Chypre : gestion de la crise ou crise de la gestion en Europe

La chronique quotidienne de la Tribune inspirée par l'actualité. Aujourd'hui, le cas de Chypre montre combien l'Europe a de plus en plus de difficultés à sortir d'une crise financière et politique en raison d'une crise profonde d'identité.
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Dimanche soir, les responsables européens et du Fonds monétaire international (FMI) essayaient toujours de trouver un accord pour sauver Chypre de la faillite. La Banque centrale européenne (BCE) a en effet donné à Nicosie jusqu'à lundi, avant de fermer le robinet des liquidités vers les banques de l'île.

Cas d'école

Quelles leçons tirer de ce qu'il faut bien appeler le fiasco européen de la crise chypriote, une économie qui représente moins de 0,5% de celle de l'Union européenne, et qui sera amené à devenir dans les historiens de l'économieun cas d'école.

Après avoir laissé durant plusieurs semaines la situation de Chypre se dégrader, les Européens avaient trouvé « en urgence » dans la nuit du 15 au 16 mars un plan qui prévoyait, pour débloquer une aide de Bruxelles et du FMI de 10 milliards d'euros, la nécessité de taxer les dépôts bancaires (6,5% au-dessous de 100.000 euros et 9,9% au-dessus) pour lever les quelque 7 milliards d'euros supplémentaires nécessaires au sauvetage des deux banques chypriotes virtuellement en faillite.

Sur le papier, tout était parfait. Mais dans la réalité, les conditions de ce plan ont été dénoncées pour ce qu'elles étaient, une pure et simple spoliation. Tout le monde a rétropédalé, chacun rejetant la faute sur les autres. Comme l'a indiqué, dans un euphémisme, Michel Barnier, le commissaire européen au Marché intérieur, il y a eu une « mauvaise appréciation de l'impact d'une taxe sur les dépôts inférieurs à 100.000 euros ». Le tir va donc être rectifié, le principe de droit sur les dépôts ne s'appliquerait pas à tous : celui qui a 99.999 euros ne sera pas taxé, celui qui a en revanche 100.001 euros le sera. Question de principe, dira-t-on à Bruxelles.

Cas particulier

Il est avancé par ailleurs que cette mesure est exceptionnelle. Le problème dans cette gestion de crise de la crise européenne depuis 2010, c'est que tout est exceptionnel. Avant Chypre, c'était les élections italiennes et son résultat désastreux pour le Premier ministre sortant, Mario Monti, qui étaient taxées de cas particulier.


Paradoxalement, l'applicaton des règles communes qui doivent régir une association comme l'est l'Union européenne et encore davantage son c?ur, la zone euro, relèvent pratiquement depuis le début de la construction du régime continuel d'exceptions et autres dérogations liés à l'évidence à la complexité d'une telle construction et à une volonté politique réellement partagée.

Ainsi, Chypre serait, dit-on à Bruxelles, un paradis fiscal, qui servirait notamment à recycler l'argent sale russe. Jusqu'à maintenant Bruxelles n'a trouvé rien à redire à cette pratique. Donc soit elle ne le savait pas, c'est grave, car à quoi elle sert, soit elle le savait, et sans doute encore plus grave. « L'économie casino », que le ministre de l'Economie française s'est plu à dénoncer ce week-end ne date pas d'hier.

De fait, l'argument moral consistant à dire que le plan de rigueur mettra un terme à une pratique répréhensible que l'on feint de découvrir maintenant, relève de la mauvaise foi. Comme déjà indiqué par la Tribune, ces chevaliers blancs auraient donc dû cibler les non-résidents, dont les avoirs s'élevaient à 25 milliards d'euros, en les imposant à plus de 20%. Ces derniers n'auraient pas protesté puisque vu de Bruxelles, depuis la semaine dernière, il s'agissait d'argent sale. Or Chypre servait déjà de base arrière pour les oligarques russes lorsque l'UE lui a ouvert les portes, sans exiger une plus grande transparence ou la fin de ses pratiques.

Paradoxalement, comme Chypre affiche une balance des paiements déficitaires - plus d'argent sort de l'île qu'il n'en rentre -, loin d'être un paradis fiscal, l'île s'avère davantage une étape de transit de l'argent « sale » qui part s'investir vers d'autres destinations.

Est-il besoin de rappeler que Bruxelles n'a jamais réellement mis en place une politique commune de lutte contre les paradis fiscaux, car certains Etats, par exemple le Royaume Uni, s'y refusent.

Au finale, le cas de Chypre montre que la gestion de la crise européenne est de moins en moins européenne, et suit de plus en plus une logique régie par le seul intérêt national de ses membres. On en avait aperçu une illustration avec la discussion sur le budget européen pour les prochaines années.

L'argument historique qui justifiait la construction européenne comme la meilleure garantie de la fin des guerres sur le continent est en train de s'épuiser au profit d'une seule approche par coûts et bénéfices.

De facto, à ce rythme là, chaque citoyen européen dans chacune des nations pourrait être amené à se demander pourquoi il est nécessaire de poursuivre la construction européenne, non pas tant parce qu'il y aurait un vice de forme initial mais parce que sa gestion a depuis quelques années été par trop collectivement complaisante.

 

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Commentaire 1
à écrit le 25/03/2013 à 11:40
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C'est plus qu'une question de gestion ; vous le dites en parlant d'identité. C'est même une crise de civilisation puisque la démocratie est à un tel point bafouée, avec des valeurs morales d'Occident piétinées. Comment s'offusquer honnêtement de reje...

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