La France à la conquête de la richesse des mers

Dotée d'un patrimoine naturel exceptionnel et d'entreprises leaders dans les activités maritimes, la France a toutes les cartes en main pour devenir une championne dans l'exploitation de ressources marines.
Nutrition, biocarburants, dépollution... Les débouchés de l'exploration des océans sont nombreux. Ici, le système de prélèvement d'échantillons de 'Ifremer [Christoph Gerigk/Cosmos]

Cultiver des microalgues en pleine mer pour les transformer en énergie ou en compléments alimentaires... Loin des fantasmes d'un Jules Verne du xxie siècle, ce type de projet, tout près d'aboutir, n'est qu'un aperçu des solutions qu'offre la mer aux défis de toute nature que doivent aujourd'hui affronter les Terriens.
Ça n'est pas sans raison que l'on parle de planète bleue : 361 millions de kilomètres carrés, 1,37 milliard de mètres cubes, soit 71 % de sa surface... À l'heure où se profile une pénurie de ressources alimentaires comme énergétiques, la mer apparaît comme une mine quasi inépuisable dont on commence à peine à mesurer le potentiel.
La France, qui au fil des siècles et sur les océans du monde entier a développé une large palette de compétences, depuis l'industrie navale civile et militaire jusqu'à l'exploitation pétrolière en mer, a des cartes à jouer pour embarquer dans l'aventure. Elle compte d'ailleurs plusieurs entreprises leaders de leur secteur : DCNS, STX, Technip, Nexans, CGGVeritas, Ifremer pour la recherche océanographique, Bourbon pour les services maritimes à l'offshore pétrolier, Louis Dreyfus Armateurs... Grâce notamment à ses territoires d'outre-mer, la France est dotée du deuxième territoire maritime au monde, après les États-Unis. Ses 11 millions de kilomètres carrés sur quatre océans, dont 4 000 kilomètres de côtes pour la seule métropole, sont autant de terrains d'expérimentation et de têtes de pont à l'assaut des mers du globe.
De nombreuses structures ont vu le jour ces dernières années pour tenter de tirer le meilleur profit de cette richesse naturelle. Le cluster maritime français a ainsi été créé en 2006 pour stimuler le dynamisme de la filière. « Aujourd'hui, les activités maritimes pèsent 1 500 milliards de dollars dans le monde, précise son président Francis Vallat. À l'horizon 2020, ce sera 2 000 milliards. Il n'est pas irréaliste que la France double la valeur de son économie maritime, aujourd'hui de 52 milliards d'euros. » Premier terrain d'exploration : les grands fonds marins, riches en métaux. Alors que sur terre les ressources en pétrole et en métaux s'épuisent, « les océans recèlent 84 % des réserves de minerais », explique Francis Vallat. Dans certains grands fonds, les encroûtements cobaltifères regorgent de nodules polymétalliques riches en nickel, cuivre, cobalt, phosphate ainsi qu'en or et en argent. Les sources hydrothermales, moins coûteuses à exploiter, rejettent des sulfures polymétalliques à une température de 350 °C et alimentent une vie prolifique entre 1 000 et 4 000 mètres de profondeur.

Un potentiel de 750 gigawatts en 2050

Selon Francis Vallat, la « France a tous les atouts pour jouer les premiers rôles dans l'exploitation des grands fonds ». Avec la Russie, l'Allemagne, l'Inde, le Brésil et la Corée, elle a emboîté le pas à la Chine dans la course aux gisements de sulfures polymétalliques. En 2010, une campagne d'exploration des fonds de Wallis et Futuna (collectivité française d'outre-mer), conduite par un partenariat public-privé associant l'Ifremer, Areva et Technip, a permis de découvrir un premier site hydrothermal profond « très prometteur ».Nutrition, cosmétique, pharmacie, dépollution, biocarburants, la France entend prendre sa place dans l'exploitation des multiples applications des bioressources marines. En 2011, elle a accueilli la convention internationale BioMarine. Aux côtés de l'Ifremer, du Gepea (laboratoire du Génie des procédés environnement et agro-alimentaire de l'Université de Nantes) et de grands groupes industriels (EADS, STX, Total...), de nombreuses PME, TPE et chercheurs, regroupés au sein des Pôles Mer Bretagne, Méditerranée, ou Blue Cluster, collaborent pour faire émerger une nouvelle filière économique valorisant ces ressources.
Mais c'est dans une troisième voie que la France possède le plus d'atouts. L'énergie marine, prédictible et quasi continue, offre un potentiel gigantesque. Hors éolien offshore posé, technologie la plus mature mais par convention exclue des énergies marines renouvelables (EMR), l'agence internationale de l'énergie (AIE) estime à 750 gigawatts (GW) en 2050 le potentiel des vents, courants, houle, différences de température et même de salinité. L'institut britannique Carbon Trust évalue le chiffre d'affaires correspondant à 432 milliards d'euros. Mais, pour l'heure, les capacités installées de ces EMR ne dépassent pas 520 mégawatts (MW). Grâce à ses champions de l'énergie, à leurs sous-traitants et à ses infrastructures portuaires, la France entend bien y jouer un rôle de premier plan. Signes de cette ambition, les premiers appels d'offres pour l'éolien offshore et bientôt l'hydro-lien, les appels à manifestation d'intérêt de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) ou la labellisation de France Énergies Marines (58 industriels, instituts de recherche, universités et régions) comme institut d'excellence en matière d'énergies décarbonées (IEED). Mais, comme en témoigne notre situation dans l'éolien posé, il n'y a pas de temps à perdre. Alors que l'on compte déjà 2 GW installés au large du Royaume-Uni, 857 MW au Danemark et 200 MW en Allemagne, la France vient seulement de lancer un premier appel d'offres... pour moins de 2 GW. Surtout, ses ambitions semblent bien modestes : seulement 6 GW à l'horizon 2020, contre 32 GW aux Royaume-Uni et 24 GW en Allemagne !

