Le philosophe allemand Friedrich Hegel, esprit européen s'il en est, a expliqué l'histoire humaine comme le processus du développement de l'Esprit, passant par le dépassement des contradictions et réalisé par le travail du négatif.

C'est visiblement dans cet esprit qu'est arrivé jeudi à Bruxelles le chef de l'Etat français, François Hollande pour entamer les négociations sur la dotation du budget européen (2014-2020). N'a-t-il pas indiqué qu'il y venait «chercher un compromis » et « non poser un ultimatum » ?

De son côté, le locataire de Downing Street David Cameron, sans doute plus naturellement adepte de la philosophie empiriste de son compatriote (quoique cependant Ecossais) David Hume, agite depuis plusieurs semaines la menace d'un veto à ce budget s'il faut que le gouvernement de Sa Majesté mette davantage la main à la poche.

Les négociations vont durer durant plusieurs semaines, mais les chefs d'Etat vont néanmoins fixer le cadre. Dans ce jeu, chacun applique une analyse de rapports entre coûts et bénéfices qui exacerbent les égoïsmes. D'autant plus que nous sommes en période d'austérité budgétaire au niveau national.

Bien des pays vont donc devoir plutôt se convertir à la philosophie stoïcienne. A commencer par la France, principal bénéficiaire de la politique agricole commune, la fameuse PAC, critiquée précisément par Londres. Les petits Etats membres de l'Union qui bénéficient des transferts des pays riches risquent aussi de devoir se montrer ascètes. Ces deux postes absorbent une large part du budget européen et ne bénéficient qu'à trop peu de pays, selon certaines capitales.

La Commission européenne, de son côté, voulait une enveloppe plus importante - 1.033 milliards d'euros pour sept ans - afin d'augmenter sa marge de man?uvre au bénéfice de tous, affirme son président José Manuel Barroso. La commission souhaite en effet une réorientation du budget vers d'autres secteurs jugés prioritaires pour l'avenir, parmi lesquels la recherche, la formation, la construction de réseaux transeuropéens pour l'énergie, le développement du haut débit, l'amélioration des infrastructures de transport.

Une philosophie tournée vers l'avenir qui a été freinée par Herman van Rompuy, le très zen président du Conseil, par ailleurs amateurs de haïkus, qui a fixé le niveau maximum du montant en discussion à 963 milliards d'euros. Dans cette négociation qui promet d'être serrée, Angela Merkel, la chancelière allemande dont le pays est le premier contributeur, jouera davantage le rôle d'arbitre. Ou de Salomon attribuant à chacun ce qu'elle jugera être sa juste part.

En France, on a pu constaté jeudi que les incessants rebonds dans le feuilleton des primaires de l'UMP rendrait presque ennuyeuse une bonne série américaine. Elle ravirait également Hegel tant la situation a atteint un rare point de contradiction. La fameuse COCOE, la commission chargée de recueillir et proclamer les résultats, a finalement admis que le compte n'y était pas, avec l'omission de trois fédérations d'outre-mer.

Cela redonnerait l'avantage à François Fillon, mais celui-ci a d'ores et déjà qu'il renonçait à la présidence dans les conditions actuelles. L'ancien Premier ministre a fait joué le négatif sur son propre désir, ouvrant la voie au dépassement de la contradiction par la médiation du « sage » Alain Juppé. Ironie de l'histoire, l'UMP, qui avait été créée ad hoc sous la houlette de Jacques Chirac pour mettre en orbite le maire de Bordeaux en vue de la présidentielle de 2007 lui échoirait, au moins par intérim. Voilà qui plairait décidément à Hegel qui y verrait à n'en pas douter un effet du travail de la raison dans l'histoire.