Gagner gros en travaillant avec les grands

<b> Stratégie - </b>Souvent accusés de pressurer et de fragiliser leurs sous-traitants, de grands donneurs d'ordres peuvent aussi aider des PME à grandir. Et à conquérir de nouveaux marchés.
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«Pour nous, l'année 2012 est très porteuse. » L'aveu de Charles-Antoine de Barbuat, le directeur général de Texelis, tranche avec la morosité actuelle de nombre de ses confrères. Mais les chiffres sont là : cette PMI de Limoges prévoit une hausse de 20% de son chiffre d'affaires cette année, à 65 millions d'euros ; elle a recruté 50 personnes en trois ans, dont une moitié de cadres, et emploie désormais 330 salariés ; elle est engagée dans un plan d'investissement ambitieux de 17 millions d'euros sur cinq ans ; et elle prévoit l'ouverture à moyen terme d'une unité de production en Russie. Une dynamique que le fabricant de ponts et chaînes cinématiques destinés aux véhicules lourds (métros, tramways, bus, blindés, engins de chantiers, etc.) attribue en bonne partie à une remise à plat complète de ses relations avec un de ses grands clients, Alstom Transport. La société limougeaude, en effet, est l'ancienne division pièces détachées de Renault Trucks, filialisée en 2008 sous le nom de Texelis, puis reprise en octobre 2009 par l'industriel lyonnais Philippe Frantz, par ailleurs propriétaire du groupe de manutention Réel.
À l'époque, « le site était l'usine des moutons à cinq pattes de Renault Trucks, dédiée aux pièces détachées et aux petites séries, raconte Charles-Antoine de Barbuat. Alstom Transport était un client historique de l'entreprise, d'abord pour les métros sur pneus puis pour les tramways. Mais nous nous sommes très vite aperçus, avec Philippe Frantz, qu'il y avait un très fort degré d'insatisfaction d'Alstom à l'égard de Texelis ». Les nouveaux dirigeants décident de renverser la vapeur et parviennent, au début de 2012, après deux ans d'efforts, à faire entrer Texelis dans le club plutôt restreint des fournisseurs stratégiques d'Alstom. « L'équipe achats d'Als-tom a perçu notre engagement. Et cette distinction a aussi agi comme un signal en interne chez Alstom, montrant que nous avions changé. » En retour, la PMI s'est vue confier la fourniture exclusive, pour trois ans, des ponts destinés aux tramways Citadis. « Et cet effort va nous donner l'opportunité d'équiper les bogies du futur tramway russe d'Alstom », se félicite le dirigeant, qui prévoit une production sur place et vise « une dizaine de millions d'euros dans trois à quatre ans » avec ce contrat.
Ce partenariat « gagnant-gagnant », c'est aussi ce qu'a connu Patrick Zbaraszczuk pour RIB, l'entreprise de chaudronnerie et de construction métallique de Saint-Dizier (Haute-Marne) qu'il a reprise en 2007. Mais avec EDF et Areva, cette fois. « L'entreprise marchait très bien, avec des clients dans l'agroalimentaire, la métallurgie, la papeterie, le ciment ou les aéroports. Mais il me semblait qu'il y avait un potentiel inexploité et je me suis dit qu'une diversification vers les métiers de l'énergie pouvait être intéressante », explique le PDG. Une réflexion qui coïncide avec l'arrivée dans la région de représentants d'EDF et d'Areva chargés de faire un inventaire des compétences locales.
Dans la perspective de l'implantation à Bure (Meuse) d'un laboratoire de stockage de déchets nucléaires, les deux groupes énergétiques, producteurs de ces déchets, sont en effet contraints de participer à l'accompagnement économique de la Meuse et de la Haute-Marne, les deux départements concernés. « Nous avons alors formé, avec les chefs d'entreprise de la région, l'association Energic 52-55, pour faire en sorte que les relations avec les donneurs d'ordres soient les plus efficaces possibles, explique Patrick Zbaraszczuk. J'ai fait en sorte que RIB soit dans la boucle. Mais c'est là que la galère a commencé! Ces appels d'offres s'adressent à des entreprises qui connaissent déjà très bien le domaine. Nous avons heureusement toujours été aidés par nos interlocuteurs d'EDF et d'Areva, qui nous ont indiqué à quelle porte frapper. »

Le stress positif de La montée en gamme

Après plus d'un an d'efforts et d'échecs, RIB finit par emporter ses premiers contrats, avec Areva en 2008 puis EDF en 2009. Des affaires bienvenues au moment où survient la crise. « En 2009, nous avons connu une baisse de 42% de notre chiffre d'affaires, précise le dirigeant. Sans le contrat EDF, la chute aurait été de 50%. » Depuis, RIB a regagné un peu de terrain et prévoit un chiffre d'affaires de 5,3 millions d'euros cette année, avec 48 salariés, après 5,1 millions en 2011. Cette montée en gamme technique, sous l'impulsion de ces grands donneurs d'ordres, « a généré beaucoup de stress, mais elle nous a fait beaucoup progresser », reconnaît le PDG.
Au-delà de ces exigences ou de ces encouragements techniques, sources de progrès, certains grands groupes mettent carrément la main à la poche pour soutenir des PME qui les intéressent. La SNCF par exemple, à travers son fonds d'investissement Ecomobilités Partenaires, est actionnaire depuis trois ans de Phitech, une entreprise créée en 2003 à Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle) par Philippe Lemaire. « Phitech développe des solutions d'information et de guidage pour les personnes déficientes visuelles, indique son fondateur. Pendant six ans, avec une équipe de six personnes et l'aide financière d'investisseurs locaux et de business angels, nous n'avons fait que de la R&D. À partir de 2009, une fois nos produits validés par les associations de malvoyants, nous avons eu besoin de passer en phase de commercialisation et donc de trouver des investisseurs. La SNCF s'est intéressée à notre système, qu'elle a décidé de déployer dans toutes les gares. Elle a investi 1 million d'euros et elle est entrée à hauteur de 25% dans notre capital. »Un vrai coup d'accélérateur pour la PME. « Un déploiement national implique de gros volumes, de plusieurs milliers de balises, et une exigence encore accrue de qualité et de fiabilité, détaille Philipe Lemaire. Nous avons choisi de sous-traiter la fabrication à des entreprises du quart nord-est de la France, par respect de l'environnement et pour pouvoir intervenir à tout moment en cas de problème sur la qualité. La commande de volumes importants permet aussi de baisser les prix, et donc de gagner d'autres marchés. »

