Le choix des mots dans le débat sur l'énergie est devenu un enjeu

Les tentatives plus ou moins réussies pour substituer de nouveaux termes à d'autres jugés trop connotés se multiplient dans le domaine de l'énergie.
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"Fracturation hydraulique." Ces deux mots symbolisent à eux seuls la crispation qui entoure le sujet des gaz de schiste et qui rebondit ces derniers temps à la faveur du débat sur la compétitivité des industries françaises, menacée par les prix croissants de l'énergie. Les avis divergent sur l'incidence réelle qu'aurait sur ce point l'exploitation des gaz de schiste en France, mais là n'est pas le sujet qui nous intéresse aujourd'hui.

Le terme même de fracturation (comme son équivalent anglais, fracking) exprime toute la violence infligée à la terre, laisse entrevoir des failles béantes d'où risquent de jaillir des fuites de gaz inflammables, confère aux dommages causés un caractère irréversible, évoque même un risque sismique induit. Toutes choses largement mises en exergue dans le film à charge Gasland et dont nous ne traiterons pas ici de la réalité, mais qui ont semblé suffisamment graves aux yeux mêmes des partisans de ces gaz de schiste, pour qu'ils tentent de faire émerger un terme moins agressif.

De la fracturation à la stimulation en passant par le massage

En France, c'est en janvier dernier que le PDG de Total, Christophe de Margerie, s'avouait "fasciné par la manière dont le terme de "fracturation" a cristallisé les clivages. Aux Etats-Unis, on parle de massaging de la roche. C'est peut-être une idée ?"
Sans doute un peu drastique, le virage sémantique opéré entre fracturation et massage ne semble guère avoir convaincu. Pour ne pas dire qu'il s'est avéré plutôt contreproductif en termes de communication. Pour le dire trivialement, la ficelle était un peu grosse.

Un autre terme en revanche se répand peu à peu. La stimulation, suffisamment vague pour ne pas effrayer l'opinion publique. Certains, parmi les experts du sujet, s'avouent mal à l'aise avec ce qu'ils comparent à une édulcoration sémantique. Sur le plan strictement technique, celle-ci s'avère néanmoins plus justifiée, puisque la stimulation consiste à agrandir des failles existantes ou d'en rouvrir d'anciennes, colmatées au fil du temps par des éléments minéraux.

Pour certains experts cependant, ça n'est qu'un terme valise regroupant l'ensemble des technologies permettant d'améliorer la perméabilité de la roche pour exploiter les gaz de schiste, fracturation comprise. Sans doute, mais en France, où la technique de la fracturation a été interdite par une loi de juillet 2011, cette inventivité sémantique n'en est que plus intéressante à observer.

Intermittence ou variabilité

Elle n'est d'ailleurs pas l'apanage des partisans des gaz de schiste. Depuis quelques temps, il est de bon ton, dans « le camp d'en face », de soigner également son vocabulaire. C'est ainsi qu'on évite de parler d'intermittence des énergies renouvelables, un terme qui porterait en lui l'angoisse de la panne de courant, pour le remplacer par celui de « variabilité ». Là encore, la distinction peut se justifier sur le plan technique. Certes, une source d'énergie donnée, une éolienne ou un champ de panneaux photovoltaïques, typiquement, produit de façon intermittente (selon qu'il y a ou non du vent ou du soleil, comme chacun le conçoit aisément).

Pour autant, les progrès en matière de prévisibilité de leur production et de la consommation, qui permettent d'assurer d'équilibre entre l'offre et la demande, la mutualisation des productions entre différentes sources d'énergie et différents lieux et le développement de techniques de stockage de l'électricité, encore embryonnaires il est vrai, évitent que cette intermittence de la production décentralisée ne se traduise par une interruption de l'alimentation électrique via le réseau.

Une pointe toujours difficile à alimenter

Les tentatives des promoteurs des énergies renouvelables pour imposer ce terme de variabilité au détriment de celui d'intermittence vise également à couper court aux raccourcis des partisans du tout nucléaire. Non contents de faire planer la menace de la panne, ces derniers martèlent en effet à l'envi la nécessité de doubler toutes les nouvelles capacités de production renouvelables, de « back-up » thermiques capables de prendre le relais en cas d'interruption de la production, ou tout simplement de déséquilibre entre l'offre et la demande. Les plus efficaces en la matière (fioul, charbon...) s'avérant également les plus polluantes... Ce phénomène de pointe, particulièrement marqué en France du fait de la prédominance du chauffage électrique qui génère un appel de puissance massif en début et surtout en fin de journée ne peut pas plus être résolu par une énergie de base telle que le nucléaire...

Le mot ne résout pas le problème

Quoi qu'il en soit, ces subtilités sémantiques n'ont pas fini d'alimenter les débats. Il y a quelques jours seulement, les députés ont profité de la transposition d'une directive européenne pour remplacer le terme de « biocarburants », trop connoté « écologiquement correct en français » par celui d' « agro-carburants », qui se contente d'en souligner l'origine végétale. Contre l'avis de la ministre de l'Ecologie elle-même. Rappelant qu'il s'agissait de la traduction littérale du terme anglais « biofuels » utilisé dans les débats européens, Delphine Batho a surtout rappelé que "ce n'est pas en changeant un mot que l'on réglera les problèmes que posent les biocarburants de première génération."
Certes, mais comme on le voit, en matière d'énergie comme ailleurs, les mots n'ont rien d'innocent.
 

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