Comment se passer du PIB ?

Alors même que le recul de son PIB fait entrer la France en récession, un think tank propose des pistes pour remplacer un indicateur critiqué pour son hégémonie dans l'évaluation d'une économie. Plutôt que de lui substituer un autre indicateur unique, il s'agit de raisonner selon ses différents usages.
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Sauf à avoir passé ces derniers jours dans une grotte, chaque Français le sait : la France est officiellement entrée en récession. Autrement dit, sur deux trimestres consécutifs, l'évolution de son PIB a été négative.

24 heures après cette annonce, le think tank « The Shift Project », spécialisé sur les sujets de la transition écologique et de la « décarbonation » de l'économie, publiait un nouveau rapport soulignant les faiblesses de cet indicateur pourtant hégémonique. Notamment, son incapacité à exprimer le développement des économies du Nord, dès lors que l'on admet que celui-ci ne se traduit pas exclusivement par un accroissement des dépenses et une accumulation inextinguible de biens de consommation, mais par une amélioration du bien-être de ses citoyens. Et que ces deux éléments ne sont pas directement corrélés...

Des faiblesses documentées de longue date

Documentée depuis les années 1970 par des travaux menés aux Etats-Unis (notamment par l'équipe Meadows du MIT en 1972) mais aussi en France (notamment par Dominique Meda et Jean Gadrey, animateur du Forum pour de nouveaux indicateurs de richesse FAIR), la critique du PIB a connu un regain d'intérêt de la part des chercheurs et des politiques avec l'émergence de la crise écologique.

Le PIB, en effet, s'accroît avec les catastrophes naturelles ou industrielles (en raison des travaux de reconstruction ou de dépollution), prospère sur le dos des embouteillages, mais ne prend en compte ni le troc, le travail bénévole ou les services gratuits à la personne, ou d'autres activités encore, créatrices de lien social ; il n'intègre pas plus les services rendus par la nature (ou sa dégradation), que plusieurs travaux ont commencé à évaluer depuis quelques années.

Surtout, en dépit des efforts produits pour « découpler » la croissance économique de la consommation d'énergie et de matières premières, tel qu'il est défini, son accroissement, affiché comme l'objectif ultime des chefs d'Etats, est clairement incompatible avec la finitude des ressources naturelles. Sur le plan social, il ne tient pas compte de la répartition des richesses entre les différentes catégories de la population. Enfin, il ne joue aucun rôle d'alerte, comme l'a montré son évolution dans les principales économies mondiales à la veille par exemple de la crise immobilière américaine de 2007 ou de celle du déficit public en Europe.

Le rapport Stiglitz, une initiative française

En France, les travaux sur la recherche d'indicateurs de richesse alternatifs ont bénéficié d'un coup de projecteur dans la foulée du Grenelle de l'Environnement. En 2008 en effet, Nicolas Sarkozy confiait une mission dans ce sens à une « Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social », présidée par les prix Nobel américain Joseph Stiglitz et indien Amartya Sen, et coordonnée par le Français Jean-Paul Fitoussi, président de l'OFCE. Remis au président d'alors en septembre 2009, le rapport qui en est issu n'a guère été suivi d'effet, à l'exception remarquable de l'Insee qui s'est penchée de plus près sur la qualité de vie des Français.

En amont des élections présidentielles de 2012, plusieurs think tank et ONG se sont à nouveau activés en coulisses auprès du futur président. Mais pour l'heure, rien ne change. Pis, tandis que les travaux universitaires se multiplient pour en souligner les faiblesses, voire les dérives, le PIB semble asseoir toujours plus son hégémonie pour mesurer et objectiver les politiques économiques. Jusqu'à se profiler dans la Constitution via la fameuse « règle d'or budgétaire», qui vise à ramener le plus rapidement possible le déficit budgétaire structurel à 0,5% du PIB.

Des usages symboliques, opérationnels ou politiques

Pour autant, il fait beau le vouer aux gémonies, encore faut-il proposer une alternative. L'Onu s'y est essayée lors de la Conférence de Rio + 20 en juin 2012, en proposant un « PIB vert » supposé mieux prendre en compte l'environnement. Etonnamment, le PIB vert de la Chine demeurait en forte croissance... une preuve absolue de son dysfonctionnement aux yeux de nombreux observateurs peu convaincus des vertus environnementales du mode de développement chinois.

Plutôt que de rechercher une réponse unique, une tâche trop lourde et surtout jugée inappropriée, le think tank The Shift Project (TSP) a choisi une méthode différente, consistant à identifier les principaux usages du PIB et à proposer au cas par cas des indicateurs alternatifs susceptibles de le remplacer avantageusement.

Dix usages ont ainsi été recensés, dans trois sphères : symbolique (mesure et comparaison de la puissance d'un pays) , opérationnelle (calcul du montant des contributions aux budgets supranationaux, des fonds structurels européens affectés à telle ou telle région, prévisions du budget de l'Etat ou de grands travaux d'infrastructures...) et, enfin, sphère politique : calcul de l'aide au développement, de l'effort de R&D d'un Etat...et, surtout, encadrement de la dépense publique. Les pays européens sont en effet soumis à la règle d'or limitant leur déficit public à 3 % de leur PIB et leur dette publique à 60 % du PIB.

L'OCDE a élaboré un "better life index", avec 19 variables

C'est dans le domaine de la mesure du bien-être, qui ressort de la sphère symbolique, que les choses ont aujourd'hui le plus avancé : l'OCDE a présenté en 2011 le « better life index », un d'indicateur issu de dix-neuf variables et onze critères sensés mieux en rendre compte que le PIB, mais faisant peu de cas (trop peu aux yeux de nombreux experts) du social ou de l'écologie. TSP, très concentré sur la transition écologique, suggère d'injecter partout où cela est pertinent des critères tels que la décarbonation d'une économie ou son indépendance énergétique.

Ils évoquent nombre d'indicateurs à leurs yeux plus pertinents pour évaluer la puissance d'une nation : sa puissance militaire, son influence diplomatique, financière ou monétaire, sa maîtrise des ressources énergétiques ou d'autres ressources naturelles, son rayonnement culturel...
Dans la sphère politique, ses experts sont bien conscients que ramener le déficit au budget plutôt qu'à la richesse nationale pourrait avoir des effets anxiogènes. Si le ratio passait de 3 % (du PIB) à 20 ou 30 % (du budget de l'Etat), il apparaîtrait plus clairement aux yeux des Français qu'à partir du mois d'octobre, la France doit emprunter pour continuer à fonctionner. C'est précisément ce genre d'électro-chocs que TSP entend provoquer pour ébranler peu à peu l'hégémonie du PIB.

De là à prétendre que la France se porte au mieux pour la seule raison que son thermomètre est défaillant, il y a un pas qu'il serait aujourd'hui aventureux de franchir...
 

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