L'auto est en panne, les équipementiers ne freinent pas

Érosion des ventes et attentisme généralisé : les fournisseurs des constructeurs connaissent des mois difficiles. Ils tentent d'y parer en se diversifiant, en innovant ou en sortant de l'Hexagone. Mais un constat s'impose : l'emploi sort rarement gagnant.
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L'heure est indéniablement au pessimisme chez les fournisseurs de l'automobile. « Depuis plusieurs mois, le contexte n'est pas facile, explique le dirigeant d'un petit groupe de mécanique. Et les événements récents donnent matière à s'inquiéter. » Et de citer par exemple « la contraction des ventes enregistrée par Volkswagen ou BMW, alors que le marché allemand n'avait pas souffert jusqu'à présent ». « Nous avons enregistré d'assez bons volumes de ventes au premier trimestre, mais, depuis, la situation se dégrade », confirme Marc Horellou, le président du groupe de décolletage Alpen'Tech, installé à Vougy, en Haute-Savoie.
« On a le sentiment que tout l'écosystème est fragile », observe Bruno Paucard, le PDG de Scaleo Chip, une PME de Sophia-Anti-polis (Alpes-Maritimes) qui conçoit et développe des systèmes électroniques pour l'automobile, par exemple pour le contrôle de l'habitacle ou du moteur.

Transposer les savoir-faire et « customiser »

Un ralentissement généralisé qui fait ressurgir le spectre de la crise de la fin de 2008, marquée par un coup d'arrêt brutal, avec « une chute de 50% de l'activité durant six mois, se souvient Marc Horellou. Nous avons survécu, mais au prix d'une baisse continue de nos effectifs en CDI, passés de 400 à 280 personnes ». Comment faire face au marasme? « Je suis parti du postulat qu'il n'y aurait pas de croissance de l'activité automobile en Europe avant un bon bout de temps », analyse le patron d'Alpen'Tech. Sa première réponse a été de réduire un peu sa dépendance à ce secteur, en acquérant, en avril dernier, la société Thévenet Technologies, qui réalise 40% de ses 15 millions d'euros de ses ventes en dehors de l'automobile. « Sans cette opération, notre chiffre d'affaires serait étale cette année, à 60 millions. Nous développons aussi l'automatisation, grâce à un programme d'investissement important, de 15 millions d'euros entre 2010 et 2012. »Tous ces fournisseurs sont tentés, bien sûr, par la recherche d'autres marchés. « Quand on développe une technologie pour le secteur de l'automobile, elle peut aussi avoir des débouchés sur d'autres marchés, explique Bruno Paucard. Grâce à notre expérience sur le contrôle moteur et sur la sûreté de fonctionnement, nous avons pu emporter quelques contrats dans le secteur de la défense. Dans ce cas, pour réduire le risque industriel, nous proposons au client un produit customisé dont nous lui vendons la licence et sur lequel il met sa marque. » Mais ce qui vaut pour ce domaine très pointu de l'électronique n'est pas toujours réalisable dans d'autres secteurs. « Nous voyons bien que certains de nos savoir-faire pourraient être appliqués pour réaliser des composants dans l'aéronautique, constate ce discret patron de la mécanique. Mais c'est un secteur que nous connaissons mal, avec des contraintes et des cycles différents. »L'automobile restera donc le principal marché de ces PME qui n'ont d'autre choix que de composer avec la crise. L'innovation? Pour Scaleo Chip, elle fait partie de l'ADN de cette société dont le métier consiste à intégrer une fonction précise sur un « wafer » produit par les géants mondiaux, tels Samsung et ST Microelectronics. « L'électronique automobile a besoin d'une révolution, estime Bruno Paucard. Un véhicule moyen compte aujourd'hui 70 micro-processeurs qui communiquent entre eux par près de 3 km de câbles pesant environ 250 kg. Avec des technologies plus modernes, on économiserait du poids et donc des rejets de CO2. De plus, les moteurs thermiques devront être de plus en plus économes, ce qui va exiger un contrôle de plus en plus précis. Et les moteurs électriques sont plus difficiles encore à contrôler. Nos clients ne vont donc pas avoir d'autre choix que d'innover. Mais la crise a tendance à retarder ces investissements et on sent une frilosité, une grande prudence. Dans l'automobile, mais aussi dans les autres secteurs ».
Scaleo Chip poursuit ses développements grâce aux financements d'Oséo et à sa participation aux programmes initiés par les constructeurs. La PME est intégrée dans trois pôles de compétitivité et elle s'appuie sur les compétences des chercheurs de l'IFP Énergies Nouvelles et du CEA. « Nous avons beaucoup recruté en 2011, pour arriver aujourd'hui à 43 personnes, indique son PDG. Mais en ce moment, nous sommes sur un palier. Les qualifications de produits sont très longues dans l'automobile, et il s'écoule souvent entre trois et quatre ans avant de pouvoir vraiment mettre une innovation sur le marché. Nous préférons attendre la commercialisation de nos dernières technologies avant de reprendre une nouvelle phase de croissance. »Mais Bruno Paucard se veut optimiste. « Il faut se battre beaucoup en ce moment. Mais, à terme, je n'envisage pas que la situation reste bloquée indéfiniment. J'ai l'impression que les choses bougent aux États-Unis. Et le marché chinois reste en croissance. »

