Aéroports régionaux : l'entente ou... la mort

Attirer les compagnies aériennes, capterles passagers des aéroports concurrents... les collectivités territoriales défendent bec et ongles le développement de leurs plates-formes aéroportuaires, jugées essentielles pour leur attractivité, en dépit des contraintes budgétaires de plus en plus lourdes.
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Dans la course à la compétitivité à laquelle se livrent les territoires se joue une partie très serrée. Celle des aéroports, véritables pièces maîtresses du développement économique local au même titre que les dessertes ferroviaires et routières. La concurrence est même féroce : attirer toujours plus de compagnies aériennes, faucher des passagers sur les terres du voisin, fidéliser les siens... la bataille des aéroports régionaux fait rage en France. D'autant plus que les compagnies aériennes européennes souffrent et que leur développement est pesé au trébuchet. « Il existe une concurrence entre les grands aéroports régionaux [Lyon, Nice, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Montpellier, NDLR], entre ces derniers et les aéroports secondaires, mais aussi entre les plates-formes secondaires entre elles », explique Jean-Michel Vernhes, directeur de l'aéroport de Toulouse et président de l'Union des aéroports français (UAF), syndicat de gestionnaires. Sans compter la concurrence entre Paris et le reste de la France. Cette compétition est d'autant plus rude que les équipements français sont légion. L'Hexagone en compte près de 150, même si tous, loin s'en faut, n'assurent pas une activité de transport de passagers. Sur le pourtour méditerranéen - Marseille, Aix-en-Provence, Toulon, Nîmes, Montpellier, Béziers, Carcassonne, Perpignan?-, les aéroports sont séparés d'à peine une cinquantaine de kilomètres?! Un chapelet aéroportuaire qui se retrouve ailleurs, en Bretagne par exemple. L'héritage d'une époque ancienne qui a commencé dans les années 1930, où, en raison de l'inefficacité des transports terrestres, chaque bassin d'emploi disposait de son propre aéroport. « Au fur et à mesure que les routes et les lignes ferroviaires se sont améliorées, les zones d'attraction des aéroports se sont superposées, entraînant de plus en plus de concurrence entre eux », explique Jacques Sabourin, ancien délégué général de l'UAF. C'est en fait dans les années 1990 que la concurrence entre aéroports a réellement vu le jour. « Elle est liée à l'évolution du transport aérien, observe Philippe Wilmart, ancien directeur commercial de l'aéroport de Marseille. La dérégulation du ciel européen dans les années 1990 a donné naissance à de nouveaux acteurs, notamment les compagnies à bas coût. » Et en particulier l'irlandaise Ryanair, qui a su profiter des attentes des territoires. Car c'est en 1996, qu'Air France se focalise sur le développement du hub de Roissy?-?Charles-de-Gaulle, un système industrialisé de vols en correspondances entre les court et moyen-courriers et vols long-courriers. « Laissés en friche par la compagnie nationale, certains aéroports se sont sentis mal traités et sont allés chercher des compagnies à bas coûts, Ryanair en particulier », rappelle Jacques Sabourin. Aujourd'hui, Air France fait un peu machine arrière avec ses bases de province.
C'est donc à cette époque que les aéroports se dotent de véritables directions commerciales et marketing nourries d'un authentique esprit de conquête. Les armes de cette guerre?? Elles sont multiples. En amont, il faut convaincre les compagnies aériennes d'ouvrir de nouvelles lignes et les tour-opérateurs de programmer des vols charters. « Le point fondamental est de démontrer qu'il y a un marché », explique Jean-Luc Poiroux, directeur commercial de l'aéroport de Bordeaux. « Mais pas seulement, précise Julien Boullay, son homologue de Marseille. Plus les compagnies opèrent sur des vols court-courriers, plus elles sont low cost et plus c'est le prix (le montant des coûts aéroportuaires) qui permet de les attirer. Sur du long-courrier, c'est le marché. » Les coûts aéroportuaires sont devenus le nerf de la guerre. Tous les aéroports octroient des remises au moins au cours des trois premières années après l'ouverture d'une nouvelle ligne. Pour attirer les transporteurs à bas prix, les aéroports de Marseille, Lyon et Bordeaux ont même créé des terminaux low cost proposant des services simplifiés, moins coûteux.