Surmonter ses handicaps et tenir la distance

Un effet boule de neige que soulignent toutes les PME qui ont ainsi noué des relations privilégiées avec un grand groupe. Car fort de ses références à la SNCF, Phitech a remporté auprès de la RATP le contrat d'équipement des stations de tramway parisiennes. En parallèle, elle a développé avec Siemens France un système d'aide à l'évacuation des personnes déficientes visuelles ou auditives en cas d'alarme incendie, désormais commercialisé par la filiale du géant allemand. Grâce à ces contrats, Phitech devrait doubler son chiffre d'affaires cette année, à 1,4 million d'euros avec 12 salariés, puis passer à 2 millions et 15 ou 16 salariés en 2013.Chez Texelis, le travail effectué avec Alstom a été dupliqué avec un autre grand client, Renault Trucks Défense. « Avec lui aussi, nous avons choisi d'aller vers plus de transparence et de pro-activité, indique Charles-Antoine de Barbuat. Alors que nous avions un handicap : notre contrat avec eux faisait partie de l'accord de cession et nous étions donc considérés comme un fournisseur subi. Mais nous sommes en train de finaliser le renouvellement de ce contrat qui arrive bientôt à expiration. Et nous avons entamé de nouveaux développements pour ce client. » Quant à RIB, il a mis en place pour Areva « un système documentaire qui devrait entraîner des retombées positives avec d'autres clients qui sont en train d'auditer la société », espère son PDG.
Le jeu du partenariat en vaut donc la chandelle. Même s'il exige beaucoup d'efforts de la PME. Patrick Zbaraszczuk ne le cache pas : « Tout ce travail de mise à niveau est très enrichissant, mais très chronophage. Il crée des déséquilibres et les finances souffrent. Ce sont des projets à long terme qui impliquent des investissements lourds, sans retour immédiat. En 2010, nous avons consacré 5% de la masse salariale à la formation. Une qualification en soudure, par exemple, coûte jusqu'à 50.000 euros. » Le prix à payer, sans doute, pour se diversifier alors que « plusieurs de nos clients ont fermé. Notre carnet de commandes est correct, mais on sent que l'activité est en train de fléchir », ajoute le patron de RIB qui avoue « faire preuve d'un optimisme raisonné ». Un état d'esprit que pourraient lui envier nombre de ses pairs.

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Les parrains, c'est bien, mais les contrats, c'est mieux
Un produit innovant et écologique, un créateur débordant d'énergie, un soutien appuyé de plusieurs grands groupes... Ekistack a tout ce qu'il lui faut, pourtant, la PMI créée en 2010 par Laurent Placé, un diplômé en menuiserie de l'École Boulle, peine à décoller. « En travaillant pour une société qui faisait des échafaudages pour le cinéma, je me suis aperçu qu'il n'existait pas de normes pour les cales placées sous ces structures, raconte le jeune dirigeant. J'ai décidé d'inventer une cale répondant à un cahier des charges complet. » Résultat : une cale en plastique recyclé, facile à nettoyer et à ranger, ignifugée, et conçue de façon que le socle de l'échafaudage se positionne automatiquement en son centre. De quoi enterrer, pense-t-il, les cales en bois qui pourrissent, se fendent et offrent une sécurité limitée. Le jeune homme suit une formation de créateur d'entreprise à la CCI de l'Essonne qui lui décerne, en 2009, son prix Environnement. « Un des partenaires de ce prix était Total et le directeur de la raffinerie de Grandpuits m'a proposé de tester mes cales lors du prochain arrêt de son installation. J'ai été sélectionné par Total Développement qui m'a permis de faire une batterie de tests dans le laboratoire de R&D sur les plastiques du groupe en Belgique. » Laurent Placé convainc aussi le fabricant d'échafaudages Layher qui lui signe un contrat d'exclusivité pour le distribuer. « Cela m'a apporté beaucoup de crédibilité, mais m'a un peu fermé la porte des concurrents », confie-t-il. Il fait homologuer sa cale pour les environnements nucléaires et prend son bâton de pèlerin pour convaincre les géants du BTP. « Bouygues a testé nos cales sur certains chantiers. » Mais les ventes restent très modestes. « Les échafaudages sont surtout achetés par les prestataires des grands groupes. Ils ont du mal à changer leurs habitudes et trouvent nos produits un peu chers. Et comme il n'y a toujours pas de normes... » Laurent Placé ne désarme pas, convaincu d'apporter un vrai atout en matière de sécurité. Mais il n'a pas encore osé lâcher son emploi salarié au sein d'un cabinet d'ingénierie aéroportuaire

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