoir l'aval des Américains, qui ont le vrai pouvoir au sein de l'institution, grâce à leur « veto de fait » dans le conseil des gouverneurs.
Elle entretient d'excellentes relations avec Timothy Geithner, le secrétaire d'État au Trésor. Et elle fait rapidement l'unanimité du côté des Européens, qui veulent que l'un des leurs dirige une institution impliquée désormais dans la résolution des problèmes du Vieux Continent. Car au FMI, les représentants des pays émergents critiquent l'activisme et l'octroi de fonds à une zone euro qui à leurs yeux paient d'abord leurs dérives budgétaires. Mais ces appuis ne suffisent pas. Il faut convaincre les émergents, qui montent en puissance au sein du Fonds. Christine Lagarde adopte un profil modeste, et prend son bâton de pèlerin pour aller défendre sa candidature en Amérique du Sud, en Inde, en Chine. Sans relâche, elle explique qu'elle compte associer les émergents par une gouvernance qui les impliquera davantage.
Cette détermination est aussi la preuve qu'au-delà de sa personnalité et des circonstances favorables, Christine Lagarde est avant tout une pragmatique, pas une idéologue. Elle a l'intelligence des situations qu'elle a apprise durant ses longues années d'exercice de son métier d'avocate d'affaires. Au FMI, elle a ainsi su s'inscrire habilement dans la continuité du travail de réforme de l'institution qu'avait entamé Dominique Strauss-Kahn. Elle a conservé une large partie de ses collaborateurs d'ailleurs, travaillant en équipe, afin d'assurer la stabilité d'une institution que le scandale DSK avait profondément secouée. Elle a su s'appuyer sur le travail de son prédécesseur, notamment le recul de l'approche technocratique qui favorisait les Programmes d'ajustement structurel (PAS) que le Fonds imposait dans les années 1980 à l'Afrique, l'Amérique latine ou l'Asie, avec leurs cortèges de dégâts sociaux.

Aussi faire profil bas
Signe également de son self-control, la « reine Christine », comme la surnomment certains, sait également adopter un profil bas quand les circonstances l'exigent. Lorsque, s'appuyant sur un rapport du FMI, elle pointe la nécessité de recapitaliser « en urgence » le système bancaire européen à l'été 2011, elle s'attire les foudres du président français, son ancien maître, qui prépare « son » sommet du G20 à Cannes. Elle s'est finalement tue, mais l'histoire a montré qu'elle n'avait alors pas entièrement tort...Mais on doit mettre à son compte et celui de sa force de persuasion, sa capacité à lever des fonds pour renforcer la capacité financière du FMI à pouvoir mener ses missions dans une économie mondiale qui marque le pas. « Lorsqu'elle voit qu'une négociation est dans l'impasse, elle propose de mettre par écrit les désaccords, mais c'est elle qui tient la plume déterminant le cadre qui lui donne un avantage », témoigne un haut fonctionnaire. Elle a aussi la sagesse de ne pas s'aventurer sur des domaines qu'elle maîtrise moins, n'hésitant pas à laisser ses conseillers répondre sur des points techniques, si nécessaire.
D'aucuns lui prêtent l'intention de briguer la présidence de la République française en 2017. Nul ne pourra en tout cas contester une riche expérience politique, économique et internationale à celle qui fut la première femme à devenir ministre de l'Économie et directrice du FMI. Si les circonstances sont réunies...

_____

Christine L. et l'encombrante affaire tapie
A la mi-septembre, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire contre X portant sur un des volets de l'affaire Tapie/Crédit lyonnais, pour « usage abusif des pouvoirs sociaux et recel de ce délit au préjudice du Consortium de réalisation [le CDR qui gère le passif de la banque) ». Il s'agit du volet non ministériel de l'affaire, et ne concerne donc pas directe-ment Christine Lagarde, qui fait l'objet d'une procédure ouverte en 2011 devant la Cour de justice de la République (CJR) pour s'être impliquée « personnellement » dans un processus qui comporte « de nombreuses anomalies et irrégularités ». Bernard Tapie est en conflit depuis plus de quinze ans avec le Crédit lyonnais, son ex-banque, qu'il accuse de l'avoir floué dans la cession d'Adidas en 1993. Pour trancher le litige, une commission d'arbitrage avait été constituée à l'initiative de Christine Lagarde, à l'époque ministre de l'Économie, qui avait conclu en accordant à l'homme d'affaires 240 millions d'euros de réparation, auxquels s'ajoutaient une centaine de millions d'euros d'intérêts et 45 millions d'euros pour préjudice moral.Une décision qui a été contestée mais n'avait pas empêché Christine Lagarde de présenter sa candidature au FMI.

Commentaire 1
à écrit le 26/10/2012 à 17:14
Signaler
Je crois que vous avez fait un erreur. Il me semble qu'en 2007, elle a remplacé Jean-Louis Borloo à Bercy ( il n'y sera resté que quelques semaine) , débarqué suite à sa gaffe sur la TVA sociale à l'entre deux tours des législatives...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.