Des subventions déguisées pour Ryanair

À cette modération tarifaire s'ajoute un accompagnement promotionnel des lignes des compagnies. Un système qui a entraîné des dérives de la part de certains aéroports qui ont transformé le soutien marketing en subvention déguisée pour le compte de Ryanair. Pour convaincre la compagnie d'ouvrir une ligne, de nombreux aéroports, qui n'avaient pas d'autre choix pour disposer d'une offre aérienne, ont octroyé des ristournes sur le prix des prestations, et de manière non pas temporaire comme l'autorise Bruxelles, mais pérenne. Certaines plates-formes font même cadeau des coûts d'escale.
Au bout du compte, les aides se comptent en millions d'euros en échange des milliers de passagers britanniques, belges ou allemands transportés par Rynair. Un système jugé contraire aux règles européennes par Air France, qui a déposé plainte à Bruxelles contre 25?aéroports français fi n 2009. « Ces subventions sont d'autant plus contraires aux règles européennes de la concurrence qu'elles ne sont ni temporaires ni dégressives dans le temps. Au surplus, les mesures d'aides octroyées à Ryanair sont souvent financées par le produit des redevances payées par les autres compagnies présentes sur ces aéroports », soulignait Air France en mars 2010, le jour où elle rendait publique sa plainte.
Une fois l'offre aérienne en place, la bataille entre aéroports n'est pas terminée. Car il faut attirer les passagers. Objectif?: détourner la clientèle de la zone de chalandise de ses concurrents, tout en fi délisant la sienne. Les transports terrestres (un réseau de cars ou de trains) sont un atout considérable. Que serait l'aéroport de Beauvais, fief de Ryanair, à 100 kilomètres au nord de la capitale, sans son ballet de cars partant de la porte Maillot à Paris?? Que représente l'aéroport de Vatry, dans la Marne, sans une desserte ferroviaire directe avec Paris?? À cela s'ajoute la guerre des parkings, avec des tarifs longue durée parfois très agressifs, comme en a consenti il y a quelques années l'aéroport de Marseille pour aller piquer des clients à Montpellier. Mais aussi des opérations de sensibilisation auprès des agences de voyages situées au-delà de leurs zones de chalandise naturelles.
Reste que le système est menacé. Avec des budgets publics de plus en plus serrés, « une régulation économique va s'opérer », prédit Jean-Michel Vernhes. « Il va y avoir des choix budgétaires à faire. Que se passera-t-il si les aéroports coûtent plus cher qu'ils ne rapportent°? Si elles rencontrent des problèmes budgétaires, les collectivités continueront-elles à sortir les 10 ou 20 millions d'euros nécessaires à l'extension de la piste pour accueillir les Boeing 737 de Ryanair ou à la rénovation des parkings°? » s'interroge le président de l'UAF.

Les aides d'État par Bruxelles

« Le débat est plus compliqué », nuance Pascal Personne, directeur de l'aéroport de Bordeaux, au regard des retombées pour les territoires de la présence d'un bon réseau aérien à proximité. «?En outre, estime-t-il, les aides aéroportuaires sont largement inférieures aux sommes mobilisées pour le financement du transport ferroviaire, par exemple. » Derrière l'argument des contraintes budgétaires se cachent en fait deux gros dangers pour les petits aéroports : l'élaboration de nouvelles règles européennes concernant les aides d'État et le jugement sur la plainte d'Air France concernant plusieurs aéroports régionaux. Deux gros écueils potentiels. Car, si la réglementation devait se durcir, de nombreux aéroports se trouveraient dans une situation compliquée pour travailler avec Ryanair. Même chose si Air France sort vainqueur du contentieux. La compagnie irlandaise devra rembourser les aides reçues. Avec, dans les deux cas, le risque de la voir quitter l'aéroport. Déjà, certaines plates-formes, comme Angoulême ou Pau, ont pris l'initiative de mettre fin aux subventions. Et Ryanair a mis les voiles... Alors quel avenir pour les aéroports régionaux?? Le débat sur les subventions est pour beaucoup une question de survie. Et il pose, par ricochet, la question des retombées économiques pour la région. Des regroupements par zones géographiques vont-ils devoir avoir lieu?? Il ne s'agirait pas tant de réduire drastiquement le nombre d'aéroports (ils pourraient être au contraire un atout pour absorber la croissance du trafic à l'avenir), que d'instaurer une meilleure coordination. Beaucoup de spécialistes le prônent. Par exemple, la région Aquitaine mène cette réflexion. Pour autant, la multiplicité des acteurs (régions, départements, communautés urbaines...), rend la tâche extrêmement compliquée.

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La privatisation au compte-gouttes
Depuis des années, l?État se désengage des aéroports. Si, depuis l?ouverture du capital d?Aéroports de Paris (ADP) en 2006, il en détient encore en direct 52,1?% des actions, plus 8?% par le biais du FSI, il reste propriétaire de douze aéroports régionaux en métropole ou en outre-mer (Lyon, Nice, Toulouse, Montpellier, Marseille, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Saint-Denis de la Réunion, Cayenne). Cependant, la concession de sept d?entre eux (Lyon, Toulouse, Bordeaux, Nice, Montpellier, Saint-Denis et Fort-de?France) a été apportée à des sociétés aéroportuaires à capitaux publics (à 60?% l?État, 25?% les CCI et 15?% les collectivités locales). Mais il s?agit d?un préalable au désengagement de l?État, celui-ci n?ayant pas vocation à rester au capital. En 2011, il a cependant échoué à vendre tout ou partie de ses parts dans les aéroports de Lyon, Bordeaux, Montpellier et Toulouse à des acteurs privés. Le nouveau gouvernement ne s?est pas encore penché sur ce dossier mais n?affiche pas d?hostilité à un désengagement, selon nos sources. Cas spécifique, Nantes-Atlantique, devenu le premier grand aéroport régional à passer, le 31 décembre 2010, aux mains d?un acteur privé, Vinci. Celui-ci construira et exploitera le très controversé aéroport nantais de Notre-Dame-des-Landes, en 2017.

Commentaire 1
à écrit le 15/11/2012 à 12:41
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Alors que je suis à nddl il me vient à l?idée le chainon manquant dans notre système et qui existe ici. Tous les politiques veulent le plein emploi et assurer la croissance pour éviter le chômage afin que chacun puisse vivre suivant un minimum dit de...

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