Le projet patronal pour le marché du travail : beaucoup de flexibilité, un zeste de sécurité

Le document patronal discuté jeudi 15 novembre, lors de la reprise de la négociation sur la réforme du marché du travail, présente avec un luxe de détails les souhaits patronaux pour alléger les procédures de licenciement ou pour simplifier les règles encadrant le contrat à durée indéterminée. En revanche, il se fait nettement moins précis quand il s'agit d'aborder les nouveaux droits reconnus aux salariés, notamment pour lutter contre la précarité. Un déséquilibre volontaire, pour des raisons autant idéologiques que tactiques.
Bernard van Craeynest, president du syndicat CFE CGC, Jacques Voisin, secretaire general de la CFTC, Jean Claude Mailly, secretaire general de FO, Force ouvriere, Francois Chereque, secretaire general de la CFDT, Laurence Parisot, presidente du MEDEF, Jean Francois Roubaud, president de la CGPME et Jean Lardin, president de l'UPA, Union Professionnelle Artisanale. Copyright REA

« Le projet émanant de la délégation patronale discuté ce 15 novembre lors de la reprise de la négociation sur la sécurisation des parcours professionnels ne devrait pas faire fuir les syndicats. Il y a des pistes à explorer. » Cette appréciation portée par l'entourage du ministre du Travail ne pêche-t-elle pas par un léger excès d'optimisme ? Du moins pour l'instant. Car le propre d'une négociation est de faire évoluer les choses pour parvenir, in fine, à un compromis acceptable par le plus grand nombre.

De fait, pour la première fois depuis le 4 octobre, début de la difficile négociation visant à modifier le fonctionnement du marché du travail, ce jeudi, la délégation patronale (comprenant des représentants du Medef, de la CGPME et des artisans employeurs de l'UPA) a mis sur la table des propositions concrètes à négocier pour bâtir une « flexisécurité » à la française.

Et, lorsque l'on parle de « flexisécurité » du marché du travail, par définition, il y a un volet flexibilité et un volet sécurité. Le tout devant permettre de faciliter la vie des entreprises avec des procédures de licenciement relativement souples et, en contrepartie, une garantie pour le salarié licencié de bénéficier, d'une part, de toute une panoplie de moyens pour retrouver rapidement un emploi et, d'autre part, de disposer d'un parachute amortissant les conséquences du licenciement.

Un texte qui reprend les revendications habituelles du patronat

Or, force est de constater, du moins à ce stade, que les propositions patronales sont bancales, avec un volet flexibilité nettement plus développé que le volet sécurisation pour le salarié. En fait, ce document a le mérite de l'honnêteté : Il comprend peu d'idée nouvelles, il s'agit ni plus ni moins que d'une sorte de compilation résumée et assumée de toutes les revendications patronales portées par le Medef, la CGPME et l'UPA depuis 15 ans. Mais quoi de plus normal ! Il est tout à fait logique, lorsque l'on demande au représentants des entreprises d'exprimer leurs idées sur une réforme du marché du travail, qu'ils portent leurs réclamations... Pour preuve, autant tout ce qui concerne l'assouplissement des règles relatives aux procédures de licenciement, à l'encadrement du contrat à durée indéterminée (CDI) et aux possibilités de déroger au droit du travail est relativement bien détaillé, autant tout ce qui conduirait à créer de nouvelles sécurités pour les salariés reste à écrire, sauf rares exceptions.

Faire des CDI... à durée déterminée

Ainsi, s'est le cas des règles encadrant le CDI. Le texte propose, vieille antienne patronale, de pouvoir élargir la « logique » du contrat export ou du contrat de chantier « à d'autres CDI, conclu pour la réalisation de projets identifiés dont la durée est incertaine. Il s'agit ainsi de sécuriser le motif de la rupture du CDI, il ne peut être poursuivi au-delà de la réalisation du projet pour lequel il a été conclu ». En fait, il s'agit ni plus ni moins d'inventer un CDI à... durée déterminé dont la rupture - à la fin de la mission - serait ultra simplifiée.

Simplifier les licenciements

L'on retrouve aussi cette logique de flexibilité s'agissant, cette fois, du licenciement. Le texte propose de réduire de cinq à un an la prescription sur les actions aux prud'hommes, notamment en cas de contestation de son licenciement par un salarié Là, il s'agit d'une vieille demande de la CGPME, soucieux de « sécuriser » la vie des PME.

Dans le même ordre d'idées, la délégation patronale propose que l'énoncé des motifs dans la lettre de licenciement ne fixe plus les limites du litige. En d'autres termes, il s'agirait de permettre à un employeur, lors du débat prud'homal, « d'apporter tous les éléments qui justifient la rupture du contrat sans que puisse lui être opposé le manque de précision du motif énoncé dans la lettre de licenciement ». Une façon de contourner la très ancienne jurisprudence précisant qu'une lettre de licenciement doit très exactement détailler les faits reprochés au salarié.