Livrer une même pièce dans le monde entier

Si l'électronique demeure un creuset naturel d'innovation, l'exercice est plus délicat dans le décolletage ou la fonderie. Surtout quand la trésorerie se tend. Comment réagir, alors?? « Il nous faut gagner des parts de marchés, martèle Marc Horellou, chez Alpen'Tech. Nous sommes dans un domaine très fragmenté où les acteurs sont encore très nombreux et où nos clients cherchent à diviser par deux ou par trois le nombre de leurs fournisseurs. Nous nous efforçons donc d'être plus utiles à nos clients, en proposant la gamme la plus large possible et en étant capables de livrer la même pièce avec la même prestation partout dans le monde. En particulier dans les zones où il y a moins d'offre pour le type de produits que nous fabriquons. Nous sommes donc en train de développer notre activité en Europe de l'Est, mais aussi en Amérique du Nord où il existe un déficit d'offre dans nos métiers. »L'international, c'est aussi le choix d'Hervé Borgoltz, le PDG de DBT, une entreprise de Bre-bières (Pas-de-Calais) spécialiste de la mesure électrique qui s'est lancée voilà vingt ans dans les bornes de recharge pour véhicules électriques. « Nous avons répondu aux premiers appels d'offres lancés par Ségolène Royal pour La Rochelle, puis pour Paris. En 1998, l'engouement s'est arrêté, mais, grâce à EDF, nous avons pu mettre nos bornes un peu partout en Europe. En 2008, le Grenelle de l'environnement a remis le véhicule électrique à la mode, mais les PME ont été écar-tées des groupes de travail sur le sujet, au profit de grands industriels qui avaient pourtant moins d'expérience sur le sujet. »Plutôt sceptique sur l'avenir du véhicule électrique tricolore, qui devrait pourtant faire figure d'eldorado dans un secteur automobile en pleine crise, Hervé Borgoltz a donc poursuivi sa route à l'international. Avec succès puisque son entreprise est passée de 40 à 80 salariés depuis 2008. DBT réalise aujourd'hui les deux tiers de ses 18 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'export. Et la proportion passe même à 90?% pour son entité DBT-EV (11 millions de chiffre d'affaires) spécialisée dans ce domaine du véhicule électrique.

Un « pigeon » qui pourrait migrer outre-manche

Parmi ses grands succès, la fourniture de 350 bornes pour la Fondation E-Iaad, aux Pays-Bas, qui regroupe les producteurs d'électricité du pays pour la mise en place d'un réseau de 15.000 stations de recharge. Et surtout la signature d'un important contrat avec Nissan pour le déploiement en Europe de bornes de recharge rapide à la norme CHAdeMO, « commune à tous les constructeurs japonais et à la majorité des américains, assure Hervé Borgoltz. Ces bornes permettent de charger 24 voitures en 6 heures. En France, pendant ce temps-là, on en est encore à s'interroger sur l'utilité d'une recharge rapide. Et Renault a développé sa propre technologie de recharge en courant alternatif, alors que tous les autres constructeurs ont choisi le courant continu! » Mais cette internationalisation pourrait avoir une autre conséquence : l'implantation de DBT-EV en Grande-Bretagne. « Nissan, qui nous apporte une assistance technique très importante, nous pousse à venir faire nos chargeurs à Sunderland, où sont assemblés ses véhicules électriques avec des batteries conçues par NEC et produites sur place. »Hervé Borgoltz, qui a adhéré très vite au mouvement des « Pigeons », ne cache pas que les dernières mesures fiscales prises par le gouvernement l'incitent fortement à franchir la Manche... Décidément, la crise de l'automobile risque de faire au moins un perdant : l'emploi industriel en France.
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Des clients américains de plus en plus exigeants

Il préfère rester anonyme, mais ce patron d'une PME d'usinage de l'Est de la France, qui réalise 75% de son chiffre d'affaires dans l'automobile, en a gros sur le c?ur. « Nos clients, américains pour l'essentiel, sont de plus en plus difficiles, confie-t-il. Ils supportent mal de ne pas avoir de croissance à deux chiffres et imposent donc à leurs sous-traitants beaucoup de contraintes : sur la trésorerie, en ne respectant pas le paiement à 60 jours prévu par la loi LME ; sur les assurances, en nous obligeant à souscrire des contrats prévoyant des garanties civiles importantes, ce qui allège leurs propres contrats ; sur les stocks qu'ils nous obligent à garder et qu'ils ne nous paient qu'au moment de l'enlèvement ; et sur les prix, revus systématiquement chaque année à la baisse. »Ce dirigeant s'inquiète de voir apparaître, dans l'automobile, « les pratiques en vigueur dans la grande distribution, avec le paiement d'un ticket d'entrée ». Et il égratigne PSA qui, en 2009, a brutalement cessé toute commande à une petite filiale, entraînant son dépôt de bilan. « Depuis que les acheteurs ont pris le pouvoir chez PSA et qu'ils ont développé le système des enchères inversées, nous ne travaillons quasiment plus avec eux. » Sa réponse à la crise? « Nous avons beaucoup développé l'international, avec des usines en Europe de l'Est et en Chine. Et nous essayons de faire de notre mieux... »

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