Inserm Transfert : l'innovation de l'éprouvette au médicament

Faire en sorte que les travaux des chercheurs en sciences de la vie aboutissent à la création de nouveaux médicaments et à de nouvelles entreprises, tel est le métier de Cécile Tharaud, cette polytechnicienne, docteur en génétique moléculaire, qui dirige Inserm Transfert. Une activité stratégique pour l'avenir de la recherche française.
Cécile Tharaud / Inserm

Que faire après son service militaire ? Cette question, Cécile Tharaud ne se l'est pas posée très longtemps. À sa sortie de l'École polytechnique, elle est tentée par la médecine, avant de décider de préparer une thèse dans le domaine de la génétique, une science encore neuve à l'époque, mais dont on devinait déjà les promesses. Heureux choix, qui lui confère un titre de docteur en biologie moléculaire de l'Institut national agronomique Paris-Grignon et qui fait aujourd'hui de cette femme souriante et déterminée un maillon essentiel de la valorisation de la recherche dans les sciences de la vie. Malgré son jeune âge, elle est une pionnière de la génétique. Elle fait ses premiers pas dans l'industrie agro-alimentaire, où elle travaille déjà dans la recherche sur la biologie moléculaire, fait un tour par Fontainebleau pour y obtenir le diplôme de l'Insead, avant de rejoindre l'industrie pharmaceutique, Glaxo France puis SmithkKline Beecham, où elle travaille sur des projets de recherche concernant le sida. Elle participe ensuite à l'aventure Genset, l'une des start-up les plus en vue de la génétique française, où elle dirige notamment le département brevets. Itinéraire accompli à la vitesse grand "V", ce qui autorise Cécile Tharaud à confesser dans un sourire : « J'ai vu les débuts de la génétique française. » à l'aube de la quarantaine, il lui fallait un grand projet. Il se présente de façon assez inattendue dans les rayons du Bon Marché, où elle croise l'un de ses amis qui la met sur la piste de l'Inserm qui cherche un secrétaire général. Finalement, ce n'est pas cette fonction là qu'elle exercera. L'Inserm lui demande de réaliser une étude sur la création d'une filiale chargée de la valorisation des travaux des quelque 3 000 chercheurs de la maison. L'étude réalisée, elle est chargée de la mise en ?uvre opérationnelle de ses conclusions. En juillet 2006, elle est nommée présidente du directoire d'Inserm Transfert. Une mission délicate l'y attend : construire un modèle de valorisation de la recherche aussi efficace que celui de Karolinska, en Suède, ou de l'Institut flamand de biotechnologie (VIB), deux organisations modèles en Europe. Le premier objectif est de privilégier les échanges entre chercheurs du secteur public et du secteur privé. Même si nous ne sommes plus à l'époque où les deux mondes se regardent en chiens de faïence, et même si le corpus juridique qui autorise ces échanges s'est considérablement assoupli, « certains blocages demeurent », reconnaît Cécile Tharaud, qui tempère cependant : « Petit à petit, par le biais des contrats de recherche avec le secteur privé, les deux parties respectent les apports de chacun, même si cela prend du temps d'aligner les intérêts et les cultures. »Le métier essentiel d'Inserm Transfert est, en fait, de promouvoir la progression des découvertes de la paillasse de laboratoire au lit du patient. Un cheminement complexe, qui passe par plusieurs étapes clés, dont celle de la « preuve de concept », qui consiste à vérifier que le travail du chercheur peut réellement déboucher sur la mise à l'étude d'un nouveau traitement. Inserm Transfert dépense chaque année 2 millions d'euros dans cette activité. à son arrivée, Cécile Tharaud s'est fixé trois objectifs : générer une forte activité en matière de dépôts de brevets, gérer ce portefeuille de manière active au moyen de partenariats ou de contrats de licence avec l'industrie, enfin, valoriser la recherche en santé publique, en participant notamment au financement des « cohortes », ces groupes de patients, qui peuvent aujourd'hui compter plusieurs milliers d'unités, sur lesquels sont testés les nouveaux traitements.

22 millions d'euros de revenus

Quels résultats concrets est-il possible aujourd'hui d'extraire de l'activité d'Inserm Transfert ? Cent quarante brevets déposés en 2011, contre quarante en 2005 ; 22 millions d'euros de revenus au titre des contrats de recherche, contre 9,5 millions en 2008 ; 23,6 millions d'euros de nouveaux contrats signés l'année dernière, 9 millions d'euros de revenus de contrats de licence contre 5,4 en 2008 ; des contrats signés avec beaucoup de grands noms de l'industrie pharmaceutique mondiale comme Sanofi, Covance (l'une des plus importantes sociétés mondiales de développement de nouveaux médicaments), MedImmune, (l'unité internationale de produits biologiques de Zeneca International), ou Roche, pour ne citer que ceux-là. En janvier 2012, Cécile Tharaud franchit une nouvelle étape avec la création d'Inserm Transfert Initiative, un fonds d'amorçage grâce auquel il sera possible de financer les premiers pas des start-up qui se créent pour valoriser les résultats de la recherche, et donc de progresser à un stade plus avancé dans la chaîne capitalistique. Dotée de 35 millions d'euros (dont 15 millions en provenance du Fonds national d'amorçage mis en place par l'État et géré par la Caisse des dépôts, 5 millions de FSI France Investissements, 5 millions de l'Inserm et 10 millions d'entreprises privées parmi lesquelles Abbott, Boehringer, Glaxo SmithKline, MSD et Sanofi).

Une hémoglobine extraite d'un ver marin

Un nouveau défi pour Inserm Transfert, car il s'agit de transformer la recherche en création de valeur pour des actionnaires financiers, afin de les catapulter dans le grand bain du capital-risque puis des marchés financiers. Les premiers investissements réalisés par Inserm Transfert Initiative semblent prometteur, comme TxCell à Nice, spécialisée dans la thérapie cellulaire pour le traitement de la maladie de Crohn (inflammation du tube digestif) ; Hemarina à Morlaix qui travaille, sous la direction de Franck Zal, sur une hémoglobine extraite d'un ver marin, présentant de telles caractéristiques de transport de l'oxygène dans le sang que l'on pourrait en tirer un produit nouveau destiné aux transfusions ; Sensorion, créée à partir des recherches d'un scientifique de l'Inserm, Christian Chabbert, sur les traitements des désordres de l'oreille interne, depuis le vertige de Ménière jusqu'au mal des transports ; ou encore, Eyevensis, où Francine Behar-Cohen, professeur de médecine, chirurgien à l'hôpital Saint-Louis à Paris, développe un dispositif médical qui permet d'injecter dans l'?il des solutions pour traiter des pathologies comme l'uvéïte (inflammation de l'iris) ou la dégénérescence maculaire. De la paillasse au lit du patient... Un itinéraire périlleux mais dont dépend la façon dont nous serons soignés dans les années qui viennent, dont on sait qu'elles seront marquées par un allongement de la durée de vie, et donc, des risques de maladie et de dégénérescence plus grands que par le passé. Qu'une femme de la trempe de Cécile Tharaud veille sur cette route incertaine et dangereuse est néanmoins un facteur de réconfort...

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Répères

1984-1987 : école polytechnique.
1987-1992 : Institut national agronomique Paris-Grignon.
1992 : Insead, à Fontainebleau.
1996 : Entre chez Genset.
2005 : Mission pour l'Inserm.
2006 : Présidente du directoire d'Inserm Transfert.

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