Toujours s'agissant des licenciements, le texte souhaite qu'un plafond soit fixé limitant le montant des condamnations prononcées par le juge pour licenciement sans motif réel et sérieux. Selon le patronat, ceci aurait pour but de ne pas mettre en difficulté financière des PME devant « supporter le coût prohibitif de certaines condamnations ». Actuellement, l'absence de cause réelle et sérieuse pour le licenciement d'un salarié ayant au moins deux ans d'ancienneté donne droit à des dommages intérêts d'un montant minimum égal à six mois de salaire. Il n'y a pas de plafond, les juge appréciant le préjudice intuitu personae.

On le voit, et ce ne sont là que quelques exemples - il y a aussi une proposition de geler les seuils sociaux durant trois ans - , le texte patronal brille par la précision de sa rédaction sur le chapitre contrat de travail et licenciement. Mais, encore une fois, il n'y a rien d'étonnant à cela.

Il en va exactement de même quand, cette fois, on aborde les licenciements économiques et les fameux accords « compétitivité/emploi » souhaités par Nicolas Sarkozy - pudiquement rebaptisés « accords de maintien dans l'emploi » - visant à déroger au droit du travail (temps de travail, rémunération) « pour faire face à des situations conjoncturelles difficiles ». Sur ces deux thèmes, le texte rentre aussi remarquablement dans le détail

Restreindre le champ du licenciement économique

Ainsi, pour prendre l'exemple des licenciements économiques, la délégation patronale fait une subtile différence entre les opérations conduites « dans l'intérêt de l'entreprise et qui n'impliquent pas de suppressions d'emploi » mais qui donnent lieu à un « plan de redéploiement » - autrement dit, un plan impliquant une mobilité géographique ou professionnel du salarié. Et des opérations qui sont menées « pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou faire face à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques et qui s'accompagnent de suppressions d'emplois ». Une distinction qui permet de limiter le périmètre des licenciements économiques.

Car, en cas de simple « plan de redéploiement », le texte patronal propose que, en cas de refus du salarié de la modification du contrat de travail, il ne s'agisse plus d'un licenciement économique. La rupture, sui generis, donnerait lieu à une « procédure courte et sécurisée ». Le salarié aurait droit à l'indemnité conventionnelle de licenciement et à la prise en charge par l'assurance-chômage.

Concernant les « vrais licenciements économiques » en raison de suppressions de postes, le texte propose que tous les délais soient préfixés (interventions éventuelles d'experts, réunions avec les représentants du personnel, etc.). Possibilité déjà largement ouverte aujourd'hui via la conclusion d'un accord de méthode. Mais, surtout, le patronat propose que soit rétablit une « homologation de la procédure par l'administration », ce qui donnerait « une compétence exclusive aux juridictions administratives en cas de contentieux sur la procédure et/ ou la qualité du plan de reclassement. »

Une façon, sans revenir à l'autorisation administrative de licenciement (supprimée en 1986), de sécuriser les entreprises et de limiter les très longs délais devant les juridictions de l'ordre judiciaire. A noter qu'il s'agit là d'une préoccupation partagée par la... CFDT.

Un volet sécurité peu développé

En revanche, quand il s'agit d'aborder le volet « sécurité », le document patronal de seize pages se montre nettement moins précis. Soit, il renvoie certaines demandes syndicales à de futures négociations. Il en va ainsi d'une éventuelle surcotisation à l'assurance chômage pour les entreprises qui abusent sur les contrats précaires (CDD, intérim), qui serait abordée lors de la négociation (qui doit normalement se tenir en 2013) sur le renouvellement de la convention d'assurance chômage. Il faut dire que Medef, CGPME et UPA divergent entre eux sur ce point... Soit, il se montre très flou. Certes, il s'agirait davantage de recourir au chômage partiel ; certes, il s'agirait d'améliorer la situation des salariés en contrats "courts" en facilitant l'accès aux « prêts bancaires » ou en mobilisant « action logement ». Mais, là, on a pas le droit au même luxe de détails que pour les chapitres « flexibilité ».

Il y a cependant quelques exceptions qui méritent l'attention. Il en va ainsi de cette idée d'expérimenter « un compte individuel de formation », dans lequel seraient fusionnés les actuels DIF et CIF, et qui serait alimenté par l'entreprise de façon différente, en fonction de la situation de la personne : plus le salarié aurait une qualification fragile, plus le compte serait abondé. Il s'agirait aussi d'ouvrir plus largement que ce qui se pratique actuellement un droit à une mutuelle santé « socle » pour les chômeurs.

Bref, un texte (volontairement) déséquilibré. Mais qui a un mérite : celui de lancer réellement la négociation. Il va de soi que le « jeu » va consister pour les syndicats à compléter la partie « sécurité » laissée en pointillés par le patronat. Mais, à chaque fois qu'une case sera ainsi remplie, la délégation patronale cherchera à imposer un chapitre du volet « flexibilité ».

Il n'est alors pas certain qu l'on soit proche d'une conclusion pour le 31 décembre 2012. Echéance fixée par le gouvernement avant de reprendre la main, même s'il sera disposé à laisser quelques semaines supplémentaires si un accord se profile.

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