Ces deux ingénieurs français qui résistent encore à Amazon

Pionnier français du livre électronique il y a plus de dix ans, le Cybook de BOOKEEN est la seule liseuse européenne face à la concurrence américaine et japonaise. Avec une équipe de vingt collaborateurs au cœur de Paris, deux ingénieurs tiennent tête à des sociétés aux réserves financières immenses. Comment font-ils?
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En 2003, Bookeen renaît des cendres de Cytale, la petite société qui, sous la direction de Jacques Attali et d'Erik Orsenna, avait lancé la toute première version du Cybook en 2001. Un produit bien trop en avance sur son temps. « Cytale était une véritable start-up de la bulle Internet qui a levé 10 millions d'euros auprès de ventures capitalistes dans une période, un peu folle, où il y avait beaucoup d'argent, se souvient Laurent Picard, le directeur général de Bookeen. C'était une belle aventure, mais elle s'est vite arrêtée car nous n'avons rencontré que des freins : un produit cher, un catalogue réduit, des éditeurs et des lecteurs à éduquer. » La liquidation judiciaire, survenue en 2002, est vécue comme un énorme gâchis : « Ce fut un flop commercial, mais un succès technique. Aux États-Unis, les acteurs ont tenu un an de plus car ils avaient plus d'argent. »

Après la bulle, la survie des années de galère

Laurent Picard et Michael Dahan, deux ingénieurs aux talents complémentaires en informatique et électronique, formaient alors les « deux tiers » de l'équipe R&D de Cytale. Convaincus que l'heure du livre électronique viendrait un jour, ils rachètent les stocks et la propriété intellectuelle. Plus de dix ans après, leur Cybook continue à tenir tête au Kindle de l'américain Amazon et aux liseuses des japonais Kobo et Sony. Avec une sixième génération à sortir ces jours-ci (lire encadré).« Nous avons fait profil bas car il n'était pas réaliste de lever des fonds. Nous avons fondé une SARL en fonds propres avec un capital de 7.500 euros », raconte Laurent Picard. À partir de 2003, ils travaillent seuls au développement du Cybook dans le but de lever les freins à l'adoption du livre électronique. « Nous avions de tout petits salaires qui ont commencé à augmenter au fi l des années », précise Laurent Picard. Leur PME ne vendait que quelques centaines de liseuses par an. Pour survivre, les deux ingénieurs réalisent des missions pour d'autres sociétés, du conseil aux prototypes. Par exemple, un système de tablettes qui permet aux sourds et aux malentendants de profiter des spectacles au Théâtre national de Chaillot et à la Comédie-Française. Ou bien un prototype de journal numérique sur écran flexible pour un groupe de presse français. Une façon de capitaliser leur savoir-faire au service de projets lucratifs.
Fabriquée en France par Hitachi, la première génération de Cybook était 100°% française. Changement de stratégie avec la seconde génération qui sera fabriquée en Asie sur la base d'un produit local existant et de l'intelligence logicielle conçue à Paris. « Cela nous a donné des marges plus confortables qu'on a pu réinvestir », avoue Laurent Picard.
En octobre 2007, la société passe un cap décisif en sortant sa liseuse de troisième génération. « Nous pensions avoir assez de stocks pour tenir un mois, ils sont partis en trois jours°! s'exclame le dirigeant. Et nous étions sortis trois semaines avant le premier Kindle. »Mais, paradoxalement, Bookeen est vite victime de son succès. En 2008, la société connaît donc des ruptures de stock. Or, elle n'a pas assez de fonds pour fabriquer à la hauteur de la demande. « Oséo nous a beaucoup aidés avec ses avances remboursables et les prêts "capital développement". Indirectement, être labélisés par le pôle de compétitivité Cap Digital nous a permis de travailler avec des labos et des industriels français, parfois avec des subventions. »

Bookeen est aussi devenu libraire en ligne

La société ne se prive pas des outils financiers classiques tels que les lignes de crédit même si les banques ont tendance « à fermer les robinets ». Là encore, Oseo est une garantie. Avec la croissance et les volumes, Bookeen assoit enfin sa position. « Notre négociatrice peut faire baisser les prix d'achat et obtenir de meilleures conditions de paiement », reconnaît Laurent Picard.
Mais ce n'est pas suffisant. En 2009, Bookeen lève 1,5 million d'euros auprès de Turenne Capital avec l'aide d'un intermédiaire. « Aux États-Unis, nous aurions levé entre 50 et 100 millions de dollars. En France, il n'y a pas cette culture du risque et les investisseurs préfèrent les projets Web à l'électronique grand public », observe Laurent Picard dont la société est souvent comparée à Archos et Parrot, deux fleurons de l'électronique grand public française. « En 2012, on va dépasser 12 millions d'euros de chiffres d'affaires, plus du double de l'année dernière. Ce n'est qu'un début. Car les éditeurs américains devraient atteindre cette année 20% de leurs ventes en format électronique alors qu'on a atteint 1% en Europe en 2011 », précise Laurent Picard.
Depuis deux ans, Bookeen est devenu libraire en ligne pour tirer profit de ce marché prometteur et fabrique des liseuses en marque blanche pour des partenaires. Avec ce virage dans le business modèle, l'avenir semble radieux.
Mais convaincre des investisseurs reste difficile. « Nous avons commencé à en rencontrer pour lever 5 millions d'euros. Il y a toujours un intérêt pour notre projet, mais beaucoup de craintes vis-à-vis de notre marché. Il faut qu'ils se disent qu'un champion français peut exister », martèle le dirigeant pour qui le temps passé à lever des fonds ralentit le développement. Il fonde aussi des espoirs sur la BPI pour poursuivre l'accompagnement à l'export amorcé avec Oséo et Ubifrance.

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Repères :

2001: Édition de la toute première version du Cybook.
2002: Dépôt de bilan de Cytale, société éditrice du Cybook.
2003: Naissance de Bookeen, avec 7 500 euros de capital.
2007: Éditon de la troisième génération de Cybook. Un succès immédiat.
2008: « Victime » de son succès, le Cybook est en rupture de stock.
2009: Bookeen lève 1,5 million d'euros auprès de Turenne Capital. Plus de 12 millions d'euros de CA prévus, soit plus du double qu'en 2011. Un tour de table de 5 millions d'euros est lancé.

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