Une course industrielle entre états

Quant aux machines, Areva en compte quelques-unes au large de Bremerhaven (Allemagne) et celle d'Alstom est encore en test à terre, tandis que l'on trouve celles de Siemens ou Vestas sur toutes les mers européennes. Mais la France pourrait se rattraper sur la prochaine génération. L'éolien flottant, plus adapté à la configuration des côtes françaises, dont la profondeur s'accentue rapidement à mesure que l'on s'éloigne du littoral, ouvre d'immenses perspectives partout dans le monde, notamment en méditerranée, au Japon et aux États-Unis. le potentiel mondial serait trois fois plus important que celui de l'offshore posé, et de 8 à 10 fois plus en france. Dans cette technologie qui ne mobilise qu'une dizaine de projets dans le monde, on compte deux français [Eolien flottant (potentiel : 23 GW en Europe)]. « La première éolienne offshore en mer pourrait bien être flottante », s'amuse donc fredéric le Lidec, responsable des énergies marines chez DCNS.
Mais c'est dans l'énergie des courants, plus mature, que la première « ferme » de production d'énergie va voir le jour au large des côtes françaises. L'ancien ministre de l'Énergie Éric Besson a promis en avril dernier un appel d'offres dans les deux prochaines années. Outre le projet d'EDF en dans le raz Blanchard, l'un des meilleurs sites au monde, GDF Suez développe deux projets avec deux autres modèles. DCNS comme Alstom ont chacun choisi une technologie développée à l'étranger [Hydroliennes (potentiel mondial : entre 50 et 100 GW)]. Les français sont dans la course, à condition que l'appel d'offres ne soit pas retardé. « C'est une course industrielle, mais aussi entre états pour attirer les premiers sites de fabrication et créer des emplois, observe Frédéric le Lidec. Cela fait vingt-cinq ans que la France n'a pas vu émerger de filière industrielle, les EMR en offrent une formidable opportunité, nous avons la technologie et le marché domestique », se réjouit-il.
Dans cette course à la suprématie maritime, deux siècles après Trafalgar, la France trouvera une fois de plus le Royaume-Uni sur son chemin. en plus d'atouts naturels considérables, le gouvernement britannique a décidé de soutenir massivement ce secteur d'activité : un tarif de rachat très attractif, de nombreuses concessions accordées par le crown estate (qui gère le patrimoine foncier de la couronne), un centre de tests dans les îles Orcades... Cette politique a d'ailleurs attiré de nombreuses entreprises étrangères, dont Alstom, partenaire de l'Écossais SSE Renewables pour un projet houlomoteur de 200 MW.
En toute logique, la plupart des start-up européennes dans l'énergie des vagues (énergie houlomotrice) ont vu le jour au Royaume-Uni. Les français, eux, opèrent par rachat ou licence [Energie houlomotrice (potentiel mondial : entre 200 et 800 GW)].Dans l'énergie thermique des mers (ETM), en revanche, la France développe sa propre technologie. DCNS, au coude à coude avec l'américain lockeed martin et un consortium japonais, dispose des territoires d'outre-mer en zones tropicales pour expérimenter cette technique qui consiste à transformer en énergie la différence de température entre les eaux profondes et celles de surface [Energie thermique des mers (ETM) (potentiel mondial : 5 GW en 2030)]. Mais aussi pour s'en servir de tête de pont et s'attaquer à tous les océans tropicaux.et peut-être bientôt s'associer à un producteur de microalgues. Celles-ci en effet ont besoin de soleil, de CO2, de nutriments pour croître, puis d'énergie pour qu'on en extraie l'huile, à destination cosmétique, pharmaceutique ou énergétique. L'ETM offre tout cela, et la pleine mer permet de s'affranchir des contraintes foncières des côtes.
Encore plus fou, certains imaginent même utiliser l'ETM pour produire de l'hydrogène en pleine mer... Plus de cent ans après sa mort, la relève de Jules Verne semble bien assurée